Les vivants et les morts. Anna de Noailles

Les vivants et les morts - Anna de Noailles


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verrai, déchirant les limbes et leurs portes,

       S'élançant de mes os,

       Un rosier diriger sa marche sûre et forte

       Vers le soleil si beau…

      TU T'ELOIGNES, CHER ÊTRE…

      Tu t'éloignes, cher être, et mon coeur assidu

       Surveille ta présence, au lointain scintillante;

       Te souviens-tu du temps où, les regards tendus

       Vers l'espace, ma main entre tes mains gisante,

       J'exigeai de régner sur la mer de Lépante,

       Dans quelque baie heureuse, aux parfums suspendus,

       Où l'orgueil et l'amour halettent confondus?

      A présent, épuisée, immobile ou errante,

       J'abdique sans effort le destin qui m'est dû.

       Quel faste comblerait une âme indifférente?

      Je n'ai besoin de rien, puisque je t'ai perdu…

      J'ESPÈRE DE MOURIR…

      J'espère de mourir d'une mort lente et forte,

       Que mon esprit verra doucement approcher

       Comme on voit une soeur entrebâiller la porte,

       Qui sourit simplement et qui vient vous chercher.

      Je lui dirai: Venez, chère mort, je vous aime,

       Après mes longs travaux, voici vos nobles jeux.

       J'ai longtemps refusé votre secours suprême,

       Car si le corps est las, l'esprit est courageux.

      Mais venez, délivrez un courage qui s'use,

       Abrégez le combat, rendez à l'univers

       L'immense poésie embuée et confuse

       Dont mon âme et mon corps ont si longtemps souffert!

      Les torrents des rochers, le sable blond des rives,

       Les vaisseaux balancés, l'Automne dans les bois,

       Les bêtes des forêts, surprises et captives,

       Méditaient dans mon coeur et gémissaient en moi!

      O mort, laissez-les fuir vers la forêt puissante,

       Ces fauves compagnons de mon silence ardent!

       Que leur native ardeur, féroce et caressante,

       Peuple la chaude nuit d'un murmure obsédant.

      Ce n'était pas mon droit de garder dans mon être

       Un aspect plus divin de la création;

       De savoir tout aimer, de pouvoir tout connaître

       Par les secrets chemins de l'inspiration!

      Ce n'était pas mon droit, aussi la destinée,

       Comme un guerrier sournois, chaque jour, chaque nuit,

       Attaquait de sa main habile et forcenée

       Le sublime butin qui me comble et me nuit.

      Mais venez, chère mort; mon âme vous appelle,

       Asseyez-vous ici et donnez-moi la main.

       Que votre bras soutienne un front longtemps rebelle,

       Et recueille la voix du plus las des humains:

      —Prenez ces yeux, emplis de vastes paysages,

       Qui n'ont jamais bien vu l'exact et le réel,

       Et qui, toujours troublés par de changeants visages,

       Ont versé plus de pleurs que la mer n'a de sel.

      Prenez ce coeur puissant qu'un faible corps opprime,

       Et qui, heurtant sans fin ses étroites parois,

       Eut l'attrait du divin et le pouvoir des cimes,

       Et s'élevait aux cieux comme la pierre choit.

      Ah! vraiment le tombeau qui dévore et qui ronge,

       Le sol, tout composé d'étranges corrosifs,

       L'ombre fade et mouillée où les racines plongent,

       Le nid de la corneille au noir sommet des ifs,

      Pourront-ils m'accorder cette paix sans seconde,

       Sommeil que mon labeur tenace a mérité,

       Et saurai-je, en mourant, restituer au monde

       Ce grand abus d'amour, de rêve et de clarté?

      Hélas! je voudrais bien ne plus être orgueilleuse,

       Mais ce que j'ai souffert m'arrache un cri vainqueur.

       Pour élancer encor ma voix tempétueuse

       Il faudrait une foule, et qui n'aurait qu'un coeur!

      QUE M'IMPORTE AUJOURD'HUI…

      Que m'importe aujourd'hui qu'un monde disparaisse!

       Puisque tu vis, le temps peut glacer les étés,

       Rien ne peut me frustrer de la sainte allégresse

       Que ton corps ait été!

      Même lorsque la mort finira mon extase,

       Quand toi-même seras dans l'ombre disparu,

       Je bénirai le sol qui fut le flanc du vase

       Où tes pieds ont couru!

      —Tu viens, l'air retentit, ta main ouvre la porte,

       Je vois que tout l'espace est orné de tes yeux,

       Tu te tais avec moi, que veux-tu qu'on m'apporte,

       A moi qui suis le feu?

      La nuit, je me réveille, et comme une blessure,

       Mon rêve déchiré te cherche aux alentours,

       Et je suis cet avare éperdu, qui s'assure

       Que son or luit toujours.

      Je constate ta vie en respirant, mon souffle

       N'est que la certitude et le reflet du tien,

       Déjà je m'enfuyais de ce monde où je souffre,

       C'est toi qui me retiens.

      Parfois je t'aime avec un silence de tombe,

       Avec un vaste esprit, calme, tiède, terni,

       Et mon coeur pend sur toi comme une pierre tombe

       Dans le vide infini!

      J'habite un lieu secret, ardent, mystique et vague

       Où tout agit pour toi, où mon être est néant;

       Mais le vaisseau alerte est porté par la vague,

       Je suis ton Océan!

      Autrefois, étendue au bord joyeux des mondes,

       Déployée et chantant ainsi que les forêts,

       J'écoutais la Nature, insondable et féconde,

       Me livrer des secrets.

      Je me sentais le coeur qu'un Dieu puissant préfère,

       L'anneau toujours intact et toujours traversé

       Qui joint le cri terrestre aux musiques des sphères,

       L'avenir au passé.

      A présent je ne vois, ne sens que ta venue,

       Je suis le matelot par l'orage assailli

       Qui ne regarde plus que le point de la nue

       Où


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