La diva. Édouard Cadol

La diva - Édouard Cadol


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qu’il venait d’éprouver.

      Tout tremblant encore, il se secoua, voulant qu’une cause physique, la fraîcheur de la nuit, après une si grande chaleur là–haut, l’obscurité de la rue, après l’étincellement des lumières de la salle, eût produit ce malaise passager; une affluence du sang au cerveau.

      En fait, et à y repenser, quoi d’extraordinaire en ce qui venait de se passer? Des gens entrant dans une maison; quelqu’un qui demandait un employé du théâtre, puis le pas de gens pressés de rentrer chez eux; voilà tout.

      Il en arrivait à se moquer de lui.

      Cependant, revenu sur la scène, recevant, sans s’y attacher, les compliments des personnages qui l’encombraient, il était poursuivi par une sorte de curiosité: comment s’appelait le chef machiniste du château?

      Ceux à qui il le demanda crurent qu’il avait quelque recommandation de mise en scène à lui faire.

      A un moment, un homme de cinquante et quelques années l’aborda, sa casquette à la main, disant:

      –Monsieur désire quelque chose de moi?

      –Qui êtes–vous, mon ami? fit le compositeur.

      –Le père Achille.

      –Achille?

      –Le chef machiniste.

      –Ah! bien! répondit Louis, en suivant son idée. Mais ce n’est pas vous, dont je m’inquiétais; c’est. Charles; votre second, peut–être?

      –Je n’ai pas de second, monsieur, et il n’y a pas de Charles dans l’équipe.

      –Vous en êtes sûr?…

      –Sûr et certain, monsieur.

      –Alors, j’aurai mal entendu le nom. A cela près, c’est votre beau–frère qui voulait vous voir tout à l’heure.

      –Moi? J’étais fils unique, monsieur, et je ne me suis pas marié. Il faudrait être malin pour être mon beau–frère dans ces conditions–là, sans doute!

      Skébel s’en tira en lui donnant une gratification, et son inquiétude le reprit.

      Par le trou du rideau, il inspecta la salle. Tous les assistants étaient à leur place, debout, faisant face à l’empereur, toujours morne et impassible, et à qui de temps à autre, des personnes venaient parler à voix basse, pendant que des laquais passaient des rafraîchissements.

      Aucune émotion apparente.

      Sur la scène, dont on changeait le décor, un groupe d’hommes causaient tout bas, avec animation.

      Tantôt, l’un d’eux se détachait, traversait vivement les coulisses, et allait transmettre des ordres.

      L’un de ceux–ci, après avoir examiné le compositeur pendant un moment, s’approcha brusquement de lui.

      –Qu’est–ce que vous faites–là? lui demanda–t–il avec autorité.

      Louis déclina sa qualité.

      –Vous avez une place dans la salle? lui demanda de nouveau le policier. Puis, sur la réponse affirmative du jeune homme:

      –Vous y serez mieux qu’ici, ajouta–il, en forme de conseil impératif.

      Quitte à revenir, Skébel se rendit à l’invitation.

      La petite baignoire où cette place lui avait été attribuée était, on l’a dit, tout contre la scène et garnie d’un treillage doré.

      De là, on voyait tout, sans être aperçu des autres spectateurs, et les voix y étaient comme étouffées.

      En y pénétrant, Louis fut frappé de l’apparente émotion des personnes présentes.

      Elles entouraient un grand garçon, très décoré d’ordres étrangers, qui, durant la journée, s’était constitué, plus particulièrement, le cicerone du jeune compositeur: un employé du ministère de la maison de l’empereur.

      Dégagé, souriant, il répondait aux questions qu’on lui adressait.

      –Il n’y a rien à craindre, disait–il, au moment où Skébel arrivait. Ils sont coffrés.

      Quelqu’un qui vint l’appeler l’empêcha d’en dire davantage.

      –De quoi s’agit–il donc? demanda Louis.

      –Nous l’avons échappé belle: un complot, mon cher monsieur.

      Plus tard, revenu dans les coulisses, Louis entendit une autre conversation sur le même sujet.

      C’étaient des choristes et de petits employés du théâtre qui se communiquaient leurs renseignements.

      L’un disait:

      –Il paraît que leur plan consistait à se faufiler avec les musiciens. Puis, dans les dessous, où il n’y a personne, d’attendre la fin du second acte. Alors, les musiciens redescendus, dans la cour, ils comptaient viser l’empereur à loisir par la porte de l’orchestre, grâce à ce que tout le monde a le dos tourné, et lui envoyer une prune en pleine poitrine.

      –Ça, c’était malin!

      –Et qui que c’est, ces gens–là?

      –Des Italiens, des espèces de francs–maçons ou de carbonari, avec qui, qu’on dit, qu’il avait fait un pacte dans les temps, quand il conspirait lui–même contre Louis–Philippe, pour l’affranchissement des peuples et la destruction du paupérisme, et que pour lors, à cause qu’il les a lâchés ils l’ont condamné à mort dans un tribunal secret.

      A la forme près, c’était ce que, dans son hallucination, et par une sorte de seconde vue, Louis avait imaginé.

      Son opéra, le succès qu’il en attendait, étaient loin de sa préoccupation maintenant; il restait terrifié à la perspective de ce qui aurait pu arriver.

      Vers minuit, le rideau à peine levé sur le dernier tableau de la Princesse Aldée, un chambellan entra vivement dans le foyer des acteurs.

      –M. Skébel est–il ici? demanda–t–il.

      –C’est moi, monsieur, répondit Louis.

      –Veuillez me suivre, ajouta le fonctionnaire.

      Le jeune homme était devenu livide et ses artères battaient avec précipitation.

      L’idée de ce projet d’attentat à la vie du monarque, lui restait dans l’esprit; ce monde policier, qui l’entourait, sa participation inconsciente à toute cette affaire, résultant du verrou qu’il avait poussé, tout cela, lui avait mis au cœur une appréhension indéfinie mais persistante, sous l’impression de laquelle il demanda d’une voix étranglée:

      –Vous suivre, monsieur, où donc?

      –Dans la loge impériale; Leurs Majestés ont manifesté le désir de vous féliciter.

      Le chambellan ouvrit une petite porte, et marchant vivement, de façon à devancer de beaucoup celui qu’il avait mission d’introduire, s’engagea dans un couloir étroit, extrêmement éclairé, et encombré de monde; des hommes en toilette de soirée, mais rien que des hommes.

      Le passage était difficile.

      Disposés en groupes, et, en apparence, occupés à converser, ces personnes s’écartaient pour laisser passer le chambellan; mais Louis était obligé de les frôler en s’excusant pour traverser leur rassemblement.

      De temps en temps, un monsieur, venant en sens contraire, d’un pas précipité, se heurtait presque au compositeur, et tout en souriant, tout en s’excusant à son tour, avec infiniment de courtoisie, il y avait toujours un contact, dont le hasard répété fit penser à


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