Les pélerinages des environs de Paris. François-René Salmon

Les pélerinages des environs de Paris - François-René Salmon


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était affligée cependant de voir qu’il n’y eut pas une église sur le tombeau de l’apôtre de Paris. Elle voulait qu’on en fit une. Elle en parla à quelques prêtres de la ville qui lui objectèrent qu’il n’y avait pas de chaux dans le pays. Mais, le prêtre Génésius en ayant découvert comme par miracle, sur les indications de sainte Geneviève, on commença de suite les travaux et, grâce à de nombreux prodiges opérés à la prière de la sainte, l’œuvre fut terminée en 496.

      Les années qui suivirent la mort de Clovis furent troublées par les guerres de ses fils et ne durent pas être favorables au sanctuaire qu’avait élevé sainte Geneviève. On y venait cependant de toutes les Gaules. Saint Marius, abbé de Bodane, y arriva vers cette époque avec le sénateur Agricola. Il y tomba malade, mais ce fut une épreuve passagère, car il eut un songe dans lequel saint Denis lui apparut et il se trouva subitement guéri.

      Autant la bénédiction de Dieu se répandait visiblement sur ceux qui s’approchaient avec respect du sanctuaire des saints martyrs, autant sa vengeance était prompte contre ceux qui ne le respectaient pas. Grégoire de Tours raconte qu’un officier de l’armée de Sigebert alors en guerre avec-Chilpéric, tenté par une cupidité sacrilége, déroba un voile tissu de soie et d’or qui recouvrait le saint tombeau. Un instant après, son domestique se noya en traversant la Seine, et deux cents livres d’or qu’il avait dans sa barque furent englouties avec lui. L’officier effrayé courut remettre à sa place le voile qu’il avait pris; il n’en mourut pas moins dans l’année. — Un autre soldat voulut dérober une colombe d’or suspendue au-dessus du tombeau; ce devait être, selon toute apparence, le vase sacré qui contenait les saintes espèces, car telle était la forme qu’on lui donnait alors. A peine fut-il monté sur le tombeau, que les deux pieds lui glissèrent à la fois; il tomba sur sa pique, qui le traversa de part en part.

      L’église de Saint-Denis était déjà le centre d’une communauté de religieux riche et florissante. Une noble dame, nommée Théodetrude, lui fit don de trois terres importantes, à condition que son nom serait inscrit sur le livre de vie de l’abbaye et qu’elle serait ensevelie dans l’église, honneur qui était réservé aux évêques et aux grands personnages.

      En l’année 580, tandis que le roi Chilpéric était au palais de Brissacum, entre Paris et Soissons, un enfant de quatre mois qu’il avait eu de Frédégonde vint à mourir. Le roi fit porter son corps à Saint-Denis et demanda qu’il y fut enseveli. C’est à cette lointaine époque de notre histoire que les sépultures royales ont commencé à venir se placer sous la protection du premier évêque de Paris; ainsi fut ouverte cette marche funèbre où tant de princes et de monarques allaient suivre cet enfant royal dans les caveaux de Saint-Denis, pour y dormir du sommeil de la mort.

      Clotaire II, en 589, fit don au monastère d’un domaine considérable. Mais ce fut surtout son fils, Dagobert, qui signala sa piété envers saint Denis par des largesses inouïes. Ses libéralités dépassèrent tout ce qu’on avait vu et laissèrent à jamais un souvenir reconnaissant dans les annales de l’abbaye. Dom Félibien, dans son histoire, ne trouve pas d’expressions pour exprimer la magnificence de Dagobert. Non-seulement il fit construire la maison abbatiale, la dota de très-beaux revenus, lui fit donner cent têtes de bétail, et lui en assura autant chaque année, mais il prodigua ses trésors pour l’érection de la superbe basilique qui dut remplacer l’église bâtie par sainte Geneviève.

      Les circonstances auxquelles se rattache la fondation de la royale abbaye de Saint-Denis ont été religieusement consignées par l’auteur anonyme, mais contemporain, qui a écrit les Gesta Dagoberti. Elles sont intéressantes et curieuses au point de vue de la légende et des mœurs historiques, et méritent d’être racontées.

      Le fils de Clotaire II et de la pieuse reine Bertrade n’était pas encore monté sur le trône qu’il devait illustrer par ses exploits. Il était jeune, dans toute l’ardeur de sa nature généreuse; c’était en l’année 615. Il y avait ce jour-là grande chasse à courre dans les forêts voisines de Paris. Un magnifique cerf était lancé ; la meute depuis plusieurs heures poursuivait le noble animal, qui avec une agilité étonnante se dérobait à leurs atteintes. On touchait au Vicus Catulliacus. Le cerf s’élance à travers la rue du village, trouve toute grand ouverte la porte de la chapelle que sainte Geneviève avait élevée sur le tombeau de saint Denis, s’y précipite, et dans cet asile, fait tête aux chiens, les tient à distance jusqu’au moment où Dagobert y arrive. Le jeune prince se persuada que les célestes patrons de l’oratoire avaient pris sous leur protection l’hôte innocent des bois, il fit respecter le droit d’asile en sa faveur, et le laissa aller sain et sauf.

      Il allait venir bientôt lui-même chercher un abri contre la colère de son père dans l’inviolabilité de la sainte demeure. Un ministre de Clotaire II, Sadrégisèle, duc d’Aquitaine, ose insulter un jour le jeune Dagobert. Le Mérovingien, la rage dans le cœur, ne trouve aucun moyen de se venger sur l’heure, tant est grand le crédit du ministre. Il dissimule, paraît avoir tout oublié ; et un jour que Clotaire II est absent, il invite à sa table Sadrégisèle, qui eut l’imprudence d’accepter et qui reçut un châtiment pire que la mort. Qu’on se figure le ministre fouetté au sang par les serviteurs de Dagobert, puis tondu et rasé, ce qui était la pire de toutes les humiliations, et chassé honteusement du palais. L’imprudent jeune homme n’avait écouté que son ressentiment et s’était bien gardé de prendre avis de son gouverneur, saint Arnoul, évêque de Metz, pour cette folle équipée. Quand le roi vit en quel état on avait mis son malheureux favori, sa fureur n’eut plus de bornes. Il fit appeler sur l’heure le jeune prince, disposé à lui infliger un châtiment exemplaire. Mais Dagobert n’eut garde d’obéir, et s’enfuit à toute bride au Vicus Catulliacus, où il s’enferma dans la chapelle de saint Denis. Là, prosterné sur le pavé, il implora l’assistance du glorieux patron des Gaules. Sa prière fut entendue. Le sommeil ferma ses yeux, et trois personnages vêtus de blanc lui apparurent dans une auréole de lumière. L’un d’eux prit la parole et lui dit. «Jeune Franc, nous sommes les serviteurs du Christ, Denis, Rustique et Eleuthère. Tu sais que nous avons souffert le martyre pour son nom, et que nos corps reposent en ce lieu jusqu’ici trop négligé. Si tu t’engages à glorifier notre tombeau et notre mémoire, nous te délivrerons du péril et nous serons toujours tes intercesseurs auprès de Dieu.» Dagobert se réveilla et promit avec joie de s’employer tout entier à glorifier les saints tombeaux. Les messagers de Clotaire arrivèrent un instant après pour s’emparer du fugitif, mais une force invisible les arrêta sur le seuil du saint asile. Le roi y vint lui-même, éprouva la même résistance et demeura cloué au sol. Son cœur s’adoucit en présence d’un tel prodige, il pardonna au coupable, et put entrer dès ce moment dans la chapelle miraculeuse, où il vint s’agenouiller auprès de son fils sur la tombe des saints martyrs.

      En reconnaissance d’un si grand bienfait, Dagobert crut devoir un temple magnifique à l’honneur de saint Denis et de ses compagnons, et rien ne fut épargné pour le rendre tel. S’il faut en croire les anciens écrivains, ce fut une vraie merveille. Aimon rapporte que l’église de Dagobert surpassait en magnificence toutes celles qui existaient dans les Gaules. C’étaient des colonnes de marbre qui en soutenaient les voûtes, des dalles de marbre qui-en formaient le pavé. Les murs à l’intérieur n’étaient point recouverts de peintures ou de mosaïques; un nouveau genre de décoration leur était appliqué ; c’étaient de magnifiques tentures de fines draperies tissues d’or et de soie qui les recouvraient entièrement .

      Il est difficile de dire avec précision ce qu’on put faire en ces âges de décadence, même avec le plus grand désir d’élever un superbe monument. L’architecte ne reproduisait alors que les formes les plus défectueuses et les plus lourdes du style romain. Si les murs avaient été bien remarquables, il est probable qu’on n’eût pas été obligé de les couvrir de tapisseries. Le peu de durée qu’eut l’édifice ne nous donne pas l’idée d’une construction bien magnifique. Il est à croire, toutefois, que l’autel et le tombeau de saint Denis, dont les décorations avaient été confiées à saint Eloi, furent bien supérieurs au monument. Eloi était un habile orfèvre. La description


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