Les pélerinages des environs de Paris. François-René Salmon

Les pélerinages des environs de Paris - François-René Salmon


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dans les fourgons de la Convention, les crosses, les croix, les ostensoirs, les calices, les ciboires et les reliquaires d’or et d’argent. Les œuvres incomparables de l’art des vieux siècles, les châsses ciselées émaillées et incrustées de pierreries, les manuscrits sur vélin revêtus d’ivoire et d’or, les métaux damasquinés et constellés de perles, les couronnes et les sceptres d’or, les coupes de cristal de roche, d’agathe et de porphyre, les camées et les onyx, les ornements de velours et de brocart, les chappes gemmées brochées d’or et de soie, avec des rinceaux de perles fines, les tissus qu’avaient brodés des reines, les objets précieux par leur antiquité et par leurs souvenirs, les vêtements du sacre de Louis XIV, l’épée de Jeanne d’Arc, la main de justice de saint Louis, la couronne, le sceptre et l’épée de Charlemagne, la chaise romaine en bronze de Dagobert: tout fut entassé pêle-mêle sur les chariots; et la municipalité de Saint-Denis accompagna jusqu’à Paris les trésors qu’on enlevait à son église, non pour protester contre la spoliation, mais pour y applaudir et pour faire parade de civisme en jetant publiquement l’insulte aux reliques des saints.

      Tous ces trésors artistiques et sacrés vinrent échouer à la Monnaie; quelques-uns seulement des plus curieux furent conservés et formèrent, plus tard, le Musée des souverains. Plusieurs des saintes reliques avaient été heureusement soustraites au pillage, grâce au dévouement d’un religieux, dom Varenflot, qui sut conserver, entre autres, une partie notable des corps des saints Denis, Rustique et Eleuthère.

      La spoliation des richesses de la basilique n’avait été que le premier acte du drame de la profanation; un attentat inouï allait y mettre le comble. La Convention avait décrété que les monuments funèbres de Saint-Denis seraient détruits et que les cadavres royaux seraient exhumés. L’œuvre de destruction des tombeaux commença le 6 août 1794 et dura trois jours. Ainsi furent arrachés à leurs caveaux les corps des rois et des reines qui dormaient dans leur poussière séculaire, les uns réduits à des ossements desséchés, les autres tombés en putréfaction, exhalant une insupportable odeur, quelques-uns conservés et reconnaissables: Henri IV, Louis XIII, le premier avec sa barbe, l’autre avec ses moustaches, Louis XIV avec ses grands traits, mais le visage noir comme de l’encre. «Il était encore tout entier dans son cercueil, dit Chateaubriand. En vain, pour défendre son trône, il parut se lever avec la majesté de son siècle et une arrière-garde de huit siècles de rois; en vain son geste menaçant épouvanta les ennemis des morts, lorsque, précipité dans uno fosse commune, il tomba sur le sein de Marie de Médicis: tout fut détruit. Dieu, dans l’effusion de sa colère, avait juré par lui-même de châtier la France.»

      Les lugubres travailleurs poursuivirent sans relâche, jusqu’au 26 octobre, leur sinistre besogne. La fosse commune où s’engloutissaient les royales dépouilles se trouvait au nord de l’église, dans un terrain connu sous le nom de cimetière de la Glacière. auquel était autrefois contiguë la splendide chapelle en rotonde des Valois, détruite en 1719. Plus tard, en 1817, ce sol, qui contenait les restes de trois dynasties souveraines, fut religieusement fouillé, et les cendres royales furent, avec de grands honneurs, rendues aux caveaux de Saint-Denis, sans qu’il fût possible toutefois d’établir entre elles aucune distinction.

      La basilique avait été dépouillée, sous la Révolution, de sa couverture en plomb et des vantaux de bronze historiés de ses portes; elle était vouée à une ruine certaine. Elle servit d’abord aux fêtes décadaires de la ville qui avait pris le nom de Franciade; puis, on en fit successivement un dépôt d’artillerie, un théâtre et un magasin. Ses magnifiques vitraux du temps de Suger et de saint Louis furent presque tous détruits; c’est à peine s’il en reste quelques débris, ailleurs que dans la chapelle de la sainte Vierge et dans celle de saint Eugène. Cette antique et fameuse église que Dagobert avait proclamée la première métropole du royaume, que Charlemagne appelait «la vénérable mère et sainte église de monseigneur saint Denys, notre patron,» à l’exemple des. conciles qui lui donnaient ce titre: Sancta mater ecclesia, était ainsi livrée aux outrages des hommes et du temps, ouverte à la pluie et aux vents; l’herbe croissait sur ses autels et dans les jointures de toutes ses pierres. Elle était en cet état quand, en 1806, un décret impérial déclara qu’elle serait, non-seulement rendue au culte, mais qu’elle allait devenir le siège d’un chapitre et qu’elle recevrait les tombeaux de la dynastie napoléonnienne. Mais la volonté et les décrets d’un homme, fût-il au comble de la puissance, ne règlent pas le cours des choses à venir; et ce dernier vœu ne reçut jamais sa réalisation. Toutefois, le 25 mars 1809, le chapitre fut constitué et la basilique lui fut rendue. Les bâtiments de l’abbaye furent affectés à la nouvelle institution de la Légion d’honneur, créée par l’empereur en faveur des filles des officiers légionnaires.

      Si difficile que pût être la restauration de la basilique totalement délabrée, l’administration impériale se crut de force à l’entreprendre et ne recula pas devant les frais. Mais les travaux furent exécutés avec une rare inintelligence. On crut avoir fait merveille quand on eut retaillé les sépultures, gratté les cryptes, exhaussé le sol, sapé les piliers, retouché tout l’édifice, sans aucun souci des traces anciennes ni des exigences de la solidité ; on donna même aux rosaces et aux baies d’affreux vitraux; il se trouva qu’on avait simplement recrépi une ruine et dépensé quelque chose comme sept millions en pure perte.

      En 1833, la grande flèche, ayant été frappée de la foudre, en fut tellement ébranlée qu’on ne put songer à la conserver et qu’il fallut l’abattre une douzaine d’années après. La chute d’une partie de la façade était imminente et le reste de la construction eût eu le même sort dans un avenir prochain, lorsque, en 1847, on songea enfin à prévenir une ruine totale par une restauration sérieuse de l’édifice. M. Violet le Duc fut chargé de cette tâche. Si grande qu’elle fût, elle n’était point supérieure au savoir de l’habile architecte. L’argent seul manqua bien souvent, et l’œuvre ne put avancer que lentement. La construction cependant s’est trouvée bientôt consolidée; l’ensemble et les détails ont été repris avec cette parfaite entente des lois architecturales qui la fera reparaître bientôt dans la splendeur de son état primitif et dans la vérité de son caractère historique.

      Les événements contemporains n’offrent plus rien dans la vieille métropole de Saint-Denis qui puisse intéresser le pèlerinage. Les funérailles de Louis XVIII, célébrées avec toute la pompe des anciens jours, et quelques autres solennités qui sont venues encore réjouir les murs de la basilique, ne s’y rapportent que d’une manière éloignée. Quand on la visite aujourd’hui, ce ne sont plus guère les souvenirs du premier évêque de Paris qu’on vient y chercher. Les visiteurs ne se proposent que rarement de prier à son tombeau. Ses reliques mêmes, sauvées de la destruction, n’y sont plus. Elles ont été déposées dans le trésor de Notre-Dame et portées depuis dans l’église paroissiale de Saint-Denis. En ces derniers temps, une châsse splendide leur a été donnée. On les y a exposées dernièrement; et, pendant toute l’octave de la fête du saint patron, on a vu les populations en foule y accourir et renouveler, par leur empressement et par l’ardeur de leur piété, le spectacle des anciens jours.

      Les visiteurs toujours nombreux de la basilique sont surtout aujourd’hui des curieux qu’attire le musée des tombes royales, ou des amis de l’art religieux qui s’intéressent aux merveilles de nos monuments gothiques. Ces deux sentiments sont légitimes, mais secondaires, au point de vue qui nous occupe; c’est affaire aux guides de leur donner une entière satisfaction; il suffit ici d’y toucher en les effleurant.

      Il y a là des curiosités bien remarquables: des pierres antiques, comme celle de Frédégonde, avec la mosaïque qui la représente, d’autres en grand nombre du temps de saint Louis, de splendides mausolées en marbre, des colonnes, des statues de l’époque et des meilleurs artistes de la Renaissance. Citons seulement, en passant, le monument de Louis XII et d’Anne de Bretagne qu’on voit étendus dans leur catafalque, ayant une tête de mort et figurés vivants et agenouillés sur la plate-forme du mausolée, avec de superbes bas-reliefs sur les faces, où sont reproduits les faits d’armes du monarque. Toute cette œuvre a été exécutée à Tours, vers 1591, sous la direction de Jean Juste. Voici encore


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