Le Secret du chevalier de Médrane. Adolphe Granier de Cassagnac

Le Secret du chevalier de Médrane - Adolphe Granier de Cassagnac


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citait comme un modèle dans son quartier.

      Oliva était donc restée à Fort-Royal, fort remarquée, fort entourée, fort recherchée des filles de couleur dont elle était la reine par la grâce, et l’honneur par la dignité.

      Indépendamment des jeunes créoles, qui ne dédaignaient pas de fréquenter le magasin de mamzelle Chouchoute, et qui faisaient prospérer son commerce, trois jeunes gens, particulièrement distingués, s’y donnaient fréquemment rendez-vous. C’étaient Philippe de Grandfay et Albert de Moraines, sous-lieutenants au1er régiment d’infanterie de marine, en garnison à Fort-Royal, et Raymond de Nolivos, substitut du procureur du roi à Saint-Pierre.

      Oliva se trouvait naturellement le centre d’attraction lui attirait ces jeunes gens; mais chacun d’eux tendait vers elle par l’effet d’une gravitation spéciale. De Grandfay l’admirait, de Moraines l’aimait, de Nolivos la convoitait.

      Elle vécut longtemps en contact avec ces sentiments divers, sans les comprendre, comme les yeux des petits enfants voient vaguement les choses, sans les distinguer.

      Lorsque les révélations de la seizième année lui eurent appris ce qui vibrait dans le cœur des autres, en lui expliquant ce qui vibrait dans le sien, elle inclina doucement sa vie vers Philippe de Grandfay, comme les fleurs inclinent leur calice vers le soleil, et elle l’aima avec toutes les naïvetés, toutes les exubérances, toutes les compromissions d’une jeune âme, donnée pour toujours, car les témérités inconscientes de l’innocence peut vent ressembler quelquefois aux audaces calculées du vice.

      De Grandfay était un esprit délicat et un cœur élevé il était défendu contre les séductions vulgaires par la gravité naturelle de son caractère, et plus encore peut-être par une vision, souvenir ou espoir, dont alors avait seul le secret, qui absorbait et qui préservait sa vie.

      Les lueurs qui s’élevaient en feux follets du cœur d’Oliva. l’amusèrent d’abord, l’intéressèrent ensuite puis, comme il arrive toujours à ceux qui se chauffent de trop près à ces foyers, il s’y brûla. Et comme, avec les sentiments dont la jeune fille ne lui ménageait par l’expression, vouloir c’était pouvoir, il voulut.

      Mais alors et tout à coup se révéla dans Oliva une résis tance mystérieuse, que de Grandfay n’avait ni prévues ni redoutée, et qui se manifesta par de timides réticences et d’affectueuses dilations. Il s’en étonna d’abord, s’erita ensuite; et le sentiment de la jalousie, toujours prompt à naître, lui fit soupçonner dans de Moraines ou de Nolivos les causes secrètes d’une sorte de rivalité réelle, sans rivaux apparents.

      Comme il se débattait, soucieux et chagrin, au milieu de ces incertitudes, il reçut un matin le billet suivant, qui lui apprenait la vérité:

      «Mon cher Philippe,

      «Ne soyez plus fâché contre moi; je vais vous dire ce que j’avais–hier au soir sur les lèvres, au moment où vous m’avez quittée sans me dire adieu.

      « Ce sera dans quinze jours Pâques, et je vais faire sa première communion. Je l’ai promis à ma marraine.

      «Depuis que je vais à l’église, j’y entends des choses qui me remplissent d’épouvante et de chagrin. Je ne voudrais ni cesser d’être honnête, ni cesser de vous aimer.

      «Est-ce possible?

      «En attendant que j’éclaircisse ce mystère, je prie Dieu de me défendre contre vous, et je sens bien qu’il est seul assez puissant pour le faire.

      «Ne m’aiderez-vous pas dans ma tâche, mon cher Philippe? Au lieu de la parure que vous me destiniez, donnez-moi ma robe blanche. Alors, je serai forte, car je me sentirai revêtue de votre affection et de votre honneur.

      «OLIVA.»

      M. de Grandfay fut bouleversé par cette lettre. L’idée de disputer à Dieu sa plus belle fiancée du jour de Pâques lui parut un sacrilége, et il la repoussa avec horreur. Sans même se demander comment il guérirait cette nouvelle plaie de son âme, il fit venir de Saint-Pierre la plus belle robe de communiante, et il l’envoya à Oliva, en s’abstenant de la visiter.

      Il assista simplement, avec la plupart des officiers, à la cérémonie du jour de Pâques; Oliva passa devant lui, son cierge à la main, belle de calme et de modestie, et il fut heureux, pour elle et pour lui, du courage qu’elle eut de ne pas s’apercevoir de sa présence.

      Quelques jours plus tard, Oliva et M. de Grandfay se revirent, portant l’un et l’autre dans le regard, en s’abordant, le témoignage de leur mutuelle et noble affection.

      Le1er régiment d’infanterie de marine ayant été relevé, M. de Grandfay et M. de Moraines revinrent à Cherbourg, puis à Paris. M. de Grandfay s’y fixa, et M. de Moraines, parti le premier, alla voyager en Italie. Ils avaient l’un et l’autre quitté le service.

      Ils furent suivis de près par M. de Nolivos, qui allait occuper à Pondichéry le poste de procureur du roi, auquel il venait d’être nommé; et il s’arrêta naturellement, en passant, chez l’amirale du Guénic, dont il avait l’honneur d’être cousin germain.

      Oliva, cédant à l’affection et aux instances de sa marraine, quitta aussi la Martinique, et, en l’absence momentanée de l’amirale, qui était dans ses terres de Bretagne, au moment où elle arriva à Paris, elle s’installa chez la douairière de Grandfay, créole également, mais originaire de Saint-Domingue.

      C’est là qu’était venue la surprendre l’aventure que je brûlais de connaître, et que nos causeries de Fort-Royal et mes relations avec M. de Grandfay comme avec l’amirale, l’avaient disposée à me raconter. Son habitude de la langue créole ne l’avait pas empêchée de contracter, auprès de l’amirale, l’usage du français qu’elle parlait très-purement; et je ne rendrais que très-imparfaitement les faits, les idées et les sentiments qu’elle m’exposa, si je ne m’astreignais à conserver aussi fidèlement que possible l’ordre, les détails et les termes du récit qu’elle voulut bien me faire.

      –Il y a dix mois environ, dit-elle, peu de temps après mon arrivée de la Martinique, M. de Grandfay m’appela dans son cabinet; il était soucieux et sombre. Après quelques moments de silence, il m’interrogea brusquement.

      –Oliva, me. dit-il, aimez-vous toujours votre marraine?

      -–Si je l’aime? oh! oui, et toute journée qui retarde son retour à Paris est un siècle pour mon impatience.

      –Sentez-vous pour elle dans votre cœur toute la tendresse, et, sur toute chose, y sentez-vous bien entier le dévouement d’autrefois?

      –Vous m’effrayez, monsieur, m’écriai-je; qu’y a-t-il donc? court-elle un danger? parlez, je vous en supplie.

      –Oliva, me dit-il, en me regardant fixement, madame du Guénic est perdue, car elle ne survivra pas à la perte de son honneur.

      –Perdue, ma marraine? son honneur compromis? c’est une calomnie, monsieur, une calomnie infâme. Louise est pure comme les anges; mais de quoi s’agit-il, mon Dieu! que se passe-t-il? qui donc l’accuse? que lui reproche-t-on? que faut-il faire pour la sauver?

      –Je ne sais encore qu’une chose, Oliva, c’est que l’honneur de votre marraine est en jeu. Est-ce une calomnie? J’en suis persuadé sincèrement; mais la calomnie tue, aussi bien que la vérité. Il faut courir au plus pressé et détruire la machination qui la menace.

      Je vous ai appelée pour m’aider à percer le mystère dans lequel je marche à tâtons. Causons à cœur ouvert. Je n’ai pas l’honneur de connaître l’amirale, mais elle est ma compatriote; je la sais digne de tous les respects; elle a le mien, et je ne puis pas assister impassible à l’écroulement d’une situation aussi honorable que la sienne.

      Voyons, parlez-moi sincèrement; vous avez eu les confidences de votre marraine; dites-moi toute la


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