Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète). Морис Леблан

Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète) - Морис Леблан


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Qui vous peineraient, n’est-ce pas, monsieur le Directeur ? C’est précisément cela que je voudrais vous épargner en vous prouvant d’avance qu’elles ne m’empêcheraient pas d’agir à ma guise, de correspondre avec mes amis, de défendre à l’extérieur les graves intérêts qui me sont confiés, d’écrire aux journaux soumis à mon inspiration, de poursuivre l’accomplissement de mes projets, et, en fin de compte, de préparer mon évasion.

      – Votre évasion !

      Lupin se mit à rire de bon cœur.

      – Réfléchissez, monsieur le Directeur ma seule excuse d’être en prison est d’en sortir.

      L’argument ne parut pas suffisant à M. Borély. Il s’efforça de rire à son tour.

      – Un homme averti en vaut deux

      – C’est ce que j’ai voulu. Prenez toutes les précautions, monsieur le Directeur, ne négligez rien, pour que plus tard on n’ait rien à vous reprocher. D’autre part je m’arrangerai de telle manière que, quels que soient les ennuis que vous aurez à supporter du fait de cette évasion, votre carrière du moins n’en souffre pas. Voilà ce que j’avais à vous dire, monsieur le Directeur. Vous pouvez vous retirer.

      Et, tandis que M. Borély s’en allait, profondément troublé par ce singulier pensionnaire, et fort inquiet sur les événements qui se préparaient, le détenu se jetait sur son lit en murmurant :

      « Eh bien ! Mon vieux Lupin, tu en as du culot ! On dirait en vérité que tu sais déjà comment tu sortiras d’ici ! »

      – 2 –

      La prison de la Santé est bâtie d’après le système du rayonnement. Au centre de la partie principale, il y a un rond-point d’où convergent tous les couloirs, de telle façon qu’un détenu ne peut sortir de sa cellule sans être aperçu aussitôt par les surveillants postés dans la cabine vitrée qui occupe le milieu de ce rond-point.

      Ce qui étonne le visiteur qui parcourt la prison, c’est de rencontrer à chaque instant des détenus sans escorte, et qui semblent circuler comme s’ils étaient libres. En réalité, pour aller d’un point à un autre, de leur cellule, par exemple, à la voiture pénitentiaire qui les attend dans la cour pour les mener au Palais de Justice, c’est-à-dire à l’instruction, ils franchissent des lignes droites dont chacune est terminée par une porte que leur ouvre un gardien, lequel gardien est chargé uniquement d’ouvrir cette porte et de surveiller les deux lignes droites qu’elle commande.

      Et ainsi les prisonniers, libres en apparence, sont envoyés de porte en porte, de regard en regard, comme des colis qu’on se passe de main en main.

      Dehors, les gardes municipaux reçoivent l’objet, et l’insèrent dans un des rayons du « panier à salade ».

      Tel est l’usage.

      Avec Lupin il n’en fut tenu aucun compte.

      On se méfia de cette promenade à travers les couloirs. On se méfia de la voiture cellulaire. On se méfia de tout.

      M. Weber vint en personne, accompagné de douze agents – ses meilleurs, des hommes de choix, armés jusqu’aux dents –, cueillit le redoutable prisonnier au seuil de sa chambre, et le conduisit dans un fiacre dont le cocher était un de ses hommes. À droite et à gauche, devant et derrière, trottaient des municipaux.

      – Bravo ! s’écria Lupin, on a pour moi des égards qui me touchent. Une garde d’honneur. Peste, Weber, tu as le sens de la hiérarchie, toi ! Tu n’oublies pas ce que tu dois à ton chef immédiat.

      Et, lui frappant l’épaule :

      – Weber, j’ai l’intention de donner ma démission. Je te désignerai comme mon successeur.

      – C’est presque fait, dit Weber.

      – Quelle bonne nouvelle ! J’avais des inquiétudes sur mon évasion. Je suis tranquille maintenant. Dès l’instant où Weber sera chef des services de la Sûreté…

      M. Weber ne releva pas l’attaque. Au fond il éprouvait un sentiment bizarre et complexe, en face de son adversaire, sentiment fait de la crainte que lui inspirait Lupin, de la déférence qu’il avait pour le prince Sernine et de l’admiration respectueuse qu’il avait toujours témoignée à M. Lenormand. Tout cela mêlé de rancune, d’envie et de haine satisfaite.

      On arrivait au Palais de Justice. Au bas de la « Souricière », des agents de la Sûreté attendaient, parmi lesquels M. Weber se réjouit de voir ses deux meilleurs lieutenants, les frères Doudeville.

      – M. Formerie est là ? leur dit-il.

      – Oui, chef, M. le Juge d’instruction est dans son cabinet. M. Weber monta l’escalier, suivi de Lupin que les Doudeville encadraient.

      – Geneviève ? murmura le prisonnier.

      – Sauvée…

      – Où est-elle ?

      – Chez sa grand-mère.

      – Mme Kesselbach ?

      – À Paris, hôtel Bristol.

      – Suzanne ?

      – Disparue.

      – Steinweg ?

      – Nous ne savons rien.

      – La villa Dupont est gardée ?

      – Oui.

      – La presse de ce matin est bonne ?

      – Excellente.

      – Bien. Pour m’écrire, voilà mes instructions.

      Ils parvenaient au couloir intérieur du premier étage. Lupin glissa dans la main d’un des frères une petite boulette de papier.

      M. Formerie eut une phrase délicieuse, lorsque Lupin entra dans son cabinet en compagnie du sous-chef.

      – Ah ! Vous voilà ! Je ne doutais pas que, un jour ou l’autre, nous ne mettrions la main sur vous.

      – Je n’en doutais pas non plus, monsieur le juge d’instruction, dit Lupin, et je me réjouis que ce soit vous que le destin ait désigné pour rendre justice à l’honnête homme que je suis.

      « Il se fiche de moi », pensa M. Formerie.

      Et, sur le même ton ironique et sérieux, il riposta :

      – L’honnête homme que vous êtes, monsieur, doit s’expliquer pour l’instant sur trois cent quarante-quatre affaires de vol, cambriolage, escroquerie, faux, chantage, recel, etc. Trois cent quarante-quatre !

      – Comment ! Pas plus ? s’écria Lupin. Je suis vraiment honteux.

      – L’honnête homme que vous êtes doit s’expliquer aujourd’hui sur l’assassinat du sieur Altenheim.

      – Tiens, c’est nouveau, cela. L’idée est de vous, monsieur le juge d’instruction ?

      – Précisément.

      – Très fort ! En vérité, vous faites des progrès, monsieur Formerie.

      – La position dans laquelle on vous a surpris ne laisse aucun doute.

      – Aucun, seulement, je me permettrai de vous demander ceci : de quelle blessure est mort Altenheim ?

      – D’une blessure à la gorge faite par un couteau.

      – Et où est ce couteau ?

      – On ne l’a pas retrouvé.

      – Comment ne l’aurait-on pas retrouvé, si c’était moi l’assassin, puisque j’ai été surpris à côté même de l’homme que j’aurais tué ?


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