Le Secret du chevalier de Médrane. Adolphe Granier de Cassagnac

Le Secret du chevalier de Médrane - Adolphe Granier de Cassagnac


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      –Oui!

      –A-t-elle écrit des lettres?

      –Oui!

      –Combien?

      Cinq.

      –A qui? Soyez franche jusqu’au bout, il le faut.

      –A un officier de vos amis, à M. de Moraines.

      M. de Grandfay prit sa tête dans ses mains, et marcha dans son cabinet en s’écriant:

      –C’est bien cela! c’est bien cela! pauvre femme! J’avais deviné cette infamie.

      Puis, se rapprochant, il ajouta:

      –Connaissez-vous ces lettres?

      –Oui, je les ai toutes lues, et c’est moi qui les ai remises.

      –Vous souvenez-vous du contenu?

      –Parfaitement. Louise rentrait de Paris; elle avait eu pour amie, au Sacré-Cœur, une jeune Italienne, belle, intelligente, la tête un peu exaltée. Elles s’écrivirent longtemps. Cette jeune Italienne quitta le couvent en même temps que Louise, et pour se marier. Elle lui avait dit qu’à Rome, et surtout à Florence, c’était l’usage des jeunes femmes nouvellement mariées de prendre un cavalier servant, qui devenait intime dans la maison, et les accompagnait au spectacle, au bal, à l’église, dans le monde, où les mœurs admettaient qu’il prit publiquement la place du mari. Elle annonça son mariage à Louise, et lui écrivit qu’en souvenir de leur liaison, elle ajournait le choix de son cavalier servant jusqu’à ce qu’elle eût rencontré un Français jeune, beau et aimable.

      Ces idées avaient paru d’abord fort étranges à Louise; mais l’honnêteté de sa compagne était si certaine, et l’usage des grandes familles italiennes emportait avec lui une telle autorité, que, son inexpérience aidant, elle finit par les admettre.

      Vous savez que Louise était orpheline de mère; ce fut donc sous les auspices de son père, vieillard un peu frivole, qu’elle fit son entrée dans le monde. Elle y rencontra M. de Moraines, qui lui fit la cour. Elle avait seize ans. M. de Moraines lui adressa des vers, que je commis la faute de remettre. Après les vers, vinrent des billets. De la part de M. de Moraines, cela pouvait être sérieux; de la part de Louise, ce n’était que légèreté inconsciente et enfantillage. Je vous l’ai dit, elle n’avait plus sa mère.

      Ce qui peint fidèlement l’état du cœur de Louise, c’est que pendant les pourparlers qui précédèrent son mariage, elle ne cessa pas ses rapports ordinaires du monde avec M. de Moraines. C’est même alors que, le voyant chagrin et désespéré, elle lui écrivit le dernier billet, où elle lui disait que s’il restait, pendant trois ans, fidèle à son souvenir et à ce qu’il nommait sa passion, elle le choisirait pour son cavalier servant. Voilà tout; et, ni en paroles, ni en écrits, ni en actions, il n’y en a pas davantage.

      –Hélas! s’écria M. de Grandfay, il n’y en a que trop! Après un moment de silence, il reprit:

      –Ainsi, il y a cinq lettres, dont la dernière contient la promesse de prendre M. de Moraines pour cavalier servant, au bout de trois années; et ces cinq lettres sont entre ses mains?

      –Non; ce n’est pas lui qui les a.

      –Et qui donc?

      –C’est M. de Nolivos, cousin germain de ma marraine.–

      –M. de Nolivos, procureur du roi à Pondichéry? s’écria-t-il, au comble de l’étonnement; mais comment en est-il devenu dépositaire?

      –Voici. M. de Nolivos a reçu en dépôt de M. de Moraines un pli cacheté, scellé, dont il ignore le contenu. Il a donc les lettres, mais il n’en soupçonne même pas l’existence.

      Louise, dont le cœur est droit et l’âme honnête, ne tarda pas à regretter l’engagement qu’elle avait pris. Elle me chargea de voir M. de Moraines, et de réclamer ses lettres. Toutes mes instances furent vaines. Un entretien fut demandé. C’était un soir. Nous revenions de chez le gouverneur. Louise était entre M. de Moraines et moi. Je portais le falot, et j’éclairais le chemin devant les pas de Louise, selon la précaution d’usage, afin qu’elle me marchât pas sur quelque serpent. Je vois encore la pâleur de ses traits, lorsque, s’adressant à M. de Moraines, elle fit appel à son honneur de gentilhomme et d’officier.

      Voici la réponse de M. de Moraines:

      –Un homme que vous avez daigné distinguer ne saurait manquer à l’honneur et il n’y manquera pas. Vous m’avez fait une promesse dont je ne puis demander l’accomplissement que dans trois années. Au bout de ce temps, je viendrai, vos lettres à la main, vous demander si je dois être le plus heureux ou le plus malheureux des hommes, également prêt et résolu à m’incliner respectueusement devant votre décision, quelle qu’elle soit. En attendant, vos lettres resteront scellées, ignorées de tous, comme un dépôt sacré, entre les mains d’un membre de votre famille, jusqu’au jour où vous prononcerez sur mon sort.

      Là-dessus, M. de Moraines salua et s’éloigna.

      Après avoir marché un instant, pensif et absorbé, M. de Grandfay reprit de nouveau:

      –Ma pauvre Oliva, tu ne peux pas mesurer, comme moi, l’étendue du danger que court ta marraine. Il y va de l’opinion du monde sur elle, c’est-à-dire de sa considération et de son honneur; et, pour une femme comme madame du Guénic, l’honneur, c’est la vie. Les choses étant ce qu’elles sont, j’ai beau réfléchir, je ne vois qu’une seule personne au monde qui puisse la sauver; et cette personne, c’est toi. Veux-tu te dévouer?

      –Si je veux me dévouer pour ma marraine, pour ma bienfaitrice, pour l’ange et l’idole de ma vie? Oh! Philippe, vous n’en doutez pas, je l’espère!

      –Alors, écoute. Les cinq lettres, dis-tu, sont entre les mains de Nolivos. Eh bien! ces lettres, il les faut, et il les faut à tout prix!

      –Oh! monsieur, le prix d’un tel dépôt à prendre par moi, dans les mains de M. de Nolivos, je le sais d’avance, et vous aussi!

      –Sans doute, ma pauvre Oliva; mais la vie a ses fatalités. Tu ne doutes pas qu’en te parlant ainsi, je n’aie l’âme navrée. C’est pour les grands périls que sont faits les grands dévouements, et celui que court ta marraine est effroyable. La question se pose ainsi: seule tu peux la sauver; le veux-tu? oh! je sais bien ce que je te propose; le cœur m’en saigne, tu le sais; mais la destinée se dresse inexorable; ton sacrifice ou le sien! Eh bien! ma pauvre enfant, sonde ton âme; mesure ta répugnance; lutte avec cette fatalité; marchande avec le vice et tâche d’obtenir du rabais!

      –Philippe, m’écriai-je avec exaltation, devant une question ainsi posée, ma raison se révolte, mais mon cœur ne délibère pas.

      Là où un homme de votre droiture et de votre courage trouve un grand danger pour ma marraine, il doit y en avoir un; je ne le discute ni ne le mesure, je le brave! Vous êtes ma caution et mon guide: on ne s’écarte pas du chemin de l’honneur en vous suivant. Arrêtez mon passage pour Pondichéry; donnez-moi mes instructions; je pars demain.

      Après une pause émue, Oliva me raconta rapidement son voyage à bord du Gustave, sa relâche à Bourbon, où deux familles auxquelles M. de Grandfay l’avait confiée descendirent, et lui donnèrent des lettres pour leurs parents de Pondichéry.

      A mesure qu’elle abordait les parties délicates et douloureuses de son récit, sa voix s’altérait. Elle n’eut plus que des paroles heurtées et entrecoupées, lorsqu’elle parla des ruses, des mensonges, des faiblesses auxquels elle dut s’abaisser, pour gagner la confiance absolue de M. de Nolivos, imiter son écriture, dérober son cachet, substituer du papier blanc aux lettres fatales.

      Enfin, lorsqu’elle arriva à la réussite, suivie d’un prompt départ pour l’Europe, elle avait la gorge serrée, la tête baissée, le visage


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