La diva. Édouard Cadol
mes instructions directement. Il faut en finir. Mon fils, voyez–vous, mon cher, finirait par me rendre la vie impossible!
Dès le jour suivant, il se mit à l’œuvre, afin de compléter l’enquête commencée.
Tout bien vu et considéré, «cette petite» lui parut digne de remplir la mission qu’il lui réservait intentionnellement. Et pour comble de chance, il pensa n’avoir pas besoin d’intervenir.
C’est que le jeune homme y mettait de la passion. Le moyen de supposer un insuccès, dans les conditions de richesse et de crédit où se trouvait ’celui–ci, près d’une actrice inconnue et sans le sou?
C’est pourtant ce qui arriva.
Un soir, au foyer du théâtre, Adrienne appelant le fils de l’Excellence à ses côtés, lui dit presque à haute voix:
–Mon cher monsieur, je vous prie en grâce de cesser vos assiduités; j’ai scrupule de vous faire perdre vos peines.
–Mais, dit piteusement Rodolphe, si je ne me plains pas de les perdre?
–Libre à vous, sans doute, répliqua Adrienne. Mais vous m’obligez à vous dire que vos attentions m’incommodent. Peut–être une personne de ma condition,–une actrice!– aurait–elle mauvaise grâce à se retrancher derrière certains principes; je n’en parlerai donc pas. Il me suffira, je pense, de vous avouer que, même au cas où je devrais m’en écarter, ce ne pourrait être en votre compagnie. Sans que j’aie rien de particulier à vous reprocher, il se trouve que vous ne me plaisez pas.
Elle lui débita ce compliment avec un sourire sur les lèvres, quoique le cœur lui battît à la suffoquer; mais elle avait cru plus court et décisif de le froisser.
Elle n’en fut pourtant pas quitte sur le coup. Il écrivit, il envoya des fleurs, des bij oux.
Tout fut refusé.
Puis elle n’en entendit plus parler, et six mois passèrent là–dessus.
Dès ce moment, monseigneur Le Fauve jouit de quelque tranquillité.
Jamais son fils ne lui avait donné moins de tablature. Chose inouïe: il lui parlait avec politesse.
Bien plus! Depuis longtemps, le père et le fils, quoique habitant le même hôtel, ne se fréquentaient guère.
Quand, jusque–là, Rodolphe entrait chez l’auteur de ses jours, c’était uniquement pour en obtenir quelque chose: de l’argent, un passe–droit au profit de personnages tarés ou compromis, et assez souvent aussi, pour que l’homme d’État étouffât quelque mauvaise affaire que l’autre s’était mise sur les bras.
Et voilà que Rodolphe paraissait se ranger, prendre intérêt aux préoccupations paternelles, s’inquiéter de la réussite de ses plans, allant jusqu’à offrir de s’y employer.
Parfois, il venait déjeuner, et suivant monseigneur dans son cabinet, il lui tenait compagnie, des heures, en fumant cigare sur cigare, ce dont celui–ci se gardait de se plaindre, quoique l’odeur du tabac lui fût insupportable.
Le hargneux jeune homme s’était transformé en mouton.
–Il a donc triomphé? se dit Le Fauve.
–Mais, non! Mais pas du tout! lui fut–il répondu, un jour qu’il en parlait à celui qu’il avait consulté six ou huit mois auparavant. On ne voit même plus M. Rodolphe au théâtre.
–Ah! diable! fit l’Excellence. Est–ce que ce serait le calme précurseur de l’orage?
Il y avait de quoi prendre de l’inquiétude, tant, de la part de Rodolphe, c’était inusité.
Cependant, cela semblait si bon que le bonhomme n’en chercha pas plus long.
Un matin, comme monseigneur se disposait à se rendre à Saint–Cloud, où il y avait conseil, le préfet de police se fit annoncer, priant monseigneur de le recevoir, toute affaire cessante.
–Eh! bon Dieu! que se passe–t–il donc?
–Rien de bon, Votre Excellence. Tenez.
Et le préfet étala sous les yeux de l’homme d’État une série de rapports secrets, dont il résultait que la politique du moment était, jour par jour, dévoilée à une cour étrangère, avec qui, depuis quelques mois, on était en politesse.
Débats du conseil privé, conciliabules intimes, démarches mystérieuses, tout était divulgué en détails précis.
Monseigneur Le Fauve fronça le sourcil.
–Qui envoie ces notes? demanda–t–il.
–La comtesse de Külm.
–Qu’est–ce que c’est que ça?
Pour toute réponse, le préfet tira un dossier de sa poche, et, en détachant une feuille volante, lut à haute voix:
« Maria–Léopoldine–Zélie Skarleeck, née à Mons, trente– deux ans, fille d’un ancien chef d’escadron du premier empire, orpheline à dix–sept ans; élevée au couvent des Dames Benoîtistes de Louvain; enlevée à vingt ans par le comte de Külm, saxon d’origine, chevalier d’industrie, officier dégradé pour indélicatesse caractérisée, tué en duel à Palerme. Cinq ans de la vie de cette femme échappent à toutes recherches. Depuis quatre ans, vit sur un grand pied dans les capitales et principales villes d’Allemagne; en correspondance avec des personnes sans notoriété, de Varsovie, Vienne et Berlin, lesquelles sont supposées agents subalternes de la police allemande. Débarquée à Paris depuis quinze mois, hôtel rue Montaigne; chevaux, voitures, domestiques, relations suivies dans la colonie étrangère.»
–Qui subvient à ses dépenses? demanda monseigneur, en interrompant le fonctionnaire.
–Personne! Le dernier payement de l’hôtel a été versé le mois dernier, au moyen d’une vente de cinq pour cent nominatif.
–Alors, aucune action sur elle?
–Aucune. légalement, et jusqu’ici du moins!…
–Au surplus, l’important n’est pas là. Il faut avant tout découvrir qui lui fournit les renseignements qu’elle transmet.
–Et si c’était Votre Excellence?
–Moi?
–A son insu, bien entendu!
–Comment donc?
A ce moment la porte des appartements intérieurs s’ouvrit, et Rodolphe entra.
–Tiens! bonjour, fit–il en donnant la main au préfet. Je vous dérange?
–Nullement, répondit celui–ci, en rassemblant ses papiers, avec un peu de précipitation; ce que Le Fauve remarqua.
–Je suis à toi, dit celui–ci à son fils.
Puis entraînant l’autre dans un coin du salon:
–C’est lui? demanda–t–il à voix basse.
–Tout comme vous, monseigneur: à son insu!
–Il est l’amant de cette femme?
–Par désespoir d’amour.
III
ADRIENNE
Quand la marée a fini de monter et ne commence pas encore à descendre, on dit:
–«La mer bat son plein.»
Le second empire en était là.
Seulement