Histoire de la République de Gênes. Emile Vincens

Histoire de la République de Gênes - Emile Vincens


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qu'il renouvelle les privilèges des Génois, avec la faculté de bâtir une église dans Tyr et une tour dans Acre5.

      (1150 - 1190) On voit que la politique ne leur manquait pas plus que l'activité. On naviguait, on trafiquait de tout côté, et, dans les années plus funestes de guerres et de soulèvements, l'annaliste répète volontiers que les vaisseaux marchands allèrent au trafic comme en pleine paix. On expédiait partout où la négociation pouvait être profitable. On envoyait des flottes partout où leur présence pouvait appuyer les ambassades. Un envoyé fut dépêché à Mohadin, roi des côtes d'Afrique, qui résidait à Maroc. Ce prince accorda aux Génois la paix et la liberté du commerce dans tous ses États. Les droits de douane furent réglés pour eux à 8 pour cent, excepté à Bougie où l'on percevait 10 pour cent, dont deux étaient restitués à un chancelier que la république y établit, arrangement singulier qui associait les Génois aux profits de l'impôt levé sur leurs marchands dans un port étranger: ce revenu fut affermé dans la suite parmi les ressources du trésor.

      (1181) Nous avons déjà parlé d'un traité avec le roi more de Valence en 11496. Rodoan de Moro conclut une paix de dix ans avec Abon Ibrahim, seigneur des Baléares7. Quelques années après (1188), Lecanozze obtint du nouveau maître de ces îles des privilèges, avec les concessions d'une église, de magasins, de bain gratuit une fois la semaine, exemption de certains droits, sauvegarde et réception favorable tant en Espagne qu'au pays de Garba en Afrique. L'émir se réserva un seul point, celui de se faire justice sur les Génois qu'il trouverait parmi ses ennemis. (1200 - 1208) En aucun temps on ne néglige de cultiver les relations avec l'Égypte. Rosso della Volta y fit un traité avec Saladin. Les successeurs de ce prince furent visités par les hommes les plus importants de la république, par Foulques de Castello, par Guillaume Spinola. Le dernier avait été demandé par le soudan; lé premier avait rapporté des présents considérables en allant solliciter la liberté de quelques prisonniers. On ne l'obtint pas, mais on se concilia la tolérance du commerce. C'est ainsi qu'après que les chrétiens eurent été chassés de la Palestine, les Génois trouvèrent des amis et des liaisons profitables parmi les Sarrasins.

      (1201) A l'extrémité de la Syrie opposée à l'Égypte, ils obtinrent de nouveaux établissements à peu près à la même époque, et avec ces mêmes concessions qui constituaient leur colonie de la terre sainte. Des princes chrétiens, chassés par les mahométans de la grande Arménie, s'étaient retirés dans la petite. Ils avaient enlevé à l'empereur de Constantinople plusieurs villes de Cilicie. Ils briguaient la dignité royale: les Génois secondèrent, et probablement transportèrent les ambassadeurs qui allaient solliciter auprès de l'empereur d'Allemagne le titre de roi pour leur maître. Léon, de la famille des Ruppins, obtint en effet cette couronne. Ce prince et ses successeurs montrèrent leur reconnaissance envers les Génois, en leur accordant le privilège et l'autorité du consulat8.

      Nous avons vu Gênes cultiver l'amitié de l'empereur de Constantinople et recevoir de lui des privilèges aussi magnifiques que lucratifs. Mais l'exécution n'avait pas répondu aux promesses: Ami de Morta fut envoyé pour la hâter. On demandait les établissements promis et les subsides annuels qui avaient été stipulés, et probablement des indemnités pour le dommage que l'empereur avait paisiblement laissé porter aux Génois par les Pisans. L'ambassadeur, après deux ans d'absence (1170), était attendu à Gênes, quand deux délégués de l'empereur y arrivèrent avant lui. Ils parlèrent dans les termes les plus choisis de l'amitié de leur maître, et ils étalèrent cinquante-six mille perperi qu'il envoyait aux Génois. La somme était d'un grand attrait au milieu des embarras du temps; un des traits les plus marqués du caractère génois, la méfiance, l'emporta. Il a toujours régné dans leur pays un scrupule excessif de porter atteinte au moindre droit litigieux: crainte superstitieuse, si l'on peut parler ainsi, qui introduit les conseils du légiste dans la politique et dans les transactions journalières du commerce. On refusa l'argent tant que Morta ne fut pas de retour; on le refusa encore quand, à son arrivée, il assura que l'offre des ambassadeurs n'était pas égale au dernier mot de leurs instructions. Morta, qui, à ce que raconte l'annaliste, très-bien accueilli à Constantinople, en revenait fort riche, y fut renvoyé sur les pas des ambassadeurs grecs pour ôter tout malentendu sur la quotité de l'indemnité (1180)9. Nous ne savons si l'argent fut recouvré, mais huit ou neuf ans plus tard Morta négocia encore un traité avec Alexis Comnène qui avait succédé à Manuel. Le procès-verbal de la prise de possession des établissements concédés aux Génois et la description des lieux sont conservés dans les archives de Gênes. On y trouve aussi les instructions données postérieurement à un autre ambassadeur (1201)10: il était chargé d'aller demander, avec un peu plus de facilités pour le commerce, un rabais sur les droits, et surtout de réclamer justice en faveur des Génois créanciers des Grecs. Il lui est imposé, au surplus, de rapporter au trésor six cents perperi sur les dons que lui fera l'empereur. Mais c'était le temps des sanglantes révolutions d'Alexis III, d'Isaac Lange et de l'usurpateur Murzufle. Probablement la négociation n'avança pas, et peu après, la conquête des Latins vint renverser toutes choses.

      On voit que les hommes qui, consuls ou conseillers, s'occupaient des affaires de l'État ne manquaient ni de soin ni de vigilance. Dans une année (1163) où il n'y avait pas d'arriéré, le budget de la république se montait à six mille huit cent cinquante livres en recette et en dépense. La somme était devenue bien médiocre pour le temps et pour la circonstance. Quand un délégué impérial vendait son appui pour deux ou trois mille livres, il est évident qu'il fallait d'autres ressources. On remarque cependant que jamais dans ces temps difficiles un parti convenable à la sûreté ou à l'honneur du pays ne manqua faute d'argent. La bourse des particuliers suppléait sans difficulté à l'épargne épuisée, et c'est ainsi que les richesses privées servaient au bien public. Rien n'empêche de croire que, parmi les citoyens opulents, il y en eut de généreux, capables de sacrifices désintéressés à la patrie; mais communément, il fallait recourir aux emprunts; les prêteurs exigeaient des gages; ils s'emparaient des diverses branches des revenus publics afin d'assurer leurs remboursements par leurs propres mains.

      Quand autrefois la république était bornée aux expéditions maritimes, le plus souvent elle n'avait qu'à laisser aux particuliers le soin de s'en charger. L'appât des captures espérées suscitait assez d'armateurs volontaires et d'hommes qui spéculaient sur le profit à faire en s'associant à l'entreprise. Les flottes partaient sans exiger beaucoup d'avances du trésor public. Quand on s'étendait davantage, ou quand il convenait d'aller établir des croisières qui promettaient peu de profits directs, il fallait bien que l'État armât à ses frais. A cette occasion commencèrent les emprunts. Le premier qui nous est signalé eut pour cause l'expédition d'Almérie; mais le butin de cette ville et celui de Tortose surpassèrent la dépense. Toutes les expéditions n'étaient pas si lucratives: celles de Grillo aux bouches du Rhône coûta sans produire. Mais il n'était pas pour Gênes d'expédition maritime qui pût être aussi onéreuse que les moindres mouvements par terre. A leur occasion on voit les revenus engagés, alternativement rachetés et réengagés de nouveau. L'approche de Barberousse, la construction des murs, la protection donnée à Barisone, la diplomatie vénale de l'empereur, exigèrent les plus grands sacrifices. Enfin, pour faire la guerre sur terre, il fallait des cavaliers; il n'y en avait point à Gênes; on en soldait en Lombardie. Pour en fournir promptement aux Lucquois pendant l'alliance, on demandait l'assistance des marquis et des comtes de la Ligurie: ils arrivaient avec leurs suivants; or ces nobles auxiliaires ne servaient ni gratuitement, ni à peu de frais. Une de ces convocations, qui devint inutile, endetta la république de 3,000 livres.

      On levait des collectes imposées sur les citoyens. Nous ne savons quand on commença à recourir à cette ressource; mais nous la trouvons annuelle dès 1165. L'impôt devint permanent, sa quotité resta variable; le plus souvent elle était de 6 deniers par livre (deux et demi pour cent); quelquefois elle fut de 8 deniers (trois et un tiers) et au delà. On n'explique pas si c'est sur le revenu ou sur le capital de chacun. L'annaliste avertit quelquefois que la collecte est indépendante de la taxe des vaisseaux. On trouve aussi des années où le droit de douane est élevé à 3 deniers par livre sur la valeur des marchandises importées et de 9 deniers sur les exportations (1169). Dans certaines occasions on essaye de soumettre à la collecte Savone et Noli, sous le prétexte


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