Les vivants et les morts. Anna de Noailles

Les vivants et les morts - Anna de Noailles


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Où le verdâtre ciel, gisant dans les cyprès,

       Semble un pan du manteau que la Vierge abandonne

       A quelque ange éperdu qui le baise en secret.

      Vous n'êtes plus la France et le doux soir d'Hendaye,

       La cloche, les passants, le vent salé, le sol,

       Toute cette vigueur d'un rocher qui tressaille

       Au son du fifre basque et du luth espagnol;

      Vous n'êtes plus l'Espagne, où, comme un couteau courbe

       Le croissant de la lune est planté dans le ciel,

       Où tout a la fureur prompte, funèbre et fourbe

       Du désir satanique et providentiel.

      Vous n'êtes plus ces bois sacrés des bords de l'Oise,

       Ce silence épuré, studieux, musical,

       Ce sublime préau monastique, où l'on croise

       Le songe d'Héloïse et les yeux de Pascal.

      Vous n'êtes plus pour moi les faubourgs du Bosphore

       Où le veilleur de nuit, compagnon des voleurs,

       Annonce que le temps coule de son amphore

       Pesant comme le sang et chaud comme les pleurs.

      —Ces soleils exaltés, ces oeillets, ces cantiques,

       Ces accablants bonheurs, ces éclairs dans la nuit,

       Désormais dormiront dans mon coeur léthargique

       Qui veut se repentir autant qu'il vous a nui;

      Allez vers votre simple et calme destinée;

       Et comme la lueur d'un phare diligent

       Suit longtemps sur la mer les barques étonnées,

       Je verserai sur vous ma lumière d'argent…

      UN JOUR, ON AVAIT TANT SOUFFERT…

      Un jour, on avait tant souffert, que le coeur même,

       Qui toujours rebondit comme un bouclier d'or,

       Avait dit: «Je consens, pauvre âme et pauvre corps,

       A ce que vous viviez désormais comme on dort,

       A l'abri de l'angoisse et de l'ardeur suprême…»

      Et l'on vivait; les yeux ne reconnaissaient pas

       Les matins, la cité, l'azur natal, le fleuve;

       Toute chose semblait à la fois vieille et neuve;

       Sans que le pain nourrisse et sans que l'eau abreuve

       On respirait pourtant, comme un feu mince et bas.

       Et l'on songeait: du moins, si rien n'a plus sa grâce,

       Si ma vie arrachée a rejoint dans l'espace

       Le morne labyrinthe où sont les Pharaons;

       Si je suis étrangère à ma voix, à mon nom;

       Si je suis, au milieu des raisins de l'automne,

       Un arbre foudroyé que la récolte étonne,

       Je ne connaîtrai plus ces supplices charnels

       Qui sont, de l'homme au sort, un reproche éternel.

       Calme, lasse, le coeur rompu comme une cible,

       J'entrerai dans la mort comme un hôte insensible…

      —Mais les fureurs, les pleurs, les cris, le sang versé,

       Les sublimes amours qui nous ont harassés,

       Les fauves bondissants, témoins de nos délires,

       Ont suivi lentement le doux chant de la lyre

       Jusque sur la montagne où nous nous consolions;

       Les voici remuants, les chacals, les lions

       Dont la soif et la faim nous font un long cortège…

       —J'avais cru, mon enfant, que le passé protège,

       Que l'esprit est plus sage et le coeur plus étroit,

       Que la main garde un peu de cette altière neige

       Que l'on a recueillie aux sommets purs et froids

       Où plane un calme oiseau plus léger que le liège.

       Mais hélas! quel orage étincelant m'assiège?

       Lourde comme l'Asie et ses palais de rois,

       Je suis pleine de force et de douleur pour toi!

      JE ME DEFENDS DE TOI…

      Je me défends de toi chaque fois que je veille,

       J'interdis à mon vif regard, à mon oreille,

       De visiter avec leur tumulte empressé

       Ce coeur désordonné où tes yeux sont fixés.

       J'erre hors de moi-même en négligeant la place

       Où ton clair souvenir m'exalte et me terrasse.

       Je refuse à ma vie un baume essentiel.

       Je peux, pendant le jour, ne pas goûter au miel

       Que ton rire et ta voix ont laissé dans mon âme,

       Où la plaintive faim brusquement me réclame…

       —Mais la nuit je n'ai pas de force contre toi,

       Mon sommeil est ouvert, sans portes et sans toit.

       Tu m'envahis ainsi que le vent prend la plaine.

       Tu viens par mon regard, ma bouche, mon haleine

       Par tout l'intérieur et par tout le dehors.

       Tu entres sans débats dans mon esprit qui dort.

       Comme Ulysse, pieds nus, débarquait sur la grève;

       Et nous sommes tout seuls, enfermés dans mon rêve.

       Nous avançons furtifs, confiants, hasardeux,

       Dans un monde infini où l'on ne tient que deux.

       Un mur prudent et fort nous sépare des hommes,

       Rien d'humain ne pénètre aux doux lieux où nous sommes.

       Les bonheurs, les malheurs n'ont plus de sens pour nous;

       Je recherche la mort en pressant tes genoux,

       Tant mon amour a hâte et soif d'un sort extrême,

       Et tu n'existes plus pour mon coeur, tant je t'aime!

       Mon vertige est scellé sur nous comme un tombeau.

       —Ce terrible moment est si brûlant, si beau,

       Que lorsque lentement l'aube teint ma fenêtre,

       C'est en me réveillant que je crois cesser d'être…

      LA DOULEUR

      «Lion, supporte avec courage ton sort intolérable!»

       HERODOTE.

      Quand la douleur est vaste, ardente, sans mélange,

       Quand elle aveugle ainsi qu'un ténébreux soleil,

       Elle est dans l'eau qu'on boit et dans le pain qu'on mange,

       Et dans les rideaux du sommeil!

      Comme l'odeur du sel sur les routes marines,

       Comme les chauds parfums de Corse ou d'Orient,

       Elle emplit le poumon, étourdit la narine,

       Et griffe ainsi qu'un diamant!

      Les arceaux de l'azur, le fier tranchant des cimes,

      


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