Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète). Морис Леблан
abattue.
– Sautez dessus, cria M. Weber, qu’on l’empoigne !… qu’on les empoigne tous les deux !
– Le numéro… réponds… Si tu l’aimes, réponds… Pourquoi te taire maintenant ?
– Vingt… Vingt-sept… souffla le baron.
Des mains touchaient Sernine. Dix revolvers le menaçaient. Il fit face aux agents, qui reculèrent avec une peur instinctive.
– Si tu bouges, Lupin, cria M. Weber, l’arme braquée, je te brûle.
– Ne tire pas, dit Sernine gravement, c’est inutile, je me rends.
– Des blagues ! C’est encore un truc de ta façon…
– Non, reprit Sernine, la bataille est perdue. Tu n’as pas le droit de tirer. Je ne me défends pas.
Il exhiba deux revolvers qu’il jeta sur le sol.
– Des blagues ! reprit M. Weber implacable. Droit au cœur, les enfants ! Au moindre geste : feu ! Au moindre mot : feu !
Dix hommes étaient là. Il en posta quinze. Il dirigea les quinze bras vers la cible. Et, rageur, tremblant de joie et de crainte, il grinçait :
– Au cœur ! À la tête ! Et pas de pitié ! S’il remue, s’il parle… à bout portant, feu !
Les mains dans ses poches, impassible, Sernine souriait. À deux pouces de ses tempes, la mort le guettait. Des doigts se crispaient aux détentes.
– Ah ! ricana M. Weber, ça fait plaisir de voir ça… Et j’imagine que cette fois nous avons mis dans le mille, et d’une sale façon pour toi, monsieur Lupin…
Il fit écarter les volets d’un vaste soupirail, par où la clarté du jour pénétra brusquement, et il se retourna vers Altenheim. Mais, à sa grande stupéfaction, le baron qu’il croyait mort ouvrit les yeux, des yeux ternes, effroyables, déjà remplis de néant. Il regarda M. Weber. Puis il sembla chercher, et, apercevant Sernine, il eut une convulsion de colère. On eût dit qu’il se réveillait de sa torpeur, et que sa haine soudain ranimée lui rendait une partie de ses forces.
Il s’appuya sur ses deux poignets et tenta de parler.
– Vous le reconnaissez, hein ? dit M. Weber.
– Oui.
– C’est Lupin, n’est-ce pas ?
– Oui… Lupin…
Sernine, toujours souriant, écoutait.
– Dieu ! Que je m’amuse ! déclara-t-il.
– Vous avez d’autres choses à dire ? demanda M. Weber qui voyait les lèvres du baron s’agiter désespérément.
– Oui.
– À propos de M. Lenormand, peut-être ?
– Oui.
– Vous l’avez enfermé ? Où cela ? Répondez…
De tout son être soulevé, de tout son regard tendu, Altenheim désigna un placard, au coin de la salle.
– Là… là… dit-il.
– Ah ! Ah ! Nous brûlons, ricana Lupin.
M. Weber ouvrit. Sur l’une des planches, il y avait un paquet enveloppé de serge noire. Il le déplia et trouva un chapeau, une petite boîte, des vêtements… Il tressaillit. Il avait reconnu la redingote olive de M. Lenormand.
– Ah ! Les misérables ! s’écria-t-il, ils l’ont assassiné.
– Non, fit Altenheim, d’un signe.
– Alors ?
– C’est lui… lui…
– Comment, lui ?… c’est Lupin qui a tué le chef ?
– Non.
Avec une obstination farouche, Altenheim se raccrochait à l’existence, avide de parler et d’accuser… Le secret qu’il voulait dévoiler était au bout de ses lèvres, et il ne pouvait pas, il ne savait plus le traduire en mots.
– Voyons, insista le sous-chef, M. Lenormand est bien mort, pourtant ?
– Non.
– Il vit ?
– Non.
– Je ne comprends pas… Voyons, ces vêtements ? Cette redingote ?…
Altenheim tourna les yeux du côté de Sernine. Une idée frappa M. Weber.
– Ah ! Je comprends ! Lupin avait dérobé les vêtements de M. Lenormand, et il comptait s’en servir pour échapper.
– Oui… Oui…
– Pas mal, s’écria le sous-chef. C’est bien un coup de sa façon. Dans cette pièce, on aurait trouvé Lupin déguisé en M. Lenormand, enchaîné sans doute. C’était le salut pour lui… Seulement, il n’a pas eu le temps. C’est bien cela, n’est-ce pas ?
– Oui… Oui…
Mais, au regard du mourant, M. Weber sentit qu’il y avait autre chose, et que ce n’était pas encore tout à fait cela, le secret. Qu’était-ce alors ? Qu’était-ce, l’étrange et indéchiffrable énigme que le mourant voulait révéler avant de mourir ? Il interrogea :
– Et M. Lenormand, où est-il ?
– Là…
– Comment là ?
– Oui.
– Mais il n’y a que nous dans cette pièce !
– Il y a… il y a…
– Mais parlez donc…
– Il y a… Ser… Sernine…
– Sernine ! Hein ! Quoi ?
– Sernine… Lenormand…
M. Weber bondit. Une lueur subite le heurtait.
– Non, non, ce n’est pas possible, murmura-t-il, c’est de la folie. Il épia son prisonnier. Sernine semblait s’amuser beaucoup et assister à la scène en amateur qui se divertit et qui voudrait bien connaître le dénouement.
épuisé, Altenheim était retombé tout de son long. Allait-il mourir avant d’avoir donné le mot de l’énigme que posaient ses obscures paroles ? M. Weber, secoué par une hypothèse absurde, invraisemblable, dont il ne voulait pas, et qui s’acharnait après lui, M. Weber se précipita de nouveau.
– Expliquez-vous… Qu’y a-t-il là-dessous ? Quel mystère ?…
L’autre ne semblait pas entendre, inerte, les yeux fixes. M. Weber se coucha contre lui et scanda nettement, de façon que chaque syllabe pénétrât au fond même de cette âme noyée d’ombre déjà :
– écoute… J’ai bien compris, n’est-ce pas ? Lupin et M. Lenormand…
Il lui fallut un effort pour continuer, tellement la phrase lui paraissait monstrueuse. Pourtant les yeux ternes du baron semblaient le contempler avec angoisse. Il acheva, palpitant d’émotion, comme s’il eût prononcé un blasphème :
– C’est cela, n’est-ce pas ? Tu en es sûr ? Tous les deux, ça ne fait qu’un ?
Les yeux ne bougeaient pas. Un filet de sang suintait au coin de la bouche… Deux ou trois hoquets… Une convulsion suprême. Ce fut tout. Dans la salle basse, encombrée de monde, il y eut un long silence. Presque tous les agents qui gardaient Sernine s’étaient détournés, et stupéfaits, sans comprendre ou se refusant à comprendre, ils écoutaient encore l’incroyable accusation que le bandit n’avait pu formuler.