La diva. Édouard Cadol

La diva - Édouard Cadol


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travers la porte de laquelle, un bruit de vaisselle et d’argenterie lui apprit qu’il surprenait son monde à table.

      Il en augura mal pour ce qu’il venait solliciter. Il s’attendait, du moins, à se morfondre là, jusqu’à ce qu’on eût pris le café.

      Il n’en fut rien.

      Après quelques minutes, la porte s’ouvrit et il vit s’avancer un homme à la physionomie avenante.

      –Pardonnez–moi, monsieur, dit Peragallo, de vous recevoir ainsi; mais je n’attendais aucune visite. Votre démarche, me dit–on, est d’un caractère exceptionnel et urgent; veuillez m’apprendre ce que vous attendez de moi.

      Oubliant de s’excuser de son indiscrétion, et sentant d’instinct que la politesse consistait à prendre le moins de temps possible à la personne qu’il relançait ainsi jusque dans son intérieur, Skébel lui dit, tout d’un trait:

      –Monsieur, je suis obligé d’aller demain au château de Compiègne. Or, je n’ai pas le nécessaire pour y paraître convenablement. Je viens donc vous demander le service de m’avancer de quoi faire figure décente.

      L’agent général, habitué à d’autres manières, pleines de circonlocutions, de la part de ceux qui frappent à sa caisse, ne put réprimer un sourire.

      –Je ne dis pas non, répondit–il. Pourtant, ne pensez– vous pas qu’avant toute chose, il serait bon que vous me dissiez à qui j’ai l’honneur de parler.

      –Excusez–moi, monsieur, répliqua Louis. Je suis un peu distrait par nature et la démarche que je me permets est si inusitée pour moi, qu’elle me trouble. Je suis l’auteur de la musique d’une pièce qu’on a jouée la semaine passée au Théâtre–Lyrique.

      –La Princesse Aldée?

      –La Princesse Aldée, oui monsieur.

      –Ah! vous êtes.?

      –Louis Skébel.

      –Mais, mon cher monsieur, reprit Peragallo, je n’ai pas de service à vous rendre. Les cinq premières représentations de la Princesse Aidée ont mis, dans ma caisse, une somme qui vous appartient, et qui nécessairement est toute à votre disposition. Je n’en ai pas, là, le chiffre exact; mais vous n’avez qu’à me dire ce qu’il vous en faut.

      Le compositeur réfléchit un moment, puis tenté de profiter de la facilité de son agent pour se passer quelques fantaisies:

      –Mon Dieu! fit–il, si, sans vous mettre trop à découvert vous pouviez me donner. trois cents francs, je vous en serais vraiment obligé.

      –Trois cents francs! répéta l’agent général en ouvrant de grands yeux. Ah çà! mais d’où tombez–vous donc? De la lune?…

      –C’est trop? balbutia Skébel déconcerté.

      –Attendez! fit son interlocuteur en sortant vivement.

      –Il se moque de moi! pensa le jeune homme un peu déconfit.

      Quand l’agent général rentra, il avait deux billets de cinquante louis à la main.

      Tenez, fit–il, en les présentant au compositeur, voici toujours un acompte! Nous réglerons le dix du mois, et si d’ici là, vous avez d’autres besoins d’argent, envoyez toucher un bon, de dix heures du matin à quatre heures du soir.

      Skébel, interdit, contemplait les deux billets de banque, doutant qu’il y eût droit.

      –Ah ça, monsieur, dit–il, combien donc, à peu près, pensez–vous que cet ouvrage puisse me rapporter?

      –Si l’on vous en offre cinquante mille francs, ne traitez pas; on vous volerait plus de moitié.

      Étourdi, titubant comme un homme ivre, Louis Skébel sortit de là, transfiguré.

       LE FILS DE SON EXCELLENCE

       Table des matières

      Le lendemain, vers neuf heures du matin, la salle des pas perdus de la gare du Nord offrait un aspect inaccoutumé.

      A la cohue des voyageurs ordinaires, se mêlaient des groupes remuants et gais, qui, par là, se distinguaient des autres, affairés et inquiets de leurs billets et de leurs bagages.

      –Ce sont les acteurs du Théâtre–Lyrique qui vont jouer à Compiègne, répondaient les employés quand on les questionnait.

      Dans le nombre, il se trouvait une jeune fille d’une exquise grâce et de maintien modeste.

      Élève du Conservatoire, récompensée d’un accessit à l’avant–dernier concours, elle avait renoncé à poursuivre ses classes, acceptant sans marchander le premier engagement qui lui avait été offert.

      –Vous avez grand tort, ma chère enfant, lui dit son professeur. S’il en est temps encore, ne signez pas. Donnez–nous une année, et toutes vos qualités seront dans leur éclat, tandis qu’actuellement vous risquez de compromettre votre avenir.

      –Que ma profession me permette de vivre honnêtement, monsieur, répondit–elle, c’est tout ce que j’espère de cet avenir. Mais le présent est plus pressant pour moi.

      –Quoi! l’indépendance? Vous êtes malheureuse chez vous?

      –Ah! Dieu, non!

      –Une amourette alors?… Quelque mariage auquel on s’oppose?

      –Encore moins.

      –En ce cas?…

      Il la vit sourire mélancoliquement.

      –Je suis indiscret? ajouta le professeur.

      –Non, monsieur. Mais il faut que je gagne ma vie le plus tôt possible; ma mère est épuisée.

      –Et votre père?

      Elle hésita un instant; puis:

      –Mon père est un condamné politique.

      –Exilé?

      –Déporté à Lambessa.

      Le professeur n’insista plus, et la jeune artiste s’engagea.

      Ses débuts passèrent inaperçus, et Louis Skébel fut le premier qui lui confia une création: un tout petit rôle effacé, de troisième plan, qui ne comportait que deux couplets, le reste consistant à tenir une partie dans les morceaux d’ensemble.

      A peine deux journaux avaient–ils imprimé son nom: Mademoiselle Adrienne, avec un mince compliment sur son attrayant visage.

      C’est bien le mot: attrayant.

      D’autres avaient les traits plus réguliers, les yeux plus beaux, les cheveux de couleur plus franche; mais le regard, la physionomie, le port de la tête, tout en elle avait un attrait frappant, attrait d’intelligence et d’affabilité, de franchise et de droiture surtout.

      Mise avec simplicité, d’une correction de tenue à laquelle ses vingt ans donnaient un charme élégant, elle était de ces femmes qui plaisent au premier abord.

      Selon une habitude, qui ne souffre guère d’exception au théâtre, cette jeune fille était accompagnée de sa mère. Mais, contre l’usage, celle–ci n’avait absolument rien du type de la «mère d’actrice».

      Loin de se plaire dans le monde spécial où sa fille l’entraînait, elle avait le plus parfait mépris de tout ce qui touche au domaine artistique.

      Du directeur au dernier des figurants, tout, dans ce centre singulier, lui inspirait une souveraine répugnance; les auteurs, compositeurs et journalistes compris.

      A


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