La loi de Dieu. Charles Deslys

La loi de Dieu - Charles Deslys


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résistance était impossible. On somma les chrétiens d’abjurer leur croyance. Ils refusèrent.

      Vainement on incendia leur village; vainement on les menaça de la mortt; vainement on en tortura quelques-uns, on en crucifia quelques autres. Pas un seul ne faiblit, même dans les plus atroces supplices.

      Il est vrai que ceux-là qu’on martyrisait le plus cruellement, c’étaient les frères Penhoël, dont l’exemple était un encouragement, dont l’héroïsme semblait un miracle.

      Les tigres, enfin, désespérant de vaincre tant de courage, imaginèrent un terrible moyen d’en finir. Des bâteaux à soupape, des bâteaux semblables à ceux de Carrier, apparurent sur le fleuve. On y transporta la chrétienté tout entière, hommes, femmes, enfants, vieillards. tous enfin, à l’exception de quelques malheureux qui se tordaient sur les grandes croix sinistres, élevées çà et là parmi les ruines fumantes du village réduit en cendres.

      Les deux jeunes pasteurs avaient été embarqués les derniers. Vers le milieu du fleuve, les soupapes furent ouvertes, et tous les chrétiens engloutis.

      La plupart de ces malheureux revinrent à la surface des eaux, se recherchant, s’appelant, s’embrassant dans un suprême effort.

      Parmi les bourreaux, qui les criblaient de flèches et de balles, c’étaient des clameurs féroces ou de grands éclats de rire; parmi les victimes, des gémissements, des cantiques et des prières.

      A travers les groupes et les cadavres à demi submergés, Gabriel et Banjamin allaient et venaient, nageant d’une main, bénissant de l’autre.

      Une dernière décharge eut lieu. Un dernier cri s’éleva du fleuve, où tout s’engloutit, disparut.. Avec le troupeau, les pasteurs.

      On ne distinguait plus, sous les eaux ensanglantées, que leurs deux longues soutanes noires qu’emportait le courant.

       Table des matières

      Tel fut le récit d’Yvonne.

      Puis, me regardant d’un air doux et triste:

      –Mon ami, reprit-elle, vous comprenez que je ne puis plus me marier, à présent.

      –A présent, oui. mais dans quelques mois, dans une année.

      –Jamais!

      Vainement je voulus protester au nom do notre amour.

      Elle m’interrompit du geste; elle continua d’une voix douloureusement oppressée, mais fermement résolue:

      –Ecoutez-moi jusqu’au bout. il le faut. Dans la famille Penhoël, il y a toujours eu quelqu’un qui se vouait à Dieu. Mes frères sont morts, je dois prendre leur place… Je veux entrer au couvent, devenir sœur de charité.

      –Mais vous ne m’aimez donc plus! m’écriai-je, mais vous ne m’avez donc jamais aimé!

      –Je vous aimais… répondit-elle,–et vous aimerai toujours. Voyez plutôt, je pleure en vous disant adieu. mon cœur est brisé. mais ce sont là de ces sacrifices qui plaisent au Seigneur. mais j’entends une voix qui m’appelle vers lui. mais déjà j’appartiens aux pauvres, aux malades, à tous ceux qui souffrent…

      –Et croyez-vous donc que je ne souffre pas, moi! interrompis-je avec l’accent du désespoir; j’avais votre parole, et je saurai vous disputer à tous, même à Dieu!

      La main d’Yvonne se posa sur mes lèvres, et tout en me souriant à travers ses pleurs:

      –Je n’ai pas oublié mon serment, reprit-elle, mais j’espère que vous voudrez bien m’en délier vous-même. Ne me dites pas que c’est impossible… Ne me dites rien aujourd’hui… laissez-moi seule… A demain… à demain!

      Je m’éloignai, jurant bien en moi-même de ne jamais renoncer à Yvonne.

      Mais elle ne tarda pas à devenir si languissante et si pâle, que je craignis de la voir tomber malade; je crus qu’elle allait mourir.

      Elle ne se plaignait pas cependant, la loyale et courageuse Bretonne… elle ne me parlait plus même de cette ardente soif de dévouement qui la dévorait.

      Dès que je n’étais plus là, elle s’empressait de courir vers les malades, vers les pauvres, vers les affligés; elle se faisait déjà leur sœur.

      Un jour, je la trouvai entourée de petits enfants, la veille encore couverts de haillons, et qu’elle venait d’habiller tout à neuf; elle leur enseignait la prière.

      Oh! qu’elle était touchante et belle ainsi, ma chère et sublime Yvonne!

      Avant de la céder à Dieu, quels combats! quelle lutte!

      Un soir enfin,–j’en suis encore à me demander comment cela se fit,–ce soir-là, nous nous promenions, Yvonne et moi, le long des falaises, et sans avoir conscience du chemin parcouru, nous nous trouvions déjà très-éloignés de la ville.

      Je m’aperçus que ma compagne était fatiguée; je la fis asseoir sur un quartier de roc.

      A nos pieds, l’Océan. Sur nos têtes, le ciel étoilé. Dans la campagne, vers la droite, au milieu d’une perspective bleuie par la lune, un clocher.

      Le clocher d’un couvent… d’un couvent de femmes.

      Tout à coup, au milieu du silence, l’ Angélus sonna.

      Quelque chose comme une force invincible me fit courber la tête et, durant quelques minutes, réfléchir.

      Lorsque je relevai les yeux vers Yvonne, son visage me sembla blanc comme un linceul. Elle regardait fixement le clocher; des larmes muettes inondaient son visage.

      Je lui pris la main… cette main était brûlante.

      –Yvonne, m’écriai-je, vous avez la fièvre?

      –Oui, répondit-elle, la fièvre de la charité.

      Et elle souriait… le sourire d’un ange aspirant au ciel.

      –Tu le veux! repris-je avec un sanglot, mais tu le veux donc absolument, Yvonne!

      –Y consentez-vous? me demanda-t-elle d’une voix suppliante.

      La cloche de nouveau tinta, comme pour l’appeler.

      J’eus enfin le courage de lui répondre:

      –Va!… va!… tu es libre!

      Et nous nous séparâmes en courant tous les deux, elle avec un cri de joie, moi avec un geste désespéré.

      Le sacrifice était accompli; mais j’étais fou do douleur.

      Après une longue maladie, lorsque je recouvrai la mémoire, mon amour vivait encore en moi, mais il était vaincu, résigné.

      Un seul désir me restait. revoir une dernière fois celle que j’avais perdue.

      La veille du jour où je repartis, cette amère joie me fut permise.

      –Pardon! dit-elle en devinant à ma pâleur tout ce que j’avais souffert, pardon, mon pauvre Alain. ayons confiance en Dieu. Dieu est bon. il réunit là-haut ceux qu’il a cru devoir séparer ici-bas. il marie les âmes dans le ciel!

      Et, comme dernier gage d’affection terrestre, elle me donna cette petite médaille de Notre-Dame-D’Auray, que je n’ai plus quittée. Depuis ce jour-là, nous ne nous étions pas revus.

      Juge donc de mon émotion, de ma joie!

      Cette femme qui vient de passer… sœur Thérèse… eh bien!… c’est Yvonne!»


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