Le Secret du chevalier de Médrane. Adolphe Granier de Cassagnac

Le Secret du chevalier de Médrane - Adolphe Granier de Cassagnac


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abandon, et la noblesse sans gourme.

      L’honneur de la Guadeloupe était soutenu par madame de Fontenay; celui de la Martinique par mademoiselle de Pontaléry; la première, fine et énergique physionomie, détachée d’une toile de Van Dyck; la seconde, idéal de jeunesse, de grâce et d’abandon, qu’atteignit quelquefois, sans le dépasser jamais, le pinceau délicat de Greuze.

      A côté du groupe des créoles était celui des philhellènes, car la comtesse avait chanté autrefois pour les Grecs, et jeté les trente mille francs de son concert dans la cassette aux guinées de lord Byron.

      Deux Athéniens, portant la veste en drap d’or, la fustanelle blanche à longs plis, les cnémides ou jambières en cuir de Russie, étaient debout près du célèbre général Kalergis, qui les avait présentés; et ils avaient dans leur large ceinture assez de sabres et de pistolets pour conquérir une province.

      Le nom du brave général Kalergis, sa haute stature, sa fière mine, attiraient l’attention de tous. Il portait le fez du côté gauche, affectant de laisser voir nue et dégarnie la place de l’oreille droite, que les Turcs lui avaient coupée à la bataille de Callirhoë. Mais la curiosité des hommes, et un peu aussi la jalousie des femmes, étaient excitées par la merveilleuse beauté de madame Kalergis, jeune Corinthienne, admirée de Paris comme de toute la Grèce, et qui, eût-elle été encore plus impie que Phryné, eût été absoute par l’aréopage à la seule vue de son visage.

      Autour des Grecs authentiques d’Athènes s’empressaient les philhellènes de Paris, Buchon, le baron Charles Dupin, Ambroise Didot; et Letronne, qui était capable de refaire Hérodote, si on l’avait perdu, émerveillait les deux Athéniens par la pureté de son accent et la correction de son dialecte ionique.

      Naturellement, Paris lettré avait fourni un brillant et large contingent au salon de la comtesse; et comme les poëtes et les romanciers ont toujours eu le privilége d’attirer l’attention des gens du monde, cherchant à découvrir dans les traits ou dans le regard les sources mystérieuses de l’inspiration, les yeux allaient de Balzac à Dumas, de Théophile Gautier à Méry, de Gozlan à Eugène Sue, d’Alfred de Musset à Sainte-Beuve, de madame Mélanie Waldor, dans sa maturité, à madame Louise Colet, dans l’éclat de sa beauté provençale.

      De tous ces lettrés, Eugène-Sue était le plus élégant cavalier, et Balzac le plus agréable causeur. L’un sentait toujours son ancien officier de marine, avec ses trente mille livres de rente; l’autre son gentilhomme tourangeau, avec son blason à demi effacé, mais l’ayant redoré par sa plume. Méry, l’hôte recherché de dix salons, n’était pas à proprement parler un causeur: c’était un feu d’artifice. Dès qu’on l’avait allumé, par le plus léger frottement, il suffisait, à lui tout seul, à éclairer un dîner ou à illuminer une soirée.

      Ce qui s’échangeait d’observations piquantes, de mots heureux, d’anecdotes inédites, dans ce milieu d’élite où étaient réunies et en contact toutes les élégances, toutes les intelligences, toutes les malices, il est plus aisé de le deviner que de le dire: plus d’une femme avait sa légende, plus d’un lettré son aventure. On les répétait, on les commentait en les voyant.

      A cette époque, Alfred de Musset avait mis à la mode les Andalouses, avec sa célèbre et indiscrète chanson, où il disait:

      Avez-vous vu dans Barcelone

      Une Andalouse au teint bruni?

      Un cœur andalou passait alors pour un morceau très-friand; et l’un des romanciers présents venait, disait-on, d’en perdre un qu’il n’était pas allé chercher à Barcelone, où ils doivent d’ailleurs être rares. L’histoire courait les groupes et les égayait.

      Après de longues lunes, sucrées avec le miel le plus doux et le plus parfumé qu’eussent jamais distillé les abeilles de la Huerta de Grenade, la belle venait de mourir. Le poëte, nature un peu élégiaque, ne se consolait pas d’avoir vu fermer ces beaux yeux, qui avaient contemplé les splendeurs de l’Alhambra et les élégances du Généralife. Mais, désillusion amère! les parents, accourus d’Amiens pour recueillir la succession, révélèrent au poëte affligé la nationalité de la défunte, qui, au lieu d’être Andalouse, était Picarde. Elle n’en avait été ni moins aimable, ni moins aimée; ayant montré par son exemple que la Somme possédait les vertus et la poésie de Jouvence, au même degré que le Guadalquivir.

      Enjouée, grave, railleuse, enthousiaste, la réunion vivait de sa force et brillait de son éclat, attendant la sortie des théâtres, qui devait amener, avec un surcroît de gloires ou de notoriétés, Giulia Grisi du Théâtre Italien et Rachel de la Comédie-Française, apportant l’une et l’autre à la soirée de la comtesse l’attrait de leurs noms et l’éclat de leurs talents.

      Parmi les nouveaux venus on distinguait l’illustre Auber, causeur aussi charmant que compositeur élégant, avec des airs de Chateaubriand, dont il avait la taille, la figure et la distinction; Nestor Roqueplan, esprit original, étincelant, sensé, méridional comme Méry, avec autant de verve, mais d’un caractère parisien, c’est-à-dire calme, aiguisé et railleur; le marquis de Custine, millionnaire lettré, petit-fils du célèbre et malheureux général, compagnon de Lafayette et de Rochambeau, et que sa mère portait dans ses bras, au pied de la guillotine, le jour où son grand-père y monta. A ses côtés était un type curieux resté des salons de l’ancien régime, Elzéar de Sabran, son neveu, fils de la célèbre amie du chevalier de Boufflers. C’était un petit homme, joufflu, souriant, sorte de bébé plus que sexagénaire, portant une perruque blonde, récitant des fables de sa composition, avec des gestes naïfs qu’il avait dû apprendre, dans les salons de sa mère, du brillant auteur d’Aline, reine de Golconde.

      Pendant qu’on dégageait le piano, et qu’on faisait place à Giulia Grisi, j’allai m’asseoir à côté du comte Philippe de Grandfay, jeune créole de la Martinique, et je donnai, en passant, la main à Albert de Moraines, son compatriote et son camarade au1er régiment d’infanterie de marine. Tous deux retirés du service, riches et du meilleur monde, ils étaient fort répandus, et appartenaient naturellement au Jockey-Club, dont le cercle était alors situé au coin de la rue Grange-Batelière et du boulevard des Italiens.

      Dans le même coin du salon étaient deux jeunes femmes, également remarquables et remarquées, amies intimes: l’une était l’amirale du Guénic, créole de la Martinique, dont le mari avait été l’ami et le compagnon du comte Merlin; l’autre était la contessine Laura Accaiolo, alors l’une des plus célèbres beautés de Florence. Son nom, légèrement modifié, la rattachait aux Accaioli de Florence, de Naples, d’Athènes et de Morée, famille ducale, dont le dernier représentant avait été dépossédé par Mahomet II.

      Ayant eu l’honneur de connaître l’amirale à la Martinique, et d’être présenté par elle à la contessine Laura, à Paris, j’allai saluer ces dames; et, revenant à Philippe de Grandfay, je lui demandai s’il connaissait le petit vieillard, fin, droit, recherché de plusieurs, regardé par tous, qui était venu, en ma présence, échanger une poignée de main familière avec la contessine et avec l’amirale.

      De Grandfay porta les yeux de ce côté, et me dit: –C’est le chevalier de Médrane.

      Craignant d’avoir mal compris, je fis répéter le nom, qui m’avait frappé.

      –Vous devriez le connaître, ajouta de Grandfay; il est de la Gascogne.

      –Je n’ose en croire ni mes yeux ni mes oreilles, répliquai-je. Le chevalier de Médrane, que j’ai connu dans mon enfance, et qui est encore présent dans mon souvenir, avec ses ailes de pigeon, son jabot, son épée en verrouil et ses deux montres, aurait aujourd’hui cent ans.

      –Qu’à cela ne tienne, observa de Grandfay en riant; celui-là peut les avoir. Du reste, il est l’oracle du Jockey où sa–réputation d’homme d’honneur l’a fait le juge naturel de tous les paris délicats. Ce soir même, il en jugera ici un, qui est des plus graves. Vous verrez cela. Je vous présenterai


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