Les vivants et les morts. Anna de Noailles

Les vivants et les morts - Anna de Noailles


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Des jardins pleins du vent et des oiseaux des bois,

       Et tout l'azur qui luit dans mon coeur sans limites,

       Mais resserré sur toi.

      Je compte l'âge immense et pesant de la terre

       Par l'escalier des nuits qui monte à tes aïeux,

       Et par le temps sans fin où ton corps solitaire

       Dormira sous les cieux.

      C'est toi l'ordre, la loi, la clarté, le symbole,

       Le signe exact et bref par qui tout est certain,

       Qui dans mon triste esprit tinte comme une obole,

       Au retour du matin.

      —J'ai longtemps repoussé l'approche de l'ivresse,

       L'encens, la myrrhe et l'or que portaient les trois rois;

       Je disais: «Ce bonheur, s'il se peut, ô Sagesse,

       Qu'il passe loin de moi!

      Qu'il passe loin de moi cet odorant calice;

       Même en mourant de soif, je peux le refuser,

       Si la consomption, les orgueils, le cilice

       Protègent du baiser.»

      —Mais le Destin, pensif, alourdi, plein de songes,

       M'indiquait en riant mon martyre ébloui.

       L'avenir aimanté déjà vers nous s'allonge,

       Tout ce qui vit dit oui.

      Tout ce qui vit dit: Prends, goûte, possède, espère,

       Ta conscience aussi trouvera bien son lot,

       Car l'amour, radieux comme un verger prospère,

       Est gonflé de sanglots:

      De sanglots, de soupirs, de regrets et de rage

       Dont il faut tout subir. Quelque chose se meurt

       Dans l'empire implacable et sacré du courage,

       Quand on fuit le bonheur!

      Et je disais: «Seigneur, ce bien, ce mal suprême,

       Ma chaste volonté ne veut pas le saisir,

       Mais mon être infini est autour de moi-même

       Un cercle de désir;

      Des générations, des siècles, des mémoires

       Ont mis leur espérance et leur attente en moi;

       Je suis le lieu choisi où leur mystique histoire

       Veut périr sur la croix.»

      Une âpre, une divine, une ineffable étreinte,

       Un baiser que le temps n'a pas encor donné

       Attendait, pour jaillir hors de la vaste enceinte,

       Que mon désir fût né.

      Dans les puissants matins des émeutes d'Athènes

       Ainsi courait un peuple ivre, agile, enflammé,

       Que la Minerve d'or, debout sur les fontaines,

       Ne pouvait pas calmer…

      —J'accepte le bonheur comme une austère joie,

       Comme un danger robuste, actif et surhumain;

       J'obéis en soldat que la Victoire emploie

       A mourir en chemin:

      Le bonheur, si criblé de balles et d'entailles,

       Que ceux qui l'ont connu dans leur chair et leurs os

       Viennent rêver le soir sur les champs de bataille

       Où gisent les héros…

      JE DORMAIS, JE M'EVEILLE…

      Je dormais, je m'éveille, et je sens mon malheur.

       —Comme un coup de canon qu'on tire dans le coeur,

       Vous éclatez en moi, douleur retentissante!

      Un instant de sommeil est un faible rempart

       Contre la Destinée, assurée et puissante.

      Ne verrai-je jamais vos fraternels regards,

       N'entendrai-je jamais votre voix rassurante?

       Quoi! Même avant la mort, il est de tels départs?

       Qui parle en moi? Mon corps, mes pensers sont épars.

       Je ne distingue plus ma chambre familière;

       Peut-être ma raison a perdu sa lumière?

       Un aussi grand chagrin n'est pas net aussitôt;

       J'essaierai, mais pourrai-je accepter ce fardeau?

      Que seront mes repos, que seront mes voyages

       Si je ne vois jamais l'air de votre visage?

       Mon esprit, comme une âpre et morne éternité,

       Embrasse un monde mort, des astres dévastés.

       Je ne peux plus savoir, tant ma vie est exsangue,

       Si c'est vous, ou si c'est l'univers qui me manque.

       Et même en songe, dans la pensive clarté,

       Je me débats encor pour ne pas vous quitter…

      ON NE PEUT RIEN VOULOIR…

      On ne peut rien vouloir, mais toute chose arrive,

       Je ne vous aime pas aujourd'hui tant qu'hier,

       Mon coeur n'est plus une eau courant vers votre rive,

       Mes pensers sont en moi moins divins, mais plus fiers.

      Je sais que l'air est beau, que c'est le temps qui brille,

       Que la clarté du jour ne me vient pas de vous,

       Et j'entends mon orgueil qui me dit: «Chère fille,

       Je suis votre refuge éternel et jaloux.

      «Quoi, vous vouliez trahir le désir et l'attente?

       Vous vouliez étancher votre soif d'infini?

       Vous, reine du désert, qui dormez sous la tente,

       Et dont le coeur vorace est toujours impuni?

      «Vous qui rêviez la nuit comme un palmier d'Afrique

       A qui le vaste ciel arrache des parfums,

       Vous avez souhaité cet humble amour unique

       Où les pleurs consolés tarissent un à un!

      «Vous avez souhaité la tendresse peureuse,

       L'élan et la stupeur de l'antique animal;

       On n'est pas à la fois enivrée et heureuse,

       L'univers dans vos bras n'aura pas de rival;

      «Comme le Sahara suffoqué par le sable

       Vous brûlerez en vain, sans qu'un limpide amour

       Verse à votre chaleur son torrent respirable,

       Et vous donne la paix que vous fuiriez toujours…»

      —Et, tandis que j'entends cette voix forte et brève,

       Je regarde vos mains, en qui j'ai fait tenir

       Le flambeau, la moisson, l'évangile et le glaive,

       Tout ce qui peut tuer, tout ce qui peut bénir.

      Je regarde votre humble et délicat visage

       Par qui j'ai voyagé, vogué, chanté, souffert,

       Car tous les continents et tous les paysages

       Faisaient de votre front mon


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