Les pélerinages des environs de Paris. François-René Salmon
de pommes d’or entremêlées de perles; le haut de l’autel était recouvert d’argent. Il n’y avait rien de plus beau dans aucune église.
La basilique eut, au dire de la légende, l’insigne honneur d’être consacrée de la main de Notre-Seigneur, comme le furent plus tard celles d’Einsidlen et de Notre-Dame-de-Vaux en Poitou.
La psalmodie y fut réglée comme à Saint-Martin-de-Tours et comme à Saint-Maurice-du-Valais. On avait reçu des reliques de ces deux saints; une maison attenante au monastère fut construite pour les recevoir, et l’on bâtit en même temps un hôpital pour les pèlerins.
Toutes ces largesses avaient bien mérité à Dagobert l’honneur qu’il réclama d’être enseveli à Saint-Denis auprès du tombeau des saints martyrs, où Nanthilde, son épouse, vint le rejoindre quelques années après. Elles lui valurent quelque chose de mieux encore, au dire des chroniqueurs. Le salut du monarque, dont la vie n’avait pas toujours été exemplaire, eût été fort compromis, si saint Denis ne l’eût tiré d’affaire. Ces données légendaires se sont conservées fidèlement: elles sont reproduites dans le tombeau de Dagobert, monument très-curieux du treizième siècle qu’on voit encore aujourd’hui dans la basilique de Saint-Denis. On y voit l’âme du roi, sous la figure d’un enfant couronné, entraînée dans une barque par les démons qui la maltraitent; elle est arrachée, de leurs mains par les saints martyrs, qui l’enlèvent dans un linceul et l’emportent vers les cieux.
Au temps où Pépin le Bref écartait du trône les rois fainéants de la dynastie mérovingienne, la France reçut, en la personne d’Etienne II, la première visite pontificale. Le pape s’était fixé à l’abbaye de Saint-Denis. Il y tomba malade, et bientôt on désespéra de ses jours. Mais, comme il le raconte lui-même dans une de ses bulles, il se fit porter dans l’église. Il y eut un songe dans lequel il vit saint Denis lui apparaître avec les deux apôtres Pierre et Paul. «Le bienheureux Denis s’approcha de moi, dit-il, ayant en main une palme et un encensoir, et il me dit: «La
«paix soit avec toi, mon frère, ne crains rien; tu ne
«mourras pas avant d’être retourné à ton siège,
«lève-toi, car tu es guéri. Tu devras dédier cet autel
« à Dieu en l’honneur de ses apôtres Pierre et
«Paul que tu vois ici, et y célébrer ensuite des messes
« en actions de grâces.» Je me levai en effet entièrement guéri, et pus accomplir ce qui m’avait été prescrit.»
Dans la messe qu’il célébra, le pape donna l’onction royale à Pépin, à Berthe son épouse, et à ses deux fils Charles et Carloman. L’abbé de Saint-Denis était alors Fulrad, homme d’action et d’une grande influence, qui tient sa place dans l’histoire et qui avait joué un rôle considérable dans l’élévation de Pépin au trône. Avec l’aide du nouveau monarque, l’abbé entreprit de faire reconstruire la basilique: l’œuvre de Dagobert déjà touchait à sa ruine. On ne conserva qu’une faible partie des anciennes murailles, par respect pour la consécration divine qui leur avait été donnée, disait-on. Comme on tenait cette fois à faire un monument durable, on bâtit lentement, et le roi mourut bien avant que l’église fut achevée. Chef d’une nouvelle race qui avait chassé du trône les Mérovingiens, il n’en voulut pas moins reposer auprès d’eux à l’abri des murs du sanctuaire de Saint-Denis. Toutes les rivalités disparaissent devant la mort. Par un acte d’humilité chrétienne, le monarque demanda d’être enseveli au seuil de la porte, la face tournée contre terre. Ses vœux furent exaucés, et son corps demeura à cette place jusqu’au jour où saint Louis le fit porter dans le chœur, auprès des restes mortels des autres rois.
Quelques années plus tôt, le fameux Charles Martel, bien qu’il ne fut que maire du palais, avait eu les honneurs d’une sépulture royale à Saint-Denis. Sa victoire sur les Sarrasins l’en rendait bien digne. Elle eut dû pareillement recommander sa mémoire auprès de ses contemporains; mais, en certaines circonstances, le vainqueur avait méconnu les droits de l’Eglise, le peuple d’alors était trop religieux pour l’oublier aisément. On racontait que saint Eucher, ayant obtenu de visiter le séjour des damnés, y avait reconnu Charles Martel; on disait encore qu’on avait ouvert son tombeau quelques années après sa mort, et qu’on avait vu son âme en sortir sous la forme d’un grand dragon noir. La postérité a été plus indulgente envers l’illustre maire du palais: elle a placé son nom au premier rang parmi les héros chrétiens.
Charlemagne poursuivit et termina avec Fulrad l’œuvre commencée par son père. Sous l’action du grand monarque, l’architecture a, comme tous les arts, semblé prendre une vie nouvelle. Le monde a fait effort pour s’arracher aux derniers éléments de la barbarie. Des maîtres intelligents ont rapporté d’Italie les principes de l’architecture lombarde, ils en ont fait l’application à Saint-Denis avec un véritable succès.
La nouvelle basilique, étant achevée, fut consacrée en présence du roi, le 24 février 775. Il ne reste plus aujourd’hui de l’œuvre carlovingienne que quelques piliers qui se trouvent vers le milieu de la crypte.
Le culte de saint Denis était de plus en plus florissant; de nombreux pèlerinages témoignaient de la confiance et de la piété des populations chrétiennes, en même temps que les miracles se multipliaient au tombeau du saint martyr.
Un seigneur, nommé Gondebaud, avait été complice du meurtre de saint Lambert que le comte Dodon avait fait lâchement assassiner. La vengeance divine ne perdait pas de vue les meurtriers. Gondebaud était en proie au remords; il avait été frappé subitement d’un mal qui l’avait rendu boiteux. Déjà il était allé en pèlerinage à Rome pour l’expiation de son crime. Il vint à Saint-Denis, y fut miraculeusement guéri et y recouvra la paix. Touché de la grâce, il voulut se consacrer au Seigneur, il fut reçu dans le monastère et il en devint abbé.
Les reliques de saint Denis étaient, comme on doit bien le penser, l’objet de la plus haute vénération. Charlemagne ne voulut pas s’engager dans son expédition de l’année 796 contre les Saxons, sans en être accompagné. Ceux qui avaient le bonheur d’en obtenir quelques parcelles estimaient avoir reçu un trésor incomparable. Ce fut avec des transports de joie et un enthousiasme indescriptible qu’on accueillit à l’abbaye de Fleury celles que Boson, son abbé, y apporta. L’huile de la lampe qui brûlait devant le saint tombeau était miraculeuse. Une femme d’Angers, nommée Doctrude, était aveugle: elle en mit quelques gouttes à ses yeux et recouvra la vue.
Il faut se contenter d’effleurer ces faits trop nombreux pour qu’il soit possible de les citer. Charles le Chauve a succédé à Charlemagne. Hilduin, l’auteur des Aréopagitiques, est abbé de Saint-Denis. Les Normands ont envahi nos contrées; ils approchent de Paris. Hilduin se hâte d’emporter les saintes reliques à l’abbaye de Ferrières; il reconnaît bientôt qu’elles n’y sont pas en sûreté et le précieux trésor est dirigé vers une destination qui nous est inconnue. Hilduin meurt à Soissons en 842, il est enseveli dans l’église de Saint-Médard. Quatre ans après sa mort, les Normands se présentent de nouveau aux portes de Paris. Charles le Chauve, qui a fait fortifier l’église et l’abbaye de Saint-Denis, y vient chercher asile. Les barbares n’osèrent pas en approcher. Mais les religieux avaient eu peur que leur église ne fût incendiée comme celles de Paris; ils avaient pris leurs précautions pour sauver les reliques et les avaient portées à Nogent-sur-Seine. L’abbaye, d’ailleurs, n’était pas si bien défendue qu’elle fût imprenable. En 865, elle tomba au pouvoir des Normands, fut saccagée et dépouillée de tout ce que les religieux n’avaient pas mis hors de l’atteinte des barbares.
A la dernière apparition des Normands, en 887, ce fut à Reims qu’on alla chercher un refuge avec les châsses des saints martyrs. L’archevêque Foulques accueillit les fugitifs. Ils demeurèrent trois ans chez lui et fondèrent une abbaye qui prit le nom de leur patron. L’abbé de Saint-Denis, Robert, fut le parrain de Rollon, quand le chef des hommes du Nord consentit à recevoir le baptême à Rouen. Les Normands convertis réparèrent d’ailleurs leurs