Le Secret du chevalier de Médrane. Adolphe Granier de Cassagnac

Le Secret du chevalier de Médrane - Adolphe Granier de Cassagnac


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des mouches, une colonie de jeunes gens, parmi lesquels figurent plusieurs lionceaux du foyer de l’Opéra et du Jockey, vient d’expédier, dit-on, des courriers, pour retenir même les cabanes des pêcheurs.»

      –N’est-ce pas insupportable? s’écria la contessine avec humeur, et dire que nous ne pourrons pas éviter cette cohue! Les médecins ont ordonné l’air et les bains de cette côte à l’amiral, et nous avons déjà loué une maison à Canet; qu’on nous y laissàt au moins deux mois tranquilles! Louise en a besoin autant que son mari, et j’en ai besoin moi-même pour revoir mon cinquième chant.

      Vous verrez cela, ajouta-t-elle, en me tendant la main.

      Elle sortit, et j’allai rendre visite au chevalier de Médrane.

      Il habitait rue Laffitte, numéro13, le petit appartement qu’avait occupé Cerutti, en1791, lorsque, à l’apogée de sa réputation, il prononça l’oraison funèbre de Mirabeau. La rue, qui portait le nom du comte d’Artois, prit alors le nom de Cerutti, qu’elle conserva jusqu’en 1814. La Restauration le lui ôta, pour lui rendre celui du comte d’Artois; mais elle le perdit de nouveau en 1830, pour prendre celui du banquier Laffitte,

      L’appartement du chevalier, correctement tenu, avait une propreté extrême, mais une élégance un peu fanée. Meubles, tentures, guéridon, bureau, tout y rappelait le goût du temps de Louis XV. La pendule et les flambeaux garnissant la cheminée du salon, qui était aussi son cabinet, étaient en belle porcelaine de Saxe, complétés par des vide-poches en vieux Sèvres, élégamment montés.

      M. de Médrane m’accueillit avec une courtoisie à demi familière, et me parla de mes travaux en homme qui a lu et retenu. Je le trouvai plus ouvert et plus communicatif que je ne l’avais espéré. En me voyant considérer attentivement les pièces les plus remarquables de son mobilier, il me dit avec un sourire:

      –Ce sont les témoins et les discrets confidents de ma jeunesse. Ces vieux Saxe et ces vieux Sèvres me servent depuis que je servais moi-même le roi Louis XV, dans les mousquetaires gris du marquis de Lachèze.

      Je ne fus pas maître d’un mouvement de surprise, et je lui dis:

      –Monsieur le chevalier, j’ai l’esprit et la mémoire obsédés par un doute que je vous demande la permission de dissiper: n’ai-je pas eu l’honneur de vous voir, chez mon père, vers1811?

      –Oh! non, me répondit-il en souriant; vous me confondez avec le chevalier de Médrane de Mauhic, mon cousin, avec lequel je vécus, en effet, déguisé dans les bois, et chez les bons paysans de votre pays, lorsque le frère ainé du chevalier, chef de la famille, périt à Auch, sur l’échafaud, avec la meilleure noblesse du département.

      J’eus l’occasion de connaître alors M. votre père, gentilhomme verrier, spirituel et instruit, mis en réquisition par le comité de salut public, sous prétexte de chimie, pour fabriquer du salpêtre. On lui avait donné, pour chauffer ses fournaux, les saints, les vierges et les anges dorés des églises d’Auch; et j’estime qu’il a dû se faire, avec les plus beaux, bien des protecteurs dans le ciel; car, en fait de milice céleste, il ne mit au feu que les séraphins écloppés et les vierges hors de service. Le lendemain du9thermidor, il céda au vœu de habitants, en jetant ses drogues dans le Gers; et poisson y fut empoisonné, depuis la Treille jusqu’à Layrac.

      Mais tout cela remonte, comme vous voyez, à uni époque bien antérieure à la vôtre. J’étais accouru dans l’Armagnac pour essayer de venger la mort de M. de Médrane, mon oncle; je voulais tuer le misérable Dartigoyte notaire de Mugron et député des Landes, qui fut le bourreau de ces contrées; mais l’occasion ne se présenta pas et je rejoignis l’armée, où j’étais déjà un vétéran.

      Et, comme je me récriais, il reprit:

      –Ah! c’est que nous nous battions jeunes, de mor temps! Une mousquetade reçue, en Corse, à seize ans, dans le dernier combat de Paoli contre les troupes françaises du comte de Vaux, me fit admettre à la compagnie grise, en1770, à dix-huit ans, grâce à l’appui du comte de Flamarens, grand louvetier, mon compatriote et le vôtre.

      Puis, emporté par ses souvenirs, il ajouta:

      –Nous n’étions pas plus braves qu’aujourd’hui; oh non, mais nous étions, je crois, mieux élevés pour notre destination. A l’Académie royale, on ne demandait pas à un gentilhomme s’il était maître ès arts, ou, comme vous dites, bachelier: être bien fait, alerte, brave, entreprenant, c’était le premier titre à l’admission. On apprenait à monter à cheval, à danser, à dessiner, à parer et à donner un coup d’épée; et lorsque, à ce point de vue, on sortait des mains de Teillagory et de ses prévôts, on pouvait hardiment se risquer sur le pré. Cette éducation jeune et militaire, une fois acquise, on la complétait par la conquête d’une ou de deux jolies femmes, et la cour faisait le reste pour ceux qui n’étaient pas tués.

      Le jour où j’entrais à l’Académie, la comtesse du Barry entrait à Versailles. Elle avait vingt-sept ans, et elle était, foi de mousquetaire, une très-belle fille, avec des façons fort distinguées, quoi qu’on en ait dit.

      En1775, les mousquetaires ayant été licenciés, les bontés du vicomte de Vergennes me firent entrer dans sa compagnie des gardes de la porte.

      Quand vint la grande débâcle, j’accompagnai Mesdames de France à Rome et à Naples, et, en attendant une éclaircie, je passai près d’une année dans un village de l’Apennin, près des sources de la rivière de Corrèse: mais j’étais soldat; d’augustes volontés me commandèrent de garder mon épée, et je servis mon pays, comme j’avais servi mon roi.

      Néanmoins l’Italie m’attirait; j’y avais la pensée unique de ma vie. J’y errai longtemps, de province en province. Je m’arrêtai enfin dans un village de la Sabine. J’avais fixé près de là mon dernier gîte, et j’y reviens tous les ans, jusqu’à ce que j’y reste.

      Merci de votre visite d’aujourd’hui; vous ne m’auriez pas trouvé demain.

      Comme il disait ces paroles, une belle fillette de quinze à seize ans, costumée en contadine du val d’Arno, entra familièrement chez le chevalier. Elle était grande, élancée, grêle des membres, avec le regard fin et vif, la figure un peu émaciée, comme si elle était pâlie par une pensée lardente et précoce.

      –De quelle province êtes-vous, ragazzina mia? lui demandai-je.

      –Io so di Sicna, signore, me répondit-elle, avec un petit air de fierté provocante.

      –Et pourquoi dites-vous so, au lieu de sono, comme tous les Italiens qui parlent correctement?

      –Oh! prenez garde, dit le chevalier de Médrane, en riant. Vous ne serez pas le plus fort sur ce terrain, qui est le sien. Elle préfère la langue de Sienne à celle de Florence. 1

      –Noi, Sanesi, parlamo come la santa, dit l’enfant.

      –Vous le voyez, ajouta le chevalier, c’est une puriste. Beppa prétend que sainte Catherine de Sienne parlait un italien bien plus pur que celui de la Crusca.

      –E di certo, Excellenza, dit Beppa avec fermeté.

      –C’est une réformatrice de la langue italienne, continua le chevalier en souriant, et elle joint, quand il le faut, l’exemple au précepte. Beppa fait des vers fort gracieux, et même en improvise, comme le plus habile poëte qu’il y ait de Sienne à Pistoie.

      Flattée du témoignage de son maître, la jeune pecoraia voulut lui lire un storncllo qu’elle venait de composer.

      –Demain, ma chère Beppa, lui dit le chevalier avec douceur.

      –Ma, poichè andate via dimane, Excellenza!

      –C’est vrai, Beppa, je pars demain; mais tu me diras ton stornello avant que je parte, et tu le répéteras à la contessine Laura, quand je serai parti. <

      Je


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