La loi de Dieu. Charles Deslys
rose parut à l’orient.
Quelques fanfares, comme réveillées par l’aube, se répondirent.
C’était le signal de la bataille.
Les deux capitaines rejoignirent chacun sa compagnie, mais non sans s’être une dernière fois serré la main, mais non sans s’être mutuellement dit:
–Bonne chance!
Dès la première heure du combat, le Breton tomba mortellement frappé.
Une sœur, conduite par un hasard providentiel, accourut vers lui.
Sœur Thérèse… Yvonne.
Déjà Kerkadec ne pouvait plus parler. Mais il la reconnut… mais il trouva la force de lui montrer la petite médaille de Notre-Dame-d’Aufay, pieusement conservée sur son cœur.
En même temps, de l’autre main, il indiquait le ciel.
Sœur Thérèse comprit ce muet adieu.
–Oui, répondit-elle, oui… bientôt…
Elle ne put achever. Une balle, la frappant en pleine poitrine, la renversa mourante, auprès de son fiancé mourant.
Ils expirèrent en même temps, les yeux dans les yeux, la main dans la main.
–Et pour sûr,–ajoutait l’officier dont je tiens ce récit,–pour sûr, ils sont arrivés ainsi devant Dieu, qui marie les âmes!
LE BATON DE LA HIRE
I
Non assumes nomen Domini lui in vanum.
Et le colonel Bourgachard fit entendre un terrible juron.
Disons-le tout de suite, il jurait souvent et terriblement, ce colonel Bourgachard.
A part ce défaut-là, c’était un des plus charmants, un des plus brillants colonels de la jeune garde.
Trente ans tout au plus, un mâle et noble visage, un regard d’aigle, une crinière de lion, l’élégante crânerie militaire qui sied si bien à la bravoure.
Fils de ses œuvres, il avait conquis tous ses grades à la pointe de l’épée. C’était Napoléon qui l’avait fait colonel et comte de l’empire.
Puis, grâce à l’un de ces mariages qu’on appelait alors une savonnette à vilain, le colonel comte Bourgachard était devenu l’époux de Mlle de la Roche-Aymon, un des plus beaux noms de la vieille noblesse française.
La comtesse Bourgachard–une toute jeune et toute gracieuse patricienne–avait eu d’abord grand’peur de son mari. Mais bientôt, se rassurant par la découverte que, sous cette rude écorce, il y avait un cœur d’or, elle s’était sentie fière do lui, elle l’avait aimé.
Il était si généreux et si bon! Sans ce fâcheux travers de jurer à tout propos avec sa grosse voix de batailleur, on eût dit un vrai gentilhomme.
Mais, hélas! c’était comme une tache originelle, indélébile.
Chaque fois qu’un juron s’échappait à travers la noire moustache du comte, la douce et impressionnable comtesse tremblait, pâlissait, chancelait comme une délicate rose seeouée par un vent d’orage.
Ce matin-là encore, par la fenêtre entr’ouverte, elle avait entendu les éclats de voix du colonel. qui se promenait dans le jardin, et, toute frissonnante, toute consternée, elle se cachait le visage dans ses deux mains.
Auprès d’elle se trouvait le dernier des la Roche-Aymon, un digne ecclésiastique que son inaltérable douceur avait fait surnommer l’abbé Patience.
–Calme-toi, mon enfant! dit-il. Chacun de nous n’a-t-il pas son péché mignon?. Il le rachète par tant de qualités. Il ne te savait pas là.
Le vieillard avait écarté les mains de la jeune femme. En apercevant son visage, il ne put se défendre d’une douloureuse exclamation.
Elle était d’une effrayante pâleur. Dans ses yeux, il y avait des larmes.
–Renée!… ma chère Renée!…
–Non… croyez-moi, mon oncle, c’est plus fort que moi. A chacun de ces affreux excès de colère, je me sens le cœur rempli d’épouvante et de sinistres pressentiments. Il me semble que, comme autant d’oiseaux effarouchés, je vois s’enfuir toutes mes illusions, toutes mes espérances.
–Folle!
–Oubliez-vous donc que je ne suis plus seule à ressentir maintenant ce dangereux effroi. qu’un pauvre petit être tressaille en mon sein et pourrait y mourir avant d’avoir vécu
–Tais-toi! fit le vieillard, tu me fais trembler à mon tour… Il faut absolument que pareille chose ne se renouvelle plus… Il le faut.
–Impossible!
Le vieil abbé réfléchit un instant. Puis, comme souriant à quelque inspiration secrète:
–Qui sait? murmura-t-il, laisse-moi faire… j’ai mon idée… Ton vieil oncle Pierre corrigera le colonel Bourgachard, ou bien il ne s’appelle plus l’abbé Patience!
Et, de plus en plus mystérieux, il sortit.
II
Lorsque l’oncle Pierre aborda le colonel Bourgachard, celui-ci marchait à grands pas sur la lisière du parc, dont il cravachait les buissons, tout en laissant échapper encore quelques derniers grondements, comparables à ceux du tonnerre qui s’éloigne.
–Eh! mon vaillant neveu, d’où vient donc cette grande colère?
–Croiriez-vous que Baptiste s’est permis de frapper Marengo, mon cheval favori. Mille millions de.
–Chut! fit le vieillard, un doigt sur ses lèvres.
–Bah! riposta le comte, ma femme ne peut pas entendre.
–Elle était tout à l’heure à la fenêtre, elle vous a entendu.
–Bigre! se récria le comte, sur le visage duquel se peignit aussitôt un sincère regret.
–Qu’a-t-elle dit?
L’abbé raconta la scène dont il venait d’être témoin.
–Ah! misérable que je suis! s’emporta le colonel, lui donner de ces terreurs-là… causer peut-être la mort de mon enfant… Mais je ne pourrai donc jamais dompter ma maudite langue… Ah! mille millions de…
–Hum! hum! toussa l’abbé.
–Vous le voyez! reprit avec découragement Bourgachard, je m’oublie toujours… je ne peux pas, je ne peux pas!… Tonnerre!… Voyez plutôt, encore!. et Dieu sait pourtant que j’adore ma femme, que je voudrais être digne d’elle, que je donnerais tout au monde pour ne plus jurer… du moins quand je suis ici, auprès d’elle!
–Pourquoi pas ailleurs, et toujours… car Dieu le défend, colonel, et c ’est un gros péché.
–Oh! oh! quant à ça, monsieur l’abbé, vous savez bien que je ne suis pas superstitieux, répliqua l’officier de fortune avec un