Les vivants et les morts. Anna de Noailles

Les vivants et les morts - Anna de Noailles


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ce que l'esprit conçoit quand il se tait.

      L'emmêlement des blés courbés, des ronciers même,

       N'était pas plus serré ni plus inextricable

       Que notre coeur uni, qui, comme le doux sable

       Joignant le grain au grain, ne semble que lui-même.

      —Je me souviens surtout de ces soirs de Savoie

       Où nos regards, pareils à ces vases poreux,

       A ces alcarazas qu'un halo d'onde noie,

       Scintillaient de plaisir, et se livraient entre eux

       L'ineffable secret du rêve et de la joie.

      Soirs d'Aix! Soirs d'Annecy, ô villes renommées,

       Qui mêlez aux senteurs des îles Borromées

       Je ne sais quel plus franc et plus candide espoir,

       Que j'aimais vos toits bleus, d'où montait la fumée,

       Les cloches des couvents, qui tissaient dans le soir

       De longs hamacs d'argent où l'âme inanimée

       S'abandonnait, tandis que flottait, chaud, précis,

       Le subjuguant parfum du café qu'on roussit.

      Je revois les soirs d'Aix, l'auberge et ses tonnelles,

       La montagne si proche, accostant le ciel pur,

       Les frais pétunias entassés sur le mur,

       Le char rustique, avec le cheval qu'on dételle.

      Et les lacs! Soif des coeurs vous buvez à cette eau

       Où passe comme un ange une barque à deux voiles!

       Nous répétions tous deux, sans proférer de mots,

       L'hymne éternel que dit le silence aux étoiles.

      Mon ami, votre esprit et ses nobles soupirs

       Semblait plus que le mien altéré de sublime;

       Mais déjà vos pensers recherchaient leurs loisirs;

       Et la paix, mollement, a comblé vos abîmes…

      —C'est en moi seulement que rien ne peut finir.

      J'AI VU A TA CONFUSE…

      J'ai vu à ta confuse et lente rêverie,

       A ton front détourné, douloureux et prudent,

       Que mon visage en pleurs, qui s'irrite et qui prie,

       Te semble un masque ardent.

      En vain ta voix m'enchante et ton regard m'abreuve,

       Et mon coeur éclatant se brise dans ta main;

       Tu cherches vers le ciel quelque invisible preuve

       De mon désir humain.

      Tu cherches quel étroit, quel oppressant symbole,

       Mêlé de calme espoir, de silence et de Dieu,

       Joindrait mieux que ne font les pleurs ou la parole,

       Ton esprit et mes yeux.

      Et tandis que ton coeur, craintif et solitaire,

       A mon immense amour n'est pas habitué,

       Moi je suis devant toi comme du sang par terre

       Quand un homme est tué…

      JE MARCHAIS PRÈS DE VOUS…

      Je marchais près de vous, dans mon jardin d'enfance.

       Le soir uni luisait; une calme innocence

       Emanait des chemins, dépliés sous les cieux

       Ainsi qu'un long secret franc et silencieux…

       On entendait le lac, sur l'escalier de pierre,

       Murmurer sa liquide et rêveuse prière

       Qui, mollement, se heurte au languissant refus

       Qu'oppose au coeur actif la nuit qui se repose…

       Nous marchions lentement dans le verger touffu,

       Où fraîchissait l'odeur des poiriers et des roses.

       J'écoutais votre voix aux sons plaisants et doux.

       Hélas! je vous aimais déjà pour quelque chose

       De vague, d'infini, d'antérieur à vous…

       Un peuple de silence environnait ma vie.

       Les fleurs au front baissé, par la nuit asservies,

       Exhalaient je ne sais quel confiant repos

       Entre la calme nue et les miroirs de l'eau.

       J'étais bonne pour vous, soigneuse, maternelle,

       Je souffrais de sentir votre voix comme une aile

       Battre votre gosier et haleter vers moi;

       Ma main aux doigts muets s'irritait dans vos doigts;

       L'aspect fidèle et sûr de la nuit renaissante

       Me rendait ma jeunesse, attentive et pensante.

       Quelle limpidité dans l'éther blanc et noir!

       J'entendais s'échapper, des roses amollies,

       L'éloge de l'altière et mystique folie

       Qui brise le réel pour augmenter l'espoir…

      —O sublime vaisseau de la mélancolie,

       Nul amour ne s'égale aux promesses du soir!

      Le lac, les secs soupirs des grillons dans les plaines,

       Les pleurs minutieux de l'étroite fontaine,

       L'espace recueilli et cependant pâmé,

       Libéraient tout à coup, de ses rêveuses chaines,

       Le désir éternel en mon coeur enfermé;

       Je songeais, par delà les présences humaines;

       Votre voix me devint inutile et lointaine:

      Je n'avais plus besoin de vous pour vous aimer…

      TEL L'ARBRE DE CORAIL…

      Tel l'arbre de corail dans les mers pacifiques,

       Le rose crépuscule, en l'azur transparent

       Jette un feu vaporeux, et mes regards errants

       Boivent ce vin rêveur des soirs mélancoliques!

      Un oiseau printanier, comme un fifre enchanté

       Gaspille de gais cris, acides, brefs, suaves.

       L'univers vit en lui, son ardeur sans entrave

       Hèle, et semble attirer le vaisseau de l'été!

      —Qui veux-tu fasciner, oiseau de douce augure?

       Les morts restent des morts, et les vivants sont las

       D'avoir tant de fois vu, sur de froides figures,

       Le destin qui les guette et qui les accabla!

      Je sens bien que le ciel est tiède; l'étendue

       Balance sur son lac la promesse et l'espoir.

       Une étoile, incitant l'hirondelle éperdue,

       Fait briller son céleste et liquide abreuvoir.

      Et tout est orageux, furtif, païen, mystique;

       Les rêves des humains, aussi vieux que le temps,

       Groupent leur frénésie, hésitante ou panique,

       Dans la vasque odorante et moite du printemps!

      Les nuages pourprés traînent


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