Les pélerinages des environs de Paris. François-René Salmon

Les pélerinages des environs de Paris - François-René Salmon


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de mourir le jour de la fête de saint Denis, fut porté à l’église et mis sur l’autel. Il se leva un instant après, plein de vie, en présence de toute l’assistance. Le pèlerinage était, on le conçoit, dans toute sa splendeur. Dix lampes brûlaient nuit et jour devant les châsses, et l’affluence y était toujours très-considérable. L’abbaye, d’ailleurs, était devenue, depuis la réforme de Suger, un foyer de vie chrétienne et de charité évangélique. Les immenses richesses qu’elle possédait recevaient le plus noble emploi et soulageaient d’innombrables misères, en ces jours où les inondations, les guerres, les maladies et les famines faisaient tant de malheureux.

      La Seine ayant débordé d’une façon terrible en l’année 1233, les châsses furent portées en procession et le fleuve aussitôt rentra dans son lit. Mais il y eut un accident qui plongea tout le monde dans une indicible stupeur: le saint-clou tomba par terre et fut dérobé par une femme qui le cacha dans l’intention de le garder. Ce fut une désolation générale, à laquelle succéda une joie universelle, quand, poussée par le remords, celle qui avait commis le vol, se décida à rendre la sainte relique. Il y eut des fêtes publiques auxquelles prirent part la reine Blanche et saint Louis, qui vint lui-même à Saint-Denis pour y rendre grâce à Dieu.

      Cependant toutes les constructions de Suger avaient eu besoin déjà d’être reprises ou consolidées. L’abbé Eudes Clément s’était consacré tout entier à ce travail. L’art gothique était alors dans sa fleur la plus pure et l’œuvre fut conduite cette fois avec une rare perfection. L’abbaye avait atteint d’ailleurs le comble de la richesse. Les ressources ne manquaient pas. La construction fut continuée sous l’abbé Matthieu de Vendôme, qui éleva les travées de la nef voisines de la tribune, ajouta plusieurs chapelles, bâtit la haute tour du nord avec sa flèche et fit exécuter par Eudes de Montreuil un splendide jubé. Dans le même temps, saint Louis faisait rechercher les cendres des monarques et des princes ensevelis dans l’église. Plusieurs de ces royales dépouilles perdues dans les travaux et les remaniements du sol ne purent être retrouvées; on se contenta d’en marquer la place par des cénotaphes. C’est à partir de cette époque seulement que les statues tumulaires furent sculptées à la ressemblance des personnages dont elles couvraient les restes. L’ornementation de la basilique se poursuivit activement et demanda encore bien des années pour arriver à son entier achèvement.

      Il serait trop long de mentionner ici les visites de saint Louis au sanctuaire et les libéralités dont il le combla. A l’occasion de la maladie qu’il fit à Pontoise, il y eut une procession des châsses où les religieux marchèrent nu-pieds. C’est à Saint-Denis que le monarque, avant de partir pour la Terre-Sainte, vint prendre l’écharpe et le bourdon du pèlerin. Il y reçut en même temps l’oriflamme des mains du cardinal Odon, légat apostolique. Six ans plus tard, à son retour en France, il vint y célébrer la fête du saint patron et ne manqua plus de le faire chaque année. Enfin, il y prit une dernière fois l’oriflamme,. avant sa dernière expédition en Orient; mais frappé déjà sans doute de la pensée qu’il ne reverrait plus la France, il fit son testament et le déposa entre les mains des prélats et de l’abbé de Saint-Denis.

      Son fils, Philippe III, revint de cette croisade, rapportant, au milieu d’un deuil national sans exemple, le cercueil du saint roi avec ceux de quatre autres princes ou princesses. Les religieux allèrent au-devant du funèbre cortège et la basilique reçut ces morts illustres et donna asile à leurs cendres. En cette circonstance, un fait assez curieux se produisit, Les religieux de Saint-Denis, en vertu de leurs priviléges, refusèrent d’ouvrir leurs portes, parce que l’évêque de Paris se présentait vêtu des ornements pontificaux. Le roi dût attendre avec le prélat, qui dût, pour être admis, se dépouiller des insignes de sa dignité. Le corps de saint Louis fut inhumé près de Louis VIII et de Philippe-Auguste, derrière l’autel de la Trinité ; en attendant les honneurs de la canonisation qui allaient présenter bientôt ses restes mortels à la vénération des fidèles. La cérémonie de l’élévation eut lieu en 1298, à la grande joie du royaume. Un instant, il fut question de laisser le corps du saint roi à la Sainte-Chapelle; sa tête seule y fut conservée, le reste fut remis aux religieux de Saint-Denis.

      Quelques années auparavant, le chef de saint Denis avait été extrait de sa châsse et mis dans un buste d’or par le cardinal Simon, légat apostolique, en présence du roi Philippe III. On avait donné beaucoup d’éclat à cette cérémonie, comme pour infliger un démenti public aux chanoines de Notre-Dame qui se vantaient, sans aucune raison sérieuse, de posséder les reliques du saint.

      Une nouvelle levée d’oriflamme eut lieu en 1283: Philippe III y prit, avec l’étendard, le bâton du pèlerin. En 1315, Louis X leva aussi l’oriflamme pour marcher contre les Flamands. Puis, ce fut le tour de Philippe de Valois, en 1328; il gagna la bataille de Cassel et fit à Saint-Denis de grandes libéralités en témoignage de sa reconnaissance. Avec Charles V un règne glorieux s’ouvrit pour la France: Duguesclin qui toute sa vie avait guerroyé contre les Anglais et porté bien haut l’honneur de nos armés, fut enseveli à côté des rois dans les caveaux de Saint-Denis. Les débuts du règne de Charles VI furent assez heureux. Mais, après les fêtes du couronnement d’Isabeau de Bavière à la Sainte-Chapelle d’abord, à Saint-Denis ensuite, après plusieurs levées d’oriflamme et quelques succès accordés à nos armes, la démence du roi livra la France en proie aux factions et aux Anglais; elle plongea le royaume dans un abîme de maux, d’où l’on ne commença à sortir que par la protection signalée de Dieu qui suscita Jeanne d’Arc. L’héroïne avait déjà mené loin l’œuvre de la délivrance et infligé aux Anglais de sanglantes défaites, quand elle vint, à la suite d’une première attaque infructueuse contre Paris, trouver le roi Charles VII à Saint-Denis. Elle fit hommage de son armure au patron de la France et la déposa près des châsses des saints martyrs. Son épée s’y trouvait encore avant la Révolution.

      A partir de ce moment, il n’est plus question de l’oriflamme. Elle a disparu tout à coup sans qu’on puisse savoir comment ni en quelle circonstance. Des historiens ont dit qu’elle avait été perdue à la bataille d’Azincourt; mais jamais les Anglais ne se sont vantés de l’avoir eue en leur possession, et quelque temps après ce désastre, on la mentionnait comme faisant toujours partie du trésor de la basilique. Toujours est-il que Charles VII ne fit jamais aucune levée d’oriflamme et que, pour la première fois, lors de son entrée à Paris, il porta la bannière blanche semée de fleurs de lis d’or.

      Ce prince, après avoir reconquis son royaume presque tout entier, mourut en 1461, à Mehun-sur-Yèvre. Ses funérailles ont été minutieusement décrites et peuvent donner une idée de ce qu’étaient à Saint-Denis ces cérémonies funèbres. Le corps du roi ayant été embaumé fut enfermé en trois cercueils, de bois, de cyprès et de plomb. On avait fait préalablement une effigie qui reproduisait au naturel la figure du roi et qui fut mise sur un char étendue sur un lit de parade, la couronne en tête, avec tout l’appareil du costume royal. Une litière couverte de drap d’or reçut le triple cercueil et l’on se mit en marche vers Paris. Le cortége s’arrêta au prieuré de Notre-Dame des Champs, où l’on passa la nuit dans l’église au milieu des prières et des chants sacrés. Le lendemain, les chanoines, les prêtres, les religieux, l’Université, les compagnies de justice vinrent l’y chercher; et la procession présidée par Louis de Harcourt, patriarche de Jérusalem, se déploya le long des rues de la ville. On y comptait treize évêques ou abbés crosses. Le char qui portait la royale effigie était entouré de deux cents pauvres en habits de deuil avec des torches à la main. Venaient après vingt-quatre crieurs en habits de deuil, puis quatre hérauts d’armes qui précédaient la litière où reposait le corps du roi. Derrière marchaient tous les membres du Parlement en manteaux d’écarlate, puis les seigneurs et les princes du sang. Quand le convoi fut arrivé à Notre-Dame, l’effigie royale et le corps du monarque furent déposés au milieu du chœur dans une chapelle ardente. On chanta les vigiles; dans l’après-midi, la procession se remit en marche dans le même ordre. Les religieux de Saint-Denis qui venaient au devant d’elle, tous en chappes, la rencontrèrent au lieu dit la Croix penchée. L’église de Saint-Denis, comme celle de Notre-Dame, était entièrement tendue, par le haut, de toile bleue semée de


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