Les vivants et les morts. Anna de Noailles

Les vivants et les morts - Anna de Noailles


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abîme

       Auprès de son envolement!

      —Douleur qui me comblez, chantez, voix infinie!

       Attachez à mon cou vos froids colliers de fer;

       Qu'importent l'esclavage et la dure agonie,

       Je vois les mondes entr'ouverts!

      J'ai vu l'immensité moins vaste que mon être;

       L'espace est un noyau que mon coeur contenait;

       Je sais ce qu'est avoir, je sais ce qu'est connaître,

       J'englobe ce qui meurt et naît!

      L'ange qui fit rêver Jésus sur la montagne,

       Qui lui montra le monde et tenta son esprit,

       M'a, dans les calmes soirs des verdâtres campagnes,

       Tout soupiré et tout appris!

      Serai-je désormais l'ermite magnanime

       Qui vit de son secret, par-delà les humains?

       Pourrai-je conserver, dédaigneuse victime,

       La solitude de mes mains?

      Pourrai-je, quand résonne, ô Printemps, ta cadence,

       Ivre du seul orgueil et des seules pitiés,

       Ecouter la secrète et chaste confidence

       Qui va des soleils à mes pieds?

      O Douleur! je comprends, arrêtez vos batailles:

       Au travers de mes pleurs j'entrevois vos projets;

       Un chaud pressentiment m'éblouit et m'assaille;

       C'est dans ce feu que je plongeais!

      Je sais,—moi qui vous tiens, vous respire, vous touche,

       Moi qui vis contre vous et qui bois votre vin

       Dans un dur gobelet collé contre ma bouche,—

       Quel est votre dessein divin;

      Vous préparez la vie avec vos sombres armes,

       Le corps que vous brisez rêve d'éternité,

       Hélas! les purs sanglots, les tremblements, les larmes

       Aspirent à la volupté!

      SEIGNEUR, POURQUOI L'AMOUR…

      Seigneur, pourquoi l'amour et son divin supplice

       Sont-ils, entre deux coeurs noblement rapprochés,

       Comme un glaive qui rend une inique justice,

       Et qui toujours châtie un mystique péché?

      Tour à tour l'un des deux est votre humble victime,

       Il doute, il est brûlant, bondissant, abattu;

       Les regards hébétés il mesure l'abîme

       Où le buisson ardent parlait, et puis s'est tu…

      —Mon Dieu, dans ces amours, la douleur est si forte

       Que, malgré le courage, on ne peut pas vouloir

       Être celui des deux qui chancelle, et qui porte

       Tout le poids d'un si lourd et cuisant désespoir;

      Faut-il que l'un des deux seulement reste libre,

       Que tour à tour l'on ait le calme ou le désir,

       Et que l'amour ne soit que l'instable équilibre

       D'être celui des deux qui ne va pas mourir?

      Faut-il que l'un des deux brusquement se repose

       Dans le bonheur amer et puissant d'aimer moins,

       Et d'être, à la faveur de cette froide pause,

       Non plus le combattant vaincu, mais le témoin;

      D'être celui des deux qui n'est pas l'humble esclave

       Dont on voit panteler la muette terreur,

       Et dont les yeux, pareils à des torrents de lave,

       Font un don infini de soupirs et de pleurs.

      —On a besoin parfois de la douleur de l'autre,

       De ses bras suppliants, de son front inquiet

       Penché comme celui du plus doux des apôtres

       Sur son céleste ami, qui songe et qui se tait.

      On a besoin de voir sourdre au bord de la vie

       Cet ineffable sang des larmes de cristal,

       Offrande qui toujours répond à notre envie

       D'épier la douleur et son puissant signal;

      —Et moi, qui me revêts de vos grâces précoces,

       Comme un brûlant frelon dans un lis engouffré,

       Cher être par qui j'ai, plus qu'à mon tour, pleuré,

       Pourrai-je pardonner à mon âme féroce

       La paix qui m'envahit quand c'est vous qui souffrez?

      LE CHANT DU PRINTEMPS

      «O Moires infinies, déesses aériennes, dispensatrices

       universelles, nécessairement infligées aux mortels!»

       (Hymnes Orphiques.)

      Le silence et les bruits, soudain, dans l'air humide

       Ont ce soir un accent plus vaste et plus ardent;

       Sur le vent aminci Février fuit, rapide,

       Quelqu'un revient, je sens qu'il vient, c'est le Printemps!

      Hôte mystérieux, il est là sous la terre,

       Il est près du branchage éploré des forêts,

       Il monte, il s'est risqué, il ne peut pas se taire,

       Et son premier frisson répand tous ses secrets!

      —Il passe, mais personne encore sur la route

       Ne peut le soupçonner, je regarde, j'écoute:

      —Oui, je t'ai reconnu, sublime Dépouillé!

       Sordide vagabond sans fleurs et sans feuillage,

       Qui rampes, et répands sur les chemins mouillés

       Cette clarté pensive et ces poignants présages!

      Oui, je t'ai reconnu, ton souffle est devant toi

       Comme un tiède horizon où flotteront les graines;

       Le silence attentif et fourmillant des bois

       S'emplit furtivement de ta languide haleine.

      Oui, je t'ai reconnu à ce trouble du coeur

       Qui arrête ma vie et la rend palpitante,

       Je suis la chasseresse ayant surpris l'odeur

       De la jeune antilope étourdie et courante!

      —Ah! qui me tromperait, Printemps terrible et doux,

       Sur ton subtil arome et sur ta ressemblance,

       Je sais ton nom secret que les lis et les loups

       Proclameront la nuit dans le puissant silence!

      Je sais ton nom profond, chuchoté, recouvert,

       Mystérieux, sournois, débordant, formidable,

       Qui fait tressaillir l'eau, les écorces, les airs,

       Et germer jusqu'aux cieux la cendre impérissable!

      C'est toi l'Eros des Grecs, au rire frémissant,

       Le jeune homme à qui Pan, sonore et frénétique,

       Enseigne


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