Les pélerinages des environs de Paris. François-René Salmon

Les pélerinages des environs de Paris - François-René Salmon


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débat entre les Allemands et les Français. Les religieux du monastère de Saint-Emmerand, près de Ratisbonne, avaient, en creusant des fondations, trouvé un corps qu’ils prétendirent — on ne sait trop pourquoi — être celui de l’apôtre de Paris. Les moines de Saint-Emmerand affirmaient que les restes de saint Denis l’Aréopagite avaient été autrefois apportés chez eux, qu’ils les avaient gardés et soigneusement cachés. Comme à cette époque la question de l’Aréopagitisme avait pleinement triomphé en France, grâce au livre d’Hilduin, et que la question n’était plus même discutée, si les prétentions des moines étaient fondées, la France se trouvait par là même dépossédée de son patron . Le fait fut accepté dans toute l’Allemagne, spécialement par l’évêque de Ratisbonne et par l’empereur Henri II qui se rendit en cette ville pour y assister à la reconnaissance solennelle des reliques. Il paraît même que le pape Léon IX était sur le point d’y aller. Cependant les ambassadeurs du roi de France, qui avait été invité, représentèrent à l’empereur qu’il serait prudent d’envoyer tout d’abord à l’abbaye de Saint-Denis voir si les reliques du saint patron n’étaient pas dans leur tombeau. L’empereur se décida, sur l’avis du pape, à suivre ces conseils, et fit partir des envoyés chargés d’éclaircir cette affaire.

      Il fut décidé qu’on procéderait à l’ouverture publique des châsses des saints martyrs. L’abbé Hugues convoqua pour le 7 juin les évêques et les grands du royaume, l’évêque de Ratisbonne et les religieux de Saint-Emmerand. La cérémonie eut lieu en présence d’un nombre prodigieux de princes, de prélats et d’abbés. Les trois châsses d’argent furent, à l’issue de l’office, apportées devant le frère du roi, les seigneurs et les évêques. L’intégrité des scellés ayant été constatée, on les brisa, et, dans les châsses ouvertes, les trois corps furent trouvés intacts. Celui de saint Denis enveloppé dans un tissu qui tombait en poussière — tant il était vieux — exhalait une suave odeur. Le roi avait donné un voile de pourpre dans lequel il fut enveloppé de nouveau: une procession solennelle avec les châsses eut lieu dans l’église. Le roi, après s’être confessé, y vint faire son pèlerinage et rendre grâces à Dieu. L’acte du procès-verbal déposé dans les châsses portait, entre autres signatures, celles de Guy, archevêque de Reims; de Robert, archevêque de Cantorbéry; d’Imbert, évêque de Paris; d’Elinand de Laon, de Beaudoin de Noyon, des abbés de Saint-Denis, de Marmoutiers, de Fécamp, etc. Pour le moment, les religieux de Saint-Emmerand durent abandonner la partie, mais ils devaient renouveler plus tard leurs prétentions en 1385.

      Saint-Denis avait atteint l’apogée de sa grandeur; il allait s’y maintenir longtemps encore. Nulle part on n’eût su voir un plus brillant concours de prélats, de rois et de papes. Sous le seul règne de Louis VI, on n’y compta pas moins de six papes. Trois d’entre eux y célébrèrent les fêtes de Pâques. Pascal II ouvrit la marche pontificale, en 1106. Il était venu en France demander assistance contre l’empereur d’Allemagne. Les ambassadeurs du roi, parmi lesquels se trouvait le célèbre Suger, le reçurent au prieuré de la Charité-sur-Loire. Quelque temps après, le souverain Pontife était au tombeau de saint Denis, y répandait ses prières et ses larmes et demandait comme une faveur qu’on lui donnât quelques fragments des vêtements du saint martyr.

      En l’année 1124, eut lieu à Saint-Denis la première levée d’oriflamme dont il soit fait mention dans l’histoire. L’empereur Henri V d’Allemagne avait déclaré la guerre à Louis le Gros. Le roi fit appel à ses milices et à ses communes et se trouva bientôt à la tête de deux cent mille hommes. Après avoir communié à Notre-Dame, Louis VI se rendit à Saint-Denis, suivi d’un nombreux cortége.

      L’oriflamme qu’il venait y prendre était une très-ancienne bannière appendue dans le chœur au-dessus des châsses des trois martyrs. «C’était, d’après l’inventaire de dom Doublet, un étendard d’un sandal épais, fendu par le milieu en forme de gonfanon, fort caduque, enveloppé d’un bâton couvert de cuivre doré et un fer longuet aigü au bout.» On en a donné des descriptions quelque peu différentes, et cela se conçoit: l’étendard s’usait; il fallait remplacer tantôt la hampe, tantôt l’étoffe, qui d’ordinaire était de couleur écarlate, semée d’étoiles d’or, taillée en trois pointes avec des houppes vertes. L’oriflamme était comme le palladium de la France. On ne sait rien de son origine. Quelques écrivains, pour expliquer le respect qu’on avait pour la sainte bannière, ont dit qu’elle était venue du ciel..

      Suger, qui, depuis deux ans, était abbé de Saint-Denis, la bénit en récitant une oraison qu’on trouve encore dans un antique manuscrit de l’abbaye; il la remit au roi qui, après la messe, la confia au plus vaillant chevalier de son armée, sans doute au comte du Vexin; c’était son privilège, et les rois de France, quand ils la portèrent eux-mêmes, le firent à ce titre; car le Vexin ne tarda pas à être annexé à la couronne. Celui qui reçut l’oriflamme fit le serment de la défendre au péril de sa vie et de la rapporter au lieu où il l’avait prise. Le roi sortit de la basilique au milieu des acclamations des hommes d’armes et du peuple: «Montjoye et Saint-Denys!» Ce fut désormais le cri national, le cri de guerre, d’allégresse et de victoire.

      L’empereur d’Allemagne qui avait déjà envahi la France, n’attendit pas que l’armée du roi l’eût atteint, et se retira précipitamment. Louis VI revint à Saint-Denis où, depuis son départ, on avait prié jour et nuit en présence des saintes reliques exposées; il y rendit de solennelles actions de grâces et voulut reporter lui-même, sur ses épaules, dans leurs sanctuaires, les châsses des saints protecteurs de son royaume.

      Suger, depuis qu’il était abbé, travaillait avec l’énergie de sa volonté et la prudence de ses vues à la réforme devenue nécessaire de son abbaye. Ayant réussi dans cette œuvre importante, il en voulut entreprendre une autre. La basilique de Pépin et de Charlemagne ne répondait plus ni au goût de l’époque ni aux magnificences des cérémonies pontificales qu’on avait à y célébrer souvent. Suger en avait jugé ainsi lorsque le pape Innocent II, en 1131, y présidait aux fêtes de Pâques. Il songea donc à la faire reconstruire entièrement. Il fit venir de toute l’Europe des ouvriers de toutes sortes, tailleurs de pierres, charpentiers, fondeurs de vîtres, orfèvres, etc. et l’on se mit à l’œuvre. On voulait aller vite et terminer promptement. En sept années, de 1137 à 1144, on avait agrandi tout l’édifice, construit le chevet avec ses neuf chapelles, élevé le transept et commencé les quatre tours angulaires de ses extrémités. Derrière l’autel, au chevet de l’église, un mausolée avait été construit pour recevoir les châsses des martyrs qui jusque-là étaient restées dans la crypte. L’autel de porphyre gris, avec une table d’or, toute couverte de pierreries, était d’une magnificence exceptionnelle. Une première consécration, en l’année 1140, avait été donnée au monument, en présence du roi, par Hugues, archevêque de Tours, et par Manassès, évêque de Meaux. Il en reçut une seconde plus solennelle en 1147. On y ouvrit les châsses d’argent, les saintes reliques furent portées en procession et déposées ensuite dans le nouveau mausolée. Suger parle beaucoup dans ses lettres de la magnificence de son œuvre, du choix des matériaux et des riches ornements qui la décorent. Il paraît toutefois qu’il sacrifia trop la solidité de l’édifice à l’éclat de l’ornementation. Les fondations étaient mauvaises. La façade surtout était une pauvre construction qui ne pouvait durer; mais les verrières étaient superbes, beaucoup de merveilleux travaux, des œuvres d’art, des ciselures en fer, en argent et en or, produisaient un coup d’œil extraordinaire. Pourtant la nouvelle basilique, à part le narthex et les bas côtés de l’abside, n’avait de vie que pour cent ans.

      En attendant, les grandes cérémonies, les réceptions royales et pontificales, les levées d’oriflamme, les sépultures des rois, les processions avec les châsses, s’y faisaient beaucoup mieux. Il y avait assez d’espace pour qu’on pût y déployer toute la pompe religieuse. Dans les calamités publiques, les saintes reliques étaient portées en procession et la confiance des populations chrétiennes était souvent récompensée par des faits miraculeux. L’historien de Philippe- Auguste en rapporte plusieurs exemples. Le fils du roi étant tombé dangereusement malade, on apporta les reliques de


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