Le Secret du chevalier de Médrane. Adolphe Granier de Cassagnac

Le Secret du chevalier de Médrane - Adolphe Granier de Cassagnac


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au moins la première. C’est la devise de Marie Stuart, qu’elle composa elle-même après la mort de François II, son mari. Elle peint bien les sentiments naturels d’une veuve de dix-sept ans, pour un mari mort à seize. C’était de la douceur, en attendant de l’amour.

      Quant à la seconde devise, je crois, si ma mémoire est fidèle, que c’est celle que le premier duc de Guise fit graver sur les murs de son château de Joinville, en l’honneur de sa femme, Antoinette de Bourbon. Il me semble même avoir lu quelque part qu’avant de renoncer à toutes les femmes pour une, qui était la sienne, il avait eu quelques petits mémoires à régler avec ses vassales.

      –C’est bien cela, répondit le chevalier en souriant.

      Je remis le bijou, qui était un cachet, au vieillard ému et charmé. Je l’accompagnai jusqu’à la porte de mon appartement, sans avoir essayé, crainte d’indiscrétion d’éclaircir les doutes de mon esprit sur sa mystérieuse identité.

      Voilà donc encore un secret qui venait s’imposer à mes recherches; et ce secret, c’était le mot de l’éternelle énigme du cœur de l’homme: l’amour d’une femme!

      Ce vieillard, déjà si avancé vers la mort, avait aussi le sien. Il venait de le laisser comprendre, en me montrant deux devises où se peignait l’état de son âme. Celle du duc de Guise disait qu’il avait laissé toutes les femmes pour une; et celle de Marie Stuart ajoutait que cette femme aimée uniquement était morte.

      Il était d’ailleurs visible qu’il puisait dans cette flamme intérieure, brûlante en lui, invisible aux autres, l’énergie de ses longues et vertes années. Il avait fait son existence comme les anciens Romains faisaient leurs maisons, sans jours sur la rue. Tout autour régnait l’obscurité; au dedans étaient la lumière et la vie.

      En me donnant à lire ses deux lettres, visiblement usées par ses lèvres, il m’avait permis de comprendre qu’elles étaient le souvenir impérissable d’une femme aimée; mais lorsqu’il me laissait deviner son rang, il était bien sûr que je ne devinerais pas son nom. Il m’avait montré le temple et caché l’idole; et il m’eût certainement laissé ignorer jusqu’à son bonheur, s’il lui avait fallu me le dire.

      C’est au milieu de ces révélations que Philippe de Grandfay entra chez moi.

      –Ah çà! me dit-il en me tendant la main, vous avez donc repassé hier, avec Oliva, la folle légende des filles e couleur de Fort-Royal, et des excentriques agapes de Montéran; mais, comme vous ne pouviez pas vous attendre à trouver Oliva chez moi, puisqu’elle ne fait que d’arriver, j’ai supposé que vous aviez peut-être besoin de me voir, et je viens vous dire: Me voilà; qu’y a-t-il?

      –Il est vrai, mon cher de Grandfay, que j’avais hier l’indiscret désir de savoir ce qui peut être su de l’étrange pari dont j’ai été témoin, comme vous, chez madame Merlin; et j’y joins aujourd’hui la prière de m’expliquer ce sphinx de bonne façon, qui a nom le chevalier de Médrane, lequel du reste m’a fait une visite ce matin, sous prétexte de littérature et de style.

      –Ah! vous voudriez pénétrer ce mystère froid, poli, réservé, correctement tenu et ganté, qui avait été choisi par le Tlub pour juge du pari de l’autre soir? Eh bien! mon cher, sachez que deux ou trois générations ont eu la même envie que vous, et n’ont pu la satisfaire.

      Quel est l’âge du chevalier? nul ne le sait; il peut avoir quatre-vingts ans, cent ans; il peut être un Rose-Croix, et remonter à1378, comme Rosenkreutz, le fondateur de l’ordre; ceux qui le connaissent assurent qu’il a toujours eu le même âge.

      Son nom, qui est porté par une grande famille de la Navarre espagnole, appartient aussi, vous le savez, à une branche française du Midi.

      Sa vie est irréprochable; ses relations du monde sont limitées, mais choisies; il sait beaucoup et bien; il affecte un grand respect pour l’honneur des femmes, et il le défend comme un homme qui aurait eu des raisons sérieuses d’y croire.

      Le chevalier de Médrane vit six mois à Paris et six mois on ne sait où; à l’entrée de l’hiver, il disparait. C’est le pari engagé qui l’a retenu. Ses malles doivent être bouclées, et, si vous voulez lui rendre sa visite, hâtez-vous.

      L’Italie paraît l’attirer; on l’y a rencontré souvent, visitant toutes les contrées, ne se fixant dans aucune.

      On l’a vu à Palerme, à Sorrente, à Misène, à Capoue, à Pise, à Viterbe, à Sienne. Il fuit ce qui attire les autres, les grandes villes, les musées, les galeries privées; médiocrement préoccupé des artistes, quoiqu’il aime les arts, et des meilleurs salons, quoiqu’il soit sociable et gentilhomme. Ce qu’il a, dit-on, fouillé de cloîtres, visité de cryptes, ne se compte pas. Qu’y cherche-t-il? on l’ignore. C’est un inconnu, attiré par quelque autre.

      Son attraction du moment, en Italie, paraît être un mamelon de la Toscane, sur la rive droite du Tibre, en face de Corrèse, et en vue du Monte Tresto, qui est, comme vous savez, le Soracte des classiques. Les indiscrétions enfantines d’une petite bergère, qui gardait des moutons aux environs du Cimino, et qu’il en a ramenée, ont révélé l’acquisition qu’il y aurait faite d’un tombeau étrusque. La contessine Accaiolo, qui lui a cédé le tombeau et confié la petite pecoraia, pourrait peut-être vous en dire plus long à son sujet.

      Au demeurant, le chevalier est respecté de tous, et il est, comme on dit, homme d’honneur jusqu’au bout des ongles. Sa parole est sûre, et sa discrétion sans bornes. Il y a présomption de vérité dans ce qu’il pense, certitude dans ce qu’il dit. Ces qualités lui ont donné, au Club, une autorité absolue en toute matière d’honneur. Il y est juge nés des paris délicats.

      Quant au pari de l’autre soir, il rentre, par la forme, dans la catégorie de tous ceux qui s’y font, et cette forme n’est un mystère pour personne.

      On les inscrit sur un registre spécial, et ils sont à peu près tous proposés et tenus conformément à la formule que vous avez entendu lire l’autre soir:

      –Parié tant. que telle chose arrivera ou n’arrivera pas.

      Au-dessous, le partner écrit: Tenu.

      On est libre de signer ou de ne pas signer; mais celui qui ne signe pas se fait connaître, s’il le faut, au juge du pari, nommé d’avance.

      Depuis que je fais partie du Club, je n’y ai vu que deux paris particulièrement délicats: celui de l’autre soir, et un autre, jugé l’année dernière.

      Il avait été parié deux cents louis qu’une femme, récemment mariée, donnerait un coup de canif au contrat, dans les six mois qui suivraient la noce. Le piquant de l’aventure, c’est que le pari était tenu, disait-on, par le mari, et qu’il le perdit.

      Comme toujours, en ces sortes de cas, le chevalier de Médrane était juge. A l’époque marquée, il remit au mari une quittance ainsi conçue:

      «Reçu de M. le comte de la somme de quatre mille francs, pour un pari qu’il a perdu en cautionnant, pendant six mois, la fidélité conjugale de madame X.»

      On dit que le comte montra le reçu à sa femme, en riant aux éclats; mais sa gaieté opéra d’une façon si contraire sur les nerfs de la comtesse, qu’il en devint rêveur et soucieux.

      En somme, le chevalier est, quant aux choses de sa vie qu’il, cache, une énigme dont lui seul est en état de dire le mot. Pour toutes celles que l’on peut voir, c’est un gentilhomme accompli. Cependant, je ne lui savais pas des goûts et des préoccupations littéraires; et vous m’étonnez en m’apprenant qu’il est venu vous consulter sur le style, à moins qu’il ne songe à écrire ses mémoires.

      –Je ne le pense pas, dis-je à de Grandfay. Notre entretien à ce sujet a été tout à fait spécial, et s’est borné à la question de savoir si un écrit porte en lui-même et dans son style des indications de nature à révéler


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