Histoire de la République de Gênes. Emile Vincens

Histoire de la République de Gênes - Emile Vincens


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Mais si la royauté de Barisone était caduque, Gênes perdait avec ses premiers frais tout le fruit de sa politique. On avait connivé à la vanité de ce petit prince dans la vue de se faire de lui une puissante créature en Sardaigne; la dérision et le mépris allaient tomber du protégé sur les protecteurs. L'intérêt et l'amour-propre étaient blessés; l'amour-propre national dicta la réponse.

      On retourna donc à Barberousse, et, marchandant d'abord, on essaya de faire accorder de longs délais sous la caution des Génois. L'impatient empereur jura que s'il n'était payé à l'instant, il enlèverait Barisone et le conduirait en Allemagne. Les consuls génois furent forcés de prendre des arrangements plus effectifs. L'empereur fut payé; Barisone, libéré envers un créancier, resta entre les mains d'un autre, moins violent que le premier, mais non moins attentif à ses sûretés. Le roi dut promettre de fournir des garanties en arrivant à Gênes.

      Mais là, il n'avait pas plus qu'à Pavie les moyens de s'acquitter. Toutes ses ressources étaient en Sardaigne. Les consuls s'en convainquirent avec d'autant plus de regret que pour le secourir il avait fallu mettre les propriétés de la république en gage entre les mains des citoyens les plus riches. On sentit douloureusement surtout la nécessité d'ajouter de nouveaux deniers à ceux qu'on avait fournis. Barisone, en présence des Pisans, ne pouvait passer dans son royaume sans forces et sans appareil. Il demandait un nouveau prêt pour armer sept galères et trois grands vaisseaux, pour solder des troupes, des archers. Pendant ces préparatifs il vivait à Gênes avec un faste royal. Il montrait gratitude et magnificence. Il souscrivait un acte authentique qui accordait aux Génois les privilèges les plus étendus, les plus exclusifs, dans toute la Sardaigne. Il prodiguait les investitures de ses terres aux citoyens les plus distingués, et probablement à ceux qui lui prêtaient de l'argent, car, en tout, il se trouva devoir jusqu'à vingt-quatre mille livres, tant à la commune qu'aux particuliers. Ainsi un petit prince riche se vit tout à coup devenu un roi pauvre et nécessiteux, destiné à vivre prisonnier pour dettes, soit sur le territoire des étrangers, soit sur leurs vaisseaux.

      Picamilia, l'un des consuls, assisté de prudents et vigilants personnages, monta sur la flotte préparée afin d'amener le nouveau roi dans sa capitale d'Arborea avec l'honneur dû à sa couronne; mais les instructions portèrent de ne pas souffrir son débarquement que le payement de sa dette ne fût effectué et l'argent mis en sûreté à bord des galères.

      On arriva devant Arborea. Le roi assura que le payement allait être fait, et il fit passer à terre ses ordres portés par des envoyés génois. Ils revinrent annoncer qu'il ne leur avait pas même été permis de débarquer. Les officiers du roi, sa femme même, avaient signifié qu'on ne payerait rien avant que Barisone leur eût été librement rendu. Il offrit de faire cesser ce malentendu sur-le-champ; il lui suffisait d'aller à terre. Mais les Génois n'étaient pas disposés à le laisser sur sa bonne foi; pendant cette négociation ils demandaient au roi de faire du moins apporter des vivres sur les vaisseaux, puisque le retard qu'on mettait à remplir ses engagements prolongeait le séjour à la mer. Le roi promettait chaque jour; mais les approvisionnements n'arrivaient pas. La saison devenait mauvaise. Picamilia craignit qu'on ne lui dérobât la personne qui lui était confiée en gage, et, se défiant de Barisone, des Sardes, des Pisans et d'une surprise, il remit à la voile pour Gênes, et y ramena le royal débiteur. Là il fut consigné à quelques nobles qui en répondirent. La république leur assigna une pension pour son entretien et pour les frais de garde.

      (1165) Les Génois et les Pisans étaient intéressés de trop près et trop en contact dans cette affaire pour qu'entre eux la trêve pût subsister, La cargaison d'un vaisseau naufragé retenue par les Pisans avait ému une querelle, et donné occasion de tenir pour la débattre un congrès à Porto- Venere. Les Pisans ne pouvaient se refuser à la restitution: mais ils opposaient qu'il fallait d'abord régler d'autres comptes. Les Génois en bons marchands, qui déjà ne manquaient pas de légistes exercés pour consulteurs, soutenaient qu'il fallait avant tout solder le compte liquide et la dette reconnue. Enfin le consul de Pise éleva la vraie prétention. Gênes, disait-il, a commis la première violence et rompu la trêve en retenant prisonnier Barisone vassal des Pisans. Le consul génois, sans s'arrêter à discuter les qualités, répondit que s'il en était ainsi, et s'ils voulaient que leur vassal fût libre, ils payassent sa dette. Le Pisan sembla prêt à consentir à ce marché. Mais quand, dans le cours des explications, il entendit porter la somme à vingt-huit mille livres, il reprocha à l'avare créancier d'avoir fait recevoir pour argent, des poivres et du coton à des prix doubles et triples de leur valeur véritable, et déclara que sa ville n'était pas assez riche pour se charger d'un tel fardeau. Il offrait seulement d'obliger les sujets de Barisone à reconnaître la dette et à jurer de l'acquitter. Puis il offrait six mille marcs; les Sardes auraient fait le reste. Un incident vint troubler cette singulière négociation marchande.

      Un Pisan, exilé de son pays et réfugié à Gênes, s'y était fait corsaire. Sa galère parut tout à coup à Porto-Venere. Le consul génois craignit qu'on ne lui imputât les violences que l'armateur irait commettre au milieu des conférences d'une paix. Il l'astreignit à jurer de s'abstenir de toute voie de fait jusqu'à nouvel ordre, et lui-même il cautionna cette promesse au consul de Pise. Mais celui-ci ne se crut tenu d'aucun ménagement pour châtier un transfuge rebelle. Il fit venir secrètement une galère de sa république, et le corsaire se vit attaqué. Le consul génois accourut dans un canot et fut témoin d'un furieux combat (1166): la galère pisane était abordée par le corsaire. Le consul de Pise qui s'y était rendu se jeta à la mer pour sauver sa vie à la nage. Recueilli par le consul de Gênes, il supplia celui-ci de monter sur le bord, pour arrêter le carnage. Le Génois le crut, et une blessure presque mortelle fut le prix de son dévouement. Cependant, après avoir reproché au magistrat pisan son imprudence et sa perfidie, il le renvoya libre et les autres prisonniers avec lui. Il se contenta d'emmener à Gênes la galère prise.

      Peu après les Pisans tentèrent une autre voie. Ils dépêchèrent secrètement des négociateurs en Allemagne, et traitèrent avec l'archevêque de Mayence. Quand Frédéric revint en Italie, ils parurent devant sa cour. Là ils représentaient qu'ils avaient payé au fisc impérial, entre les mains de l'archevêque, treize mille livres, et qu'à ce prix celui-ci leur ayant donné de sa part l'investiture de la Sardaigne, leur avait fait serment qu'il serait ordonné aux Génois de s'abstenir de tout rapport avec cette île. Le Mayençais attesta que telle était la vérité et qu'il avait ainsi juré par ordre de l'empereur. Frédéric reconnut le fait, et, s'adressant aux consuls génois, il leur intima d'abandonner la Sardaigne aux Pisans. Les consuls de Gênes présents étaient Hubert Spinola et Simon Doria, hommes de coeur et habiles. Sans s'intimider, ils répondirent à l'archevêque qu'il avait mal et injustement conseillé l'empereur; à l'empereur qu'il était trop juste pour avoir voulu donner ce qui ne lui appartenait pas; qu'il oubliait sans doute que l'investiture royale avait été solennellement conférée à Barisone; que Gênes avait d'ailleurs des droits supérieurs et incontestables, qu'elle ne saurait en être dépouillée sans jugement, et que si avant qu'il en eût été régulièrement décidé, les parties entendues, les Pisans se prévalaient d'une concession de pure faveur, aucun respect n'empêcherait de les chasser comme usurpateurs du bien d'autrui.

      L'empereur, indifférent au fond de la querelle, pourvu qu'il n'eût à rendre ni les treize mille livres ni les quatre mille marcs, convint qu'il avait couronné Barisone, qu'il l'avait fait sans préjudice du droit des Génois, le nouveau roi ayant consenti à cette réserve. En voulant gratifier Pise, il n'avait pas entendu dépouiller les Génois de ce qui serait à eux, et la chose devait être examinée. Alors les parties essayèrent de produire ce qu'elles regardaient comme leurs titres; mais, à ce qu'avançait une partie, l'autre opposait d'abord des dénégations, enfin des démentis: un défi en fut la suite. Frédéric fit apporter l'Evangile et ordonna que deux Pisans et deux Génois jurassent de vider la querelle en un combat singulier, tel qu'il se réservait de l'ordonner. Comme il s'agissait d'en marquer le terme. «Les Pisans et nous, dit Spinola, nous devons marcher ensemble à l'expédition que l'empereur projette; son service ne doit pas souffrir de nos débats. Nous sommes prêts à jurer de ne faire dommage à nos adversaires ni dans leurs personnes ni dans leurs biens pendant la durée de la campagne et un mois après le retour. Qu'ils s'engagent


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