La loi de Dieu. Charles Deslys

La loi de Dieu - Charles Deslys


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Durand haussa les épaules.

      –Il le faut! exigea dignement le père de Maurice,

      –Allons!… va… puisque tu y tiens absolument. Mais, je t’en préviens, tout ce que tu pourras dire ne changera rien à ma résolution.

      –Peut-être!…

      Le bonhomme Jacques se carra dans un large fauteuil, parut un instant se recueillir, et commença ainsi:

       Table des matières

      «Il y a de ça une trentaine d’années, j’en avais vingt-cinq alors, et j’étais un bon ouvrier, mais noceur en diable. Un vrai héros de guinguettes.

      J’y festoyais régulièrement le dimanche et le lundi, quelquefois même le mardi. Ce qu’il y a de pire, c’est que, non content de mal faire moi-même, je débauchais encore les camarades. Entre autres, un pauvre garçon nommé Jean-Marie.

      Il était marié celui-là, père de famille.

      Un soir, dans une rixe, il reçut un coup de bouteille à la tête, et tomba mourant à côté de moi.

      Ce n’était pas ma main qui venait de frapper. Oh! non… je le jure devant Dieu! Mais c’était moi qu’il l’avais entraîné au cabaret, c’était ma faute.

      En expirant dans mes bras, il me regarda d’un air de reproche. Oh!. ce regard-là, je l’ai revu bien des fois en rêve!

      Avec toutes sortes d’angoisses et de prières dans cet adieu suprême, il avait murmuré:

      –Ma pauvre femme! ma pauvre petile Jeanne!

      Jean-Marie avait une fille qui s’appelait Jeanne.

      J’étais gris; ces quelques mots me dégrisèrent du coup. Je rentrai chez moi tout honteux, tout pensif, et durant la nuit suivante, je ne pus dormir. Le remords me tenait éveillé.

      Non-seulement le remords, mais encore quelque chose d’inconnu, comme un retour sur moi-même, comme une bonne et courageuse pensée qui me germait dans le cœur.

      Le lendemain au soir, en revenant du cimetière, je me dirigeai machinalement vers la demeure de la veuve.

      C’était une maisonnette située du côté de Sainte-Adresse, avec un jardinet par devant, un assez vaste potager par derrière, une haie vive à l’entour.

      La porte était fermée. Pas un bruit, personne.

      Sans trop savoir pourquoi, je passai à travers la haie, je me promenai dans l’enclos, en attendant Magdeleine.

      Magdeleine. c’était la veuve au pauvre Jean-Marie.

      Un peu plus tard, comme elle ne paraissait pas, comme la nuit venait, j’allai m’asseoir sur le seuil, où, sans penser à rien, je me mis à tirer quelques fétus de paille qui passaient en dessous de la porte.

      Bientôt, éprouvant une certaine résistance, je remarquai que tout le contour de cette porte était tamponné de paille.

      Je me relevai pour regarder au trou de la serrure, la serrure était bouchée.

      De plus en plus surpris, j’allai à la fenêtre.

      Tout à l’entour de cette fenêtre, des hardes formaient bourrelet comme pour intercepter le moindre courant d’air.

      Devant les vitres, un épais rideau,

      A travers ce rideau, comme la nuit devenait plus sombre, je crus distinguer de vagues lueurs,

      Au-dessus de la cheminée, pas de fumée.

      Un horrible soupçon me traversa l’esprit; je me ruai contre la porto et, d’un seul coup je l’enfonçai.

      C’était une inspiration du ciel; elle ne m’avait pas trompé.

      Dans toute l’étendue de la chambre, hermétiquement close, des réchauds remplis de charbons ardents.

      Sur la couchette, Magdeleine évanouie, avec la petite Jeanne à demi asphyxiée entre ses bras.

      Une pauvre fillette de douze ans!

      En un clin d’œil, je m’empressai de jeter au dehors les réchauds, de déboucher toutes les issues, de raviver la fille et la mère.

      Magdeleine enfin rouvrit les yeux, me regarda, stupéfaite et béante,

      –Malheureuse!… vous avez voulu mourir!

      –J’ai voulu rejoindre Jean-Marie!

      –Dieu défend le suicide!

      C’était la première fois, depuis bien longtemps, que le nom du bon Dieu me revenait à la bouche.

      En ce moment-là, Jeanne, qui avait recouvré la parole, jeta ses petits bras au cou de Magdeleine en l’appelant: Ma mère?…

      Ce mot, ce cri lui donna bien plus de repentir encore que toutes les belles phrases que j’aurais pu lui dire,

      –Ma fille! s’écria-t-elle en l’étreignant sur son sein, en la couvrant de baisers et de larmes. Mon enfant!.., ma pauvre enfant!… Oh! pardon, pardon!

      Mais, après ce premier mouvement:

      –Comment l’élever! dit-elle, comment la faire vivre!

      –N’avez-vous pas cette maison, cet enclos?

      – Qui le cultivera, maintenant que Jean-Marie n’est plus là?

      –Moi! répondis-je comme soufflé par un esprit invisible, je travaillerai chaque dimanche ici, pour vous, comme il travaillait lui-même!

      Elle me regarda tout émerveillée. Je poursuivis:

      –Et si vous trouvez que ce n’est pas suffisant.., eh bien! je vous donne aussi le lendemain, et chaque lundi soir, fidèlement., religieusement, je vous en apporterai le reste de mon salaire!

      –Mais pourquoi…

      –Parce que… parce que je devais de l’argent à votre mari, parce qu’il faut que je paie ma dette

      –Je ne sais si je dois croire, accepter…

      –Oui… pour votre fille!

      Magdeleine se laissa convaincre, et, sans discuter davantage, elle consentit. C’est moi qui étais content!

      A partir de ce jour-là, plus de bamboches, plus de guinguettes.., Mais aussi plus de remords, et, par-dessus le marché, la douce satisfaction d’avoir fait mon devoir et de me sentir utile à quelqu’un.

      Chaque dimanche, dès quand l’aube, j’arrivais à l’enclos; je labourais, je semais, je plantais, je sarclais, je récoltais; et quand il me restait du temps, j’allais vendre aux environs l’excédant des produits du jardin.

      L’hiver, c’étaient des réparations à la maisonnette, au mobilier, ou bien encore un peu de poisson que je m’en allais pêcher en rade.

      Mais tout et toujours pour la veuve à Jean-Marie. Je lui appartenais ce jour-là, corps et âme.

      De même quant à mon gain du lundi. Je n’y ai jamais manqué, parole! et si le pauvré Jean-Marie a pu me voir, il doit m’avoir pardonné!

      De son cûté, Magdeleine avait repris courage, et, bien que sa santé fût mauvaise, elle travaillait autant que possible de son état de blanchisseuse, avec Jeanne pour apprentie, bien entendu.

      Une certaine aisance régnait donc dans la maison do la veuve, mais c’était à moi seul qu’elle en faisait remonter tout l’honneur. Comme elle se montrait reconnaissante envers moi, la pauvre chère


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