La loi de Dieu. Charles Deslys
le regardait, tout étonné:
–Demain! répéta Jacques en mettant un doigt sur ses lèvres.
III
Durant la promenade de la veille au soir, bien qu’en se maintenant sur une certaine réserve mystérieuse, le bonhomme Jacques s’était, comme on dit, mis en quatre pour consoler, pour encourager son fils.
Néanmoins, le pauvre amoureux passa la nuit blanche, et ne s’endormit qu’au jour naissant.
Aussi sommeillait-il encore lorsque, vers les huit heures, son père rentra, tout frais rasé, vêtu de son bel habit neuf.
–Comment!… déjà! fit Maurice tout palpitant d’angoisse.
–Déjà… quoi? demanda narquoisement le père Renaud.
–Vous étiez sorti… vous revenez…
–Je viens d’entendre une messe basse, mon garçon… faut avant tout la part du dimanche.
–Et maintenant…
–Maintenant nous allons manger un morceau sur le pouce… et tandis que tu iras prier à ton tour, moi j’agirai.
–Oh! que vous êtes bon, mon père!
–Habille-toi vivement, si tu veux que je parte de même.
Maurice ne se le fit pas répéter deux fois.
Le déjeuner fut court et silencieux. Bien que Jacques affectât une certaine assurance joviale, il n’y fit guère plus honneur que Maurice.
Le père et le fils sortirent ensemble, et, sans se dire un mot, remontèrent la grande rue jusqu’au portail de l’église.
Là, toujours en silence, ils se serrèrent la main et se séparèrent.
Jacques s’achemina vers la maison du riche armateur.
A mesure qu’il s’en rapprochait, la démarche lui semblait de plus en plus épineuse, et, bien que sans ralentir le pas,–Jacques était brave,–son émotion se trahissait par de fréquents hum! hum!
Que fût-ce donc lorsqu’en arrivant en face de la porte cochère, la comparaison de cet opulent hôtel avec son modeste logis dut lui rappeler toute la distance qui existait entre la fille du millionnaire et le fils de l’artisan, entre Clémentine et Maurice!…
Nonobstant, il prit son courage à deux mains, franchit le seuil et se fit annoncer à M. Durand.
Comme il attendait la réponse, Mlle Durand traversa l’antichambre, un livre de messe à la main. Elle aussi, se rendait à l’église.
C’était une adorable enfant, blonde avec des yeux bleus, avec un air de douceur et de bonté qui la rendait encore plus charmante; une vierge de Greuze.
En reconnaissant le père de Maurice, elle fit un mouvement, rougit et baissa les yeux.
Puis, gracieuse et souriante elle disparut.
Mais, rien qu’au rapide regard qui venait de s’échanger entre le vieillard et la jeune fille, Jacques avait lu dans le cœur de Clémentine; il se disait:
–Ah!… si nous n’avions affaire qu’à elle! Mais il y a M. Durand!…
Et, comme le domestique revenait le chercher de la part de son maître, il entra.
IV
C’était un excellent homme que M. Durand, bien qu’un peu entiché de sa fortune, qui, du reste, était son ouvrage.
En dépit de l’estime qu’il professait pour Jacques Renaud, son ancien condisciple à l’école communale, il avait hésité à le recevoir, devinant bien ce qui l’amenait et, par avance, désolé de ce qu’il aurait à lui répondre.
Aussi son visage exprimait-il un regret sincère, mais en même temps une résolution irrévocable.
Dès le premier regard, les deux pères se comprirent. Et, comme l’ouvrier cherchait encore une façon d’entamer l’entretien:
–Je sais… je sais tout, commença brusquement l’armateur; mais ce n’est pas faute à moi!. Que veux-tu que j’y fasse?
–Eh!… parbleu… que Lu les maries! répliqua intrépidement le bonhomme Renaud.
–Comme tu y vas, toi!
–Pourquoi pas? Est-ce que Lu ne nous estimes pas tous les deux, le père comme le fils?
–Quant à ça, d’accord. Toi, tu es la probité, l’honneur même… et ton fils vaudra encore mieux. De plus, une aptitude aux affaires, un coup d’œil, une intelligence d’élite. Et je lui dois la vie de ma fille. Tu vois que je n’oublie rien, Jacques, et que je rends toute justice à Maurice.
–En ce cas, tu dois être convaincu qu’il aime sincèrement ta fille, et qu’il la rendrait heureuse?
–Oui. Je te l’avouerai même, je serais enchanté de l’avoir pour gendre…
–Eh bien! alors?…
–S’il avait ce qui lui manque.
–Que lui manque-t-il?
–Une fortune.
Sous ce grand mol, Jacques sembla courber la tète,
Mais la relevant aussitôt, comme s’il n’eût fait que se replier sur lui-même afin de reprendre un nouvel élan pour la lutte:
–Durand, dit-il avec un grand calme, je Le remercie de m’avoir parlé aussi franchement, aussi amicalement. Je n’ai plus de crainte pour l’avenir de nos enfants, je suis certain que tu vas consentir à leur bonheur.
Le millionnaire eut un geste de vif déplaisir; il avait espéré que tout était fini.
–Tu ne veux pas d’un gendre qui aurait les mains vides, poursuivit Renaud, c’est trop juste. Mais tu es trop raisonnable pour exiger que lui, jeune homme, il soit aussi riche que toi, alors surtout qu’il possède, c’est toi qui l’as dit, une intelligence d’élite, de l’honneur et de la volonté. Avec ces qualités-là, tu l’as prouvé par Lon exemple, on arrive.
Le sourire qui effleura les lèvres de l’armateur, prouva suffisamment au père Jacques qu’il avait touché juste.
Aussi s’empressa-t-il d’appuyer davantage encore sur la corde sensible.
–On arrive à gagner des millions, monsieur Durand. Je dirai plus: avant de les avoir en portefeuille, on les a déjà dans le cerveau. Ils étaient dans le tien dès l’âge de vingt ans, comme ils sont aujourd’hui dans celui de mon fils. Tu es un homme trop habile pour ne pas les y voir. Ose dire que non!…
–Mais, malheureux! sais-tu bien que je donpe à ma fille…
–Je ne te demande pas quelle sera la dot du Mlle Clémentine, mais bien quelle devrait ètre la dot de Maurice.
–A quoi bon!
–Dis toujours. Voyons…, quel serait ton chiffre pour lui… pour moi?
–Tu le veux absolument.
–Je t’en prie.
–Eh bien!. deux ou trois cent mille francs. pour le moins.
–Mettons deux cent mille.
–Eh!