Les vivants et les morts. Anna de Noailles
pathétiques!
C'est toi le renouveau, toi par qui l'aujourd'hui
Est différent d'hier comme le jour de l'ombre;
Toi qui, d'un autre bord où ton royaume luit,
Fais retentir vers nous des fanfares sans nombre.
Un ordre plus formel que la soif, que la faim,
Commande par ta voix rapide, active, urgente,
Et du fond des taillis et des gouffres marins
Monte le chaud soupir des bêtes émergeantes!
—Je te suivrai, Printemps, malgré les maux constants,
Je te suivrai, j'irai sans défense et sans armes
Vers ce vague bonheur qui brille au fond du temps
Comme un fixe regard irrité par les larmes!
Je te suivrai, malgré le souvenir des morts,
Malgré tous les vivants engloutis dans mon âme,
Malgré mon coeur qui n'est qu'un gémissant effort,
Malgré mon fier esprit qui résiste et me blâme.
—Mais quoi! ce n'est donc pas le neuf et frais bonheur
Qui ce soir me tentait par son doux sortilège?
Ces espoirs, ces souhaits, ces regrets, ces langueurs,
Hélas! c'est le passé, beau comme un long arpège;
Hélas! c'est le passé, ce courage ingénu,
Ce sublime désir de mourir et de vivre
Que ma jeunesse avait quand je vous ai connu,
Vous, qui fûtes la page insigne dans le livre!
Hélas! c'est le passé, ce parfum dans le vent,
Cet émoi dans les airs, ces grelots des voitures,
Cet orgueilleux besoin d'être encor plus vivant,
Et de recommencer, puisqu'hélas! rien ne dure!
Ainsi je me croyais mêlée au renouveau,
Je ne suis que l'ardente et grave prisonnière
Qui sur ses poignets las sent le poids des anneaux,
Qui pleure sur la route et regarde en arrière!
Hélas! c'est le passé que je cherche toujours,
C'est vers lui que j'allais! Comme s'il est possible
De retrouver le sacre unique de l'amour,
Et d'aborder encore à cette île sensible
Qui, désormais, n'a plus de barques alentour,
Et luit sur l'onde comme un roc inaccessible
Où des archers courants nous ont choisis pour cible…
JE VOUS AVAIS DONNE…
Je vous avais donné tous les rayons du temps,
Les senteurs que l'azur épanche,
Et la lueur que fait, dans le Sud éclatant,
Le soleil sur les maisons blanches!
Je n'ai jamais repris ce que je vous donnais,
Si bien que dans ces jours funestes
Je suis un étranger que nul ne reconnaît,
A qui rien du monde ne reste.
Je vous avais donné les Chevaux du Matin
Qu'un dieu fait boire aux eaux d'Athènes,
Et le sanglot qui naît, sur le mont Palatin,
Du bruit des plaintives fontaines.
Parfois, quand j'apportais entre mes faibles doigts
Le printemps qui luit et frissonne,
Vous me disiez: «Je n'ai de désir que de toi,
Coupe tes mains et me les donne.»
Mais ces dons exaltés n'étaient pas suffisants,
La rose manque à la guirlande,
Je conservais encor la pourpre de mon sang,
Ce soir je vous en fais l'offrande.
—O mon ami, prenez ce sang si gai, si beau,
Si fier, si rapide et si sage,
Qui, dans ses bonds légers, reflétait les coteaux,
Et la nuée à son passage!
Que de mon coeur fervent à vos timides mains
Il coule, abondant et sans lie,
Afin que vous ayez, dans le désert humain,
Une coupe toujours emplie.
Déjà mon front plaintif est moins brillant qu'hier,
Mais la douleur ne rend pas laide,
Le visage est sacré quand il est âpre et fier
Comme les sables de Tolède;
Un visage est sacré quand il s'épuise et meurt
Comme un sol que l'été dévaste,
Sur qui les lourds pigeons et les ombres des fleurs
Font des taches sombres et vastes.
Un destin est sacré quand il a contre lui
Toute une foule qui s'élance,
Et que, sous cet affront, il s'enivre, et qu'il luit
Comme l'olivier et la lance!
Un destin est sacré quand il est ce soldat
Qu'un guerrier somme de se rendre,
Et qui, pressant toujours son fer entre ses bras,
S'écrie en riant: «Viens le prendre!»
—Je ne rendrai qu'à vous les armes de mon coeur.
Mes dieux qui sont en Crète et dans l'île d'Egine,
Permettent que l'extrême et fidèle langueur
A cet excès de grâce et de douceur s'incline,
Mais nul autre que vous, sur les plus durs chemins,
Ne me verra pliant sous l'angoisse divine,
Laissant tomber mon front, laissant pendre mes mains,
Emmêlant mes genoux, telle qu'on imagine
Cléopâtre enchaînée au triomphe romain…
O MON AMI, SOUFFREZ…
O mon ami, souffrez, je saurai par vos larmes,
Par vos regards éteints, par votre anxiété,
Par mes yeux plus puissants contre vous que des armes,
Par mon souffle, qui fait bouger vos volontés,
Par votre ardente voix qui s'élève et retombe,
Par votre égarement, par votre air démuni,
Que ma vie a sur vous cet empire infini
Qui vous attache à moi comme un mort à sa tombe!
O mon ami, souffrons, puisque jamais le coeur
Ne convainc qu'en ouvrant plus large sa blessure;
Puisque l'âme est féroce, et puisqu'on ne s'assure
De l'amour que par la douleur!
NOUS N'AVIONS PLUS BESOIN DE PARLER
Nous n'avions plus besoin de parler, j'écoutais
Le rêve sillonner votre pensif visage;