La diva. Édouard Cadol

La diva - Édouard Cadol


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que le train glissait sur les rails, il songeait au hasard qui l’avait placé à côté d’Adrienne.

      Il se trouvait bien là; par une sorte de mirage dont le vague même le charmait, il se laissait aller à un rêve inconscient, qui lui semblait délicieux.

      Il se yoyait transformé, riche, illustre, toujours jeune; sinon beau, du moins agréable, et cette femme, avec qui il causait tout bas, ce n’était plus l’Adrienne du Théâtre– Lyrique, à peine liée avec lui, de cette particulière et facile, mais superficielle amitié des artistes, c’était sa vraie amie, sa seule amie, sa femme!

      L’aimable songe!

      Un point noir pourtant; le regard persistant de ce voyageur d’en face, qu’il avait pris en haine.

      Tout à coup, celui–ci se pencha vers le directeur, et lui fit une question à l’oreille.

      –Comment! répondit tout haut l’imprésario, vous ne connaissez pas le triomphateur du jour? Permettez–moi de vous le présenter.

      Puis, forçant l’attention du compositeur:

      –Mon cher Skébèl, dit–il, je vous présente au fils du premier homme d’État de l’époque, M. le comte Rodolphe Le Fauve.

      En envoyant secrètement le directeur au diable, Louis s’inclina avec réserve.

      –Ma foi, monsieur, fit Rodolphe, je vous fais mon compliment de confiance, sur ce qui m’a été dit de votre partition, par des personnes à même d’en juger, car, pour moi, je n’ai pu encore l’entendre.

      Savez–vous rien de plus agaçant que l’obligation d’échanger des politesses avec quelqu’un d’antipathique? Louis se tenait à quatre pour mesurer ses paroles et répondre convenablement.

      Peut–être devinait–il qu’en provoquant la conversation, le fils de l’Excellence n’avait eu pour but que de rompre son tête–à–tête avec Adrienne.

      A demi renversé, Rodolphe s’appliquait à ne pas laisser tomber l’entretien, bien que Louis fît des efforts en sens contraire, tantôt en évitant de répliquer, tantôt en lançant une formule qui équivalait à une conclusion.

      Mais l’autre le relançait.

      Les nerfs de Louis se crispaient, et ce voyage, si bien commencé, devenait un martyre.

      Enfin, on arriva.

      Il s’était mis à pleuvoir. Toutes les voitures de Compiègne, réquisitionnées pour le service du château, se mêlaient à la sortie de la station. Des employés de toutes sortes, des agents de police, donnaient des indications confuses, et les groupes, traversés par les uns et les autres, formaient un tohu–bohu général, où les appels, les recommandations se confondaient avec le sifflet des machines en manœuvre et le roulement des traîneaux à bagages.

      Louis avisa un landau, y conduisit Adrienne et sa mère, puis monta près d’elles et ferma la portière, se séparant ainsi des autres personnes attachées au théâtre.

      Sans qu’il eût reçu d’ordres, le conducteur prit le chemin de la résidence impériale.

      Au moment de passer le pont de l’Oise, un coupé de maître devança le landau.

      Dans ce coupé, deux personnes: Rodolphe et une femme d’une beauté singulière.

      C’était la comtesse de Külm; ce coupé lui appartenait.

      Si elle se trouvait là, ce n’est pas qu’elle figurât dans la série des invités du château. Mais, Rodolphe, pourvu d’une charge honorifique dans les écuries! était tenu de suivre les chasses, et l’étrangère trouvant à louer, à Compiègne, un hôtel, que des orléanistes, non encore ralliés, désertaient chaque année avec quelque fracas, durant le séjour de l’empereur, elle s’y était installée avec ses équipages et ses gens.

      Quand les deux voitures arrivèrent en ligne, madame de Külm se pencha, et jetant un regard dans le landau.

      –C’est ça? fit–elle.

      On n’entendit pas la réponse de Rodolphe; mais, mus par une inquiétude indéfinissable, Louis et Adrienne se regardèrent en même temps, et, d’un même mouvement, tous deux détournèrent les yeux.

      La jeune fille était pâle; Skébel, au contraire, avait un flot de sang au front.

      Arrivés dans une cour intérieure du château, les deux jeunes gens durent se séparer.

      Adrienne avait à rejoindre ses camarades, et le gouverneur du palais attendait le compositeur dans son appartement.

      Sans se rendre compte du sentiment qui le poussait, Louis retint la jeune fille.

      –Croyez–vous que j’aie du talent? lui demanda–t–il, d’un ton étrange. Et pensez–vous que je puisse arriver à la fortune?

      Elle le regarda, souriante et étonnée.

      –Est–ce que vous en doutez? fit–elle.

      –Et vous?

      –Moi? Non. Pourquoi me demandez–vous cela?

      –C’est que la vie théâtrale a des côtés horribles pour les femmes.

      –Je m’en aperçois, sans doute; mais…

      –Mais, interrompit le jeune homme, si le découragement vous venait, mademoiselle, je vous en prie, avouez– le–moi.

      –A vous, monsieur Skébel?

      –Vous ne me connaissez pas, c’est vrai, et je n’ai aucun droit de me mêler de votre vie. Cependant, je vous porte le plus grand respect. N’en cherchez pas plus long, et, en telle circonstance que ce soit, vous me ferez honneur en usant de mon dévouement.

      Fort intriguée, Adrienne lui tendit la main, un peu émue, comprenant qu’il y avait sous l’enveloppe presque épaisse de ce grand diable de garçon, une extrême sensibilité de cœur et un tact exquis.

      Jusqu’où cela pouvait–il aller? Elle ne s’y méprit pas, elle comprit aisément que Louis l’aimait jusqu’à l’épouser, et elle en fut touchée.

       UNE SOIRÉE THÉATRALE AU CHATEAU DE COMPIÈGNE

       Table des matières

      La salle de spectacle du château de Compiègne a la forme d’un carré long. Le parquet en pente est entouré de baignoires grillées, au–dessus desquelles une galerie latérale.

      Au fond, une sorte d’amphithéâtre, de la largeur de la salle: la loge des souverains, loge découverte, où le regard plonge aisément de toutes les places.

      Après avoir dîné à la table du gouverneur du palais de Compiègne, Louis Skébel fut conduit dans l’une des baignoires, voisines de la scène, et par laquelle on y peut communiquer.

      Au parquet, à la galerie, une foule de femmes en toilettes, des hommes en uniforme, beaucoup d’officiers de la garnison, des habits noirs en minorité; aucun qui ne fût paré du ruban rouge.

      Dans la loge impériale, personne encore. Par la porte du fond, laissant voir un salon très éclairé, à peine apercevait– on quelques grands valets qui se promenaient en causant.

      Tout à coup un mouvement se produisit, puis un chambellan, en grande livrée, annonça:–L’Empereur!

      D’un même mouvement tous les assistants se levèrent, firent face à la loge, et Napoléon III parut, accompagné de l’impératrice.

      Derrière eux, les familiers de la cour, et les invités de la


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