Le Secret du chevalier de Médrane. Adolphe Granier de Cassagnac

Le Secret du chevalier de Médrane - Adolphe Granier de Cassagnac


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de Sérignac, son fiancé, venait d’être blessé et fait prisonnier au terrible et sanglant combat de la ravine à Couleuvres.

      Elle n’hésita pas; elle alla trouver Dessalines, et lui demanda la vie de son fiancé. Elle l’obtint. au prix qu’il convint au nègre vainqueur d’exiger. Le soir, deux fidèles serviteurs recevaient M. de Sérignac dans une embarcation, et allaient le déposer le lendemain à Kingstown, sur la côte la plus rapprochée de la Jamaïque.

      Plus tard, après la soumission de Toussaint Louverture, beaucoup de blancs purent quitter librement Saint-Domingue. Mademoiselle d’Esparbès et les siens se hâtèrent de partir, se dirigeant sur la Jamaïque, où se trouvait le chevalier.

      Au moment où la goëlette qui les portait manœuvrait pour jeter l’ancre devant Kingstown, mademoiselle d’Esparbès se plaça debout sur le gaillard d’avant, espérant que M. de Sérignac serait sur le rivage. Elle ne s’était pas trompée; son fiancé était là, qui l’attendait. Dès qu’il la reconnut, il la salua du chapeau et lui tendit les bras. Mademoiselle d’Esparbès, immobile, l’enveloppa d’un long regard de tendresse, et lui envoya deux baisers du bout de ses mains amaigries; puis, comme elle se sentait ou se croyait indigne de lui, elle fit semblant de glisser, tomba dans la mer, et se noya.

      Eh bien! monsieur, lorsque le Gustave est entré dans la Loire, je me suis souvenue de mademoiselle d’Esparhès, et j’ai eu la pensée de finir comme elle.

      Mais je me suis souvenue aussi de mon devoir. J’avais à remettre à M. de Grandfay un dépôt sacré, et je suis arrivée jusqu’à lui.

      En me revoyant si triste et si pâle, il a eu pitié de moi, il m’a prise dans ses bras, ce qu’il n’avait jamais fait, et il m’a embrassée en pleurant.

      –Ma pauvre et chère Oliva, m’a-t-il dit, je n’avais jamais douté de ton dévouement et de ton courage; désormais, ma maison est la tienne, et, s’il plaît à Dieu et à toi, nous y vivrons comme deux inséparables amis.

      Vivre sous son toit avait toujours été mon rêve; mais y vivre séparés par un abîme que ma volonté même se refuserait à franchir. Oh! tenez, monsieur, je crois que ma première pensée était la bonne, et qu’il valait encore mieux, n’ayant plus d’espoir et ne voulant plus avoir de souvenir, reposer dans la paix de la mort, au fond de la Loire!

      Et vous, ma marraine, à qui je dois tout, je crois que j’ai acquitté ma dette; et, puisqu’il fallait une victime pour les imprudences communes de notre jeunesse, Dieu a été juste en permettant que ce fût moi.

      –Ma chère Oliva, lui dis-je, vous êtes un brave et noble cœur, et l’affection de madame du Guénic pour vous sera grande, si elle s’élève, comme il n’en faut pas douter, au niveau de votre dévouement.

      –Elle ne le connaîtra jamais, monsieur, Dieu m’en préserve! elle voudrait savoir à quelle impulsion j’ai obéi, et le respect de M. de Grandfay pour ma marraine est trop grand pour vouloir lui laisser soupçonner qu’un étranger a pénétré dans les secrets de sa vie, même pour en préserver le repos et la pureté.

      D’ailleurs, quels dangers réels a pu courir son honneur? je l’ignore. Tout ce que je sais, c’est que les anges ne sont pas plus irréprochables: M. de Grandfay m’a parlé de péril imminent à conjurer, je l’ai cru. Il est trop maître de lui pour avoir tremblé devant des fictions. J’aurais pris dans un brasier les lettres qu’il m’a demandées, je les ai prises dans ma honte. A lui donc, à lui seul, outre sa conscience et Dieu, le secret de ses desseins, et le sentiment d’honneur qui les lui a inspirés.

      Quant à moi, mes pensées, mon désespoir m’appartiennent, et j’ai pu vous les confier. Vos relations avec l’amiral, votre liaison avec M. de Grandfay, nos bons souvenirs de Fort-Royal vous ont mis comme de moitié dans mes joies et dans mes peines; et vous resterez mon témoin dans ma lutte contre des haines mystérieuses et redoutables, d’où je sors heureuse, quoique toute meurtrie.

      Après ce long entretien, Oliva était brisée d’émotion, et je me sentais moi-même profondément troublé. Je pris congé de cette noble fille, dont je n’avais jusqu’alors admiré que la beauté, et en qui je venais de découvrir, d’une manière si imprévue, les plus hautes et les plus exquises qualités de l’âme.

       TOUTES POUR UNE

       Table des matières

      Le récit d’Oliva avait jeté une vive lumière sur e drame mystérieux que contenait le pari jugé chez la comtesse Merlin. La femme dont l’honneur avait servi d’enjeu, c’était la jeune comtesse du Guénic. L’homme qui n’avait pas reculé devant l’idée de la perdre m’était également connu, c’était M. de Moraines; et le libérateur discret, caché dans l’ombre, qui avait tout conjuré, c’était M. de Grandfay, secondé par le dévouement héroïque de la belle mestive.

      Toute cette partie du drame était donc désormais complétement éclairée; mais une autre, la plus intime, et par conséquent la plus importante, restait dans les ténèbres. Je connaissais les acteurs qui agissaient, mais j’ignorais les mobiles qui les faisaient agir.

      Par quels événements M. Albert de Moraines, si vivement épris de mademoiselle de Saint-Vincent, et qui avait reçu d’elle l’engagement écrit de devenir son cavalier servant, après son mariage, avait-il pu être conduit à changer son attachement en une haine tellement violente, qu’elle lui avait ôté même le vulgaire respect qu’un homme de son éducation et de son rang conserve, dans tous les cas, à une femme digne d’avoir été sincèrement aimée?

      D’un autre côté, quel motif avait donc pu inspirer la conduite de M. Philippe de Grandfay qui, sans même connaître personnellement, nous le savons par son propre aveu, madame du Guénic, s’était fait le gardien secret et vigilant de son honneur, avait surveillé son ami de Moraines, avait pénétré ses desseins, deviné l’objet de son pari, et n’avait pas hésité, pour le faire échouer, à sacrifier, un peu brutalement peut-être, l’honneur et probablement la paix intérieure d’Oliva, si jeune, si belle, si honnête, et, il ne l’ignorait pas, éprise pour lui d’un amour sans limites, sinon sans espoir?

      C’étaient là deux mystères, constituant la portée morale de l’action intime dont je ne saisissais encore que les aspects superficiels et les ressorts extérieurs. D’un autre côté, autour du drame principal, se tenaient deux personnages encore muets, la contessine Accaiolo, amie intime de madame du Guénic, et le chevalier de Médrane, ami intime de la contessine. Etaient-ils aussi étrangers à la lutte que les apparences pouvaient porter à le croire, on bien y jouaient-ils un rôle par suite de quelque active participation, encore dissimulée?

      Je me demandais donc si je réussirais à pénétrer ces secrets, ignorés d’Oliva elle-même, trop délicats pour être indiscrètement poursuivis, trop importants pour être légèrement révélés; et je n’osais me répondre.

      Au milieu de ces perplexités naturelles, nées d’une curiosité fortement éveillée par les confidences d’Oliva, j’étais dans mon cabinet, le lendemain matin, vers onze heures, corrigeant les épreuves d’une nouvelle édition de Danaé, lorsqu’on me remit une carte de visite, sur laquelle je lus:

      LE CHEVALIER DE MÉDRANE.

      –Priez d’entrer, dis-je aussitôt; et je posai ma plume.

      Mes lecteurs ont déjà une idée générale de la personne et du caractère du chevalier, qui avait rendu, avec tant d’autorité, la décision soumise à sa probité et à son honneur; mais je n’ai encore parlé de lui que sur ouï-dire. Son nom avait fait naître en moi le vif désir de le connaître plus intimement, et de pénétrer, s’il se pouvait, le mystère de sa personnalité et de sa vie.

      Je reçus debout le petit vieillard, non


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