Histoire de la République de Gênes. Emile Vincens
des Pisans pour un salaire supérieur à celui qu'il avait accepté de Grillo. Il fallut donc que les Génois renonçassent à l'espérance de brûler la flotte pisane ou de la combattre. Ils se contentèrent de séjourner deux jours pour braver tous les ennemis. Personne ne vint les assaillir. Ils payèrent largement les secours que les habitants d'un lieu voisin (les Baux) leur avaient prêtés. Ensuite ils redescendirent le Rhône. A leur grande surprise, il était barricadé devant Arles. Ils se préparaient à s'ouvrir la voie par force, mais le comte de Provence accourut pour leur donner les explications les plus amicales; l'obstacle avait été élevé en son absence et sans son aveu; il en ordonnait la destruction, et la ville d'Arles prêterait toute assistance au consul. Les galères séjournèrent quelques semaines autour de cette ville. Grillo tenta d'y conclure une alliance offensive contre les Pisans; mais le comte de Provence était engagé en trop de rapports avec le comte de Toulouse pour porter la guerre sur le territoire de ce voisin. Il promit seulement de n'admettre aucun vaisseau pisan dans ses ports pendant un espace de temps déterminé. Il reçut quatre mille livres de sa monnaie de Melgueil pour cette promesse et pour les services qu'il avait rendus.
Dans ces expéditions annuelles, toujours présidées par un des consuls de Gênes en personne, on ne négligeait rien pour se faire des alliances profitables, et pour éliminer, s'il était possible, les concurrents du commerce. Ainsi un traité d'alliance fut conclu avec Narbonne (1166). Deux frères, chargés des pouvoirs de l'archevêque et de la vicomtesse Ermengarde, vinrent à Gênes en jurer l'observation, circonstance qui rend doublement singulier le silence que les annalistes de Gênes gardent sur cette transaction. On a conservé à Narbonne tant l'instrument qui contenait les promesses des Génois que la copie qu'y rapportèrent les députés, des engagements que Narbonne avait contractés envers Gênes1. Cet acte vaut la peine d'être mentionné pour faire voir que les abus de la force érigés en droit maritime sont fort anciens.
L'alliance ou la paix est pour cinq ans: la paix, car c'est ainsi que parlent tous ces traités, comme si l'état naturel était la guerre tant que des conventions n'étaient pas intervenues, et c'est encore le principe fondamental du droit des gens chez les puissances barbaresques.
Les personnes et les propriétés sont garanties: et l'on a soin de marquer que c'est jusqu'au terme du même délai, qu'en cas de naufrage il y aura assistance et que les effets sauvés seront restitués au propriétaire.
Les droits de navigation et de commerce seront réciproquement reportés aux tarifs en usage vingt-six ans en arrière: toute augmentation postérieure est annulée et l'on ne mettra pas d'imposition nouvelle. Malgré la réciprocité apparente, la stipulation était toute au profit des Génois, qui commerçaient plus sur la côte de Languedoc que les Narbonnais en Ligurie.
Les gens de Narbonne pourront naviguer comme les Génois et s'associer avec eux, mais ils ne pourront entreprendre le transport des pèlerins de la terre sainte. Une fois l'an seulement un navire unique pourra partir pour cette destination, à condition que les pèlerins reçus à son bord ne seront ni templiers, ni hospitaliers, ni de Montpellier, ni de Saint- Gilles, ni de la Provence entre le Rhône et Nice.
Dans les autres voyages, les Narbonnais ne peuvent transporter ni les personnes ni les effets, si ce n'est de leurs compatriotes. Ils pourront cependant prendre au dehors les hommes salariés dont ils auront besoin pour la navigation, pourvu qu'aucun de ceux-ci n'embarque sur le vaisseau pour plus de dix livres de valeur. On pourra aussi donner passage à ceux qui iraient racheter des prisonniers, et à l'argent des rançons. Mais cette destination doit être justifiée par serment. Quant aux Pisans, tant qu'ils seront en guerre avec Gênes, ils ne seront reçus eux ni leurs biens; si les Génois en découvrent sur des bâtiments de Narbonne, les enlever, sans porter d'ailleurs de préjudice aux Narbonnais, ne sera pas enfreindre la paix.
(1167) Par de telles alliances les Génois étaient impliqués dans les intrigues et mêlés aux querelles des pays qu'ils fréquentaient. Rodoan de Mauro, consul, fit un traité avec Alphonse II, roi d'Aragon, comte de Barcelone. Ce roi avait enlevé à Raymond, comte de Toulouse, l'héritage du comte de Provence qui venait de mourir. Raymond le revendiquait encore, et il avait occupé un château2 en Camargue, sur tes confins de ses propres États. L'Aragonais acheta pour en faire le siège, l'assistance des Génois, de leurs galères et de leurs machines. Pour prix de ce service il s'engagea à fermer son royaume et ses terres aux Pisans, à s'emparer de la personne et des biens de ceux qu'on y trouverait, à partager ces dépouilles avec les Génois. Ce contrat reçut son exécution. Deux navires pisans entrèrent à Barcelone, on les saisit, et la moitié de la confiscation fut remise au consul génois.
(1174) Quelques années plus tard, il se fit une paix entre la république et le comte de Saint-Gilles3. Des exemptions de droits et des privilèges furent concédés dans tous les ports du comte, de Narbonne à Monaco; car Raymond agissait comme maître de la Provence, et il faisait bon marché d'un héritage qui lui échappait. Le traité portait une sorte de renonciation à la liberté du commerce maritime pour les Provençaux, comme Gênes l'avait exigée des Narbonnais.
Les navigateurs génois et leurs nobles armateurs étaient, dans ces temps, en perpétuel contact avec les seigneurs du littoral. On trouve un Grimaldi, amiral génois, déclaré par Raymond son lieutenant général, dans une expédition contre les Nissards révoltés4. Les Vento, les Grillo fréquentent la Provence, y forment des établissements; ils y sont au premier rang des nobles du pays5, et leurs descendants s'y sont maintenus jusqu'à nos jours.
Une des années de la guerre pisane fut marquée pour les Génois par plusieurs disgrâces. Leur flotte prit la fuite devant l'ennemi. Dans d'autres rencontres plusieurs de leurs galères furent prises, et l'annaliste n'indique que trop la cause de ces pertes. La ville était alors en proie aux factions, et la division était passée sur les flottes. Dans une occasion où se trouvaient ensemble des galères armées par des propriétaires de partis opposés, une portion aima mieux se rendre à l'ennemi que d'appeler ou de recevoir les secours de leurs compétiteurs.
Pendant ces expéditions maritimes, Frédéric était aux prises avec la ligue lombarde soulevée contre lui. Il avait été obligé d'aller chercher une armée en Allemagne pour réduire ces confédérés. A son retour, il trouvait le pape Alexandre devenu le chef de leur alliance et rentré dans Rome réconcilié avec ses Romains. On commençait à relever les murs de Milan. Quinze villes de plus entraient dans l'alliance. Frédéric ouvrit les hostilités en assiégeant Ancône. Ses deux archichanceliers étaient vers Rome, et ils pressaient l'empereur d'y marcher rapidement sans perdre du temps à un siège.
Gênes et Pise étaient toujours réputées dans l'obéissance de l'empereur. C'était, à Gênes du moins, avec une médiocre affection. Ou n'y voulait rendre de soumission que ce qu'il en fallait pour n'être pas rebelle. La république était engagée, comme on l'a vu, à fournir une flotte pour attaquer la Sicile. La première fois que Barberousse avait reparu en Italie après ce traité, des ambassadeurs étaient venus lui demander ses ordres pour cette expédition qu'au fond on était loin de désirer. L'empereur n'était pas en mesure et on le savait d'avance. Il avait remis de s'expliquer à un autre temps, et, après avoir fait assigner des entrevues à Fano, à Parme, à Pavie, il n'en avait plus été question. Maintenant, en marchant sur Rome, il mandait à Pise et à Gênes de lui envoyer promptement des soldats. Les Pisans répondirent qu'en guerre avec les Génois, ils ne sauraient marcher sous les mêmes drapeaux; mais ils offraient de doubler leur contingent, si l'on excluait leurs ennemis de l'armée impériale, et Frédéric reçut favorablement leur offre. Les Génois offrirent de marcher quoiqu'ils n'eussent aucune obligation de servir ailleurs que sur la mer; mais ils demandaient que l'empereur leur fît rendre leurs prisonniers retenus à Pise, et qu'il portât enfin la sentence trop longtemps suspendue qu'il s'était réservé de rendre entre les deux villes rivales. Frédéric différa de leur répondre. Il attendait ces doubles secours que les Pisans devaient lui envoyer; mais bientôt les épidémies, communes autour de Rome, mirent son armée en péril, il ne pensa plus qu'à la retraite, et, regagnant la Toscane, il se déroba secrètement aux ennemis qui menaçaient de lui fermer ce passage (1168). Cette fuite valut de nouveaux confédérés à la ligue. Elle bâtit enfin dans les plaines du Piémont la nouvelle Alexandrie élevée au nom