La loi de Dieu. Charles Deslys

La loi de Dieu - Charles Deslys


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récompense de notre épargne, le bon Dieu nous réservait une joyeuse surprise.

      A l’expiration du premier mois d’école, comme j’en allais porter le prix à monsieur le maître:

      –Gardez votre argent, me dit-il, c’est payé;

      –Et par qui donc?

      –Par M. le curé.

      Je courus bien vite remercier cet excellent homme;

      –C’est à ta bonne conduite qu’il faut en savoir gré, me répondit-il, et puis encore à la gentillesse de l’enfant; mon intérêt pour lui ne se bornera pas là.

      Effectivement, lorsque Maurice eut passé le temps ordinaire à l’école communale, M. le curé s’arrangea de façon à le placer, toujours sans qu’il nous en coûtât rien, dans un pensionnat des environs.

      Et comme j’insistais pour payer, alléguant mes économies:

      –Garde ton argent, me répondit ce digne serviteur de Jésus-Christ, ton fils en aura peut-être besoin plus tard!

      Brave curé, va! ne dirait-on pas qu’il devinait l’avenir?

      Il est vrai que notre Maurice se montra digne de tant de bontés. C’était le plus studieux, le plus intelligent, le plus savant de toute sa classe. Tant et si bien qu’une bourse gratuite ayant été mise au concours par la ville du Havre, ce fut lui qui la gagna d’emblée.

      Le voilà donc au collège, et sans un sou de dépense, pas même pour son entretien. Ce fut le proviseur, puis M. le maire lui-même qui voulurent s’en charger, comme encouragement à Maurice qui, chaque fin d’année, régulièrement, remportait les premiers prix.

      Oh! ces jours-là, ces jours-là… comme nous étions glorieux, Jeanne et moi!

      Notre fils était complimenté, fêté par toutes les autorités. On imprimait son nom dans le journal!

      D’autre part, son petit pécule allait toujours grossissant, que ça faisàit plaisir à voir. Jamais un temps d’arrêt dans notre épargne ignorée de tous; jamais la plus petite brèche pour les besoins de Maurice. Sa gentillesse avait payé les frais de l’école, son talent paya ceux du collége et le reste.

      Je te le disais bien, monsieur Durand, il y a des enfants qui naissent avec une mine d’or dans leur cerveau. Toi-même, lorsqu’il entra dans cette maison, tu m’avais tout d’abord demandé une année de surnumérariat, et, dès le premier mois, tu lui donnais des appointements, qui furent augmentés dès le second trimestre, et ainsi de suite.

      De là, une nouvelle succession de joies, mais, désormais, pour moi seul. La pauvre mère était morte.

      Morte heureuse et souriante, car elle savait l’avenir de son fils assuré.

      A partir de ce grand chagrin-là, je mis encore plus d’acharnement à mon travail, à mon système d’économie et de spéculation. Nous étions deux à gagner maintenant: Maurice me donnait les trois quarts de ses appointements, et, sans se douter, le digne garçon, que je lui gardais cet argent-là, que je lui faisais faire aussi la boule de neige.

      Oh! oh! ce matin je montrais aux camarades un bout d’article de journal, dans lequel il est prouvé qu’un sage travailleur peut amasser deux mille cinq cents pistoles en sa vie; mais le journal a calculé sur une économie de quatre francs seulement par semaine, et sans tenir compte de ce que peut l’amour paternel.

      D’ailleurs, il m’est survenu, à moi, quelques bonnes aubaines. J’avais acheté une obligation qui a été favorisée au tirage. Sainte-Adresse est devenue à la mode, et j’ai vendu, cinq ou six fois plus cher qu’ils ne valaient, la maisonnette et le champ de Magdeleine.

      Mais ces petits bonheurs-là, M. le curé prétend que le bon Dieu les donne toujours à ceux qui les méritent. Et je crois les avoir mérités.

      Bref, voici dans ce portefeuille tous mes titres et toutes mes valeurs en bon ordre.

      Ouvre-le, Durand, et vérifie. tu t’y connais.

      Il y en a pour cent vingt-trois mille francs.

      C’est la dot de Maurice.»

       Table des matières

      L’armateur avait écouté toute la seconde partie de l’histoire de Jacques avec une émotion de plus en plus visible. Plusieurs fois même, il s’était senti la paupière humide.

      En entendant ce gros chiffre de cent vingt-trois mille francs, il se redressa tout à coup, stupéfait, incrédule encore.

      Mais Jacques, ayant insisté du geste, il ouvrit le portefeuille, examina, additionna. C’était exact, c’était vrai.

      –Quant à ce qui manque pour parfaire la somme ronde, reprit Jacques, au lieu de laisser partir le fils, envoie le père en Californie, en Australie, où tu voudras. Je suis encore assez jeune, assez vigoureux, pour gagner là-bas soixante-dix-sept mille francs, et, Dieu aidant, je les rapporterai, foi de Jacques Renaud! Je ne te marchande donc pas, je te demande du crédit, voilà tout.

      –Quoi? Jacques, tu partirais?

      –Il le faut de toute façon, car la veste du bonhomme Renaud jurerait dans ton hôtel… et je le comprends bien, va. pour que mon fils soit heureux, faut que son père disparaisse. il disparaîtra.

      Jacques se détourna pour essuyer une larme.

      Puis, voyant que le millionnaire évitait de répondre:

      –Est-ce une affaire conclue? demanda-t-il en retrouvant le sourire.

      –Mais, balbutia Durand, mais sais-je seulement si ma fille…

      –Elle va te répondre elle-même, dit Jacques en montrant la jeune fille qui venait de paraître sur le seuil; interroge… la voici!

      Clémentine avait tout entendu; des pleurs baignaient son charmant visage; son regard seul était un aveu.

      Elle vint cacher sa rougeur dans le sein paternel.

      –Victoire! s’écria Jacques, il ne manque plus ici que Maurice. Mlle Clémentine arrive de l’église, il s’y trouvait, gageons qu’il n’est pas bien loin… Et tiens! que te disais-je?… le voici justement en face de cette fenêtre… Ohé! Maurice, ohé!

      –Comment! tu l’appelles…

      –Eh! parbleu, oui… ne faut-il pas qu’il vienne remercier son beau-père?

      –Mais tu n’oublieras pas ce que tu m’as promis… tu partiras…

      –Dès le lendemain du mariage!

       Table des matières

      Jacques ne partit pas.

      On le sait, Clémentine avait tout entendu. Ce, fut elle qui dit en l’embrassant:

      –Oh! mais je ne veux pas qu’il nous quitte, moi!… je le garde!…

      Au lieu d’exiler la veste de Jacques Renaud, on l’allongea; c’était plus généreux et plus sage.

      Seulement, pour compléter la dot de son fils,– et Jacques y tenait absolument,–il a acheté le chantier, il est devenu le patron.

      Ce qui ne l’empêche pas de mettre encore la main à la besogne et parfois, durant les heures de repos, au bord de la mer, de raconter à ses ouvriers, comme exemple de ce que peuvent le travail et l’économie, l’histoire des


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