Toutes les Oeuvres Majeures de Cicéron. Ciceron

Toutes les Oeuvres Majeures de Cicéron - Ciceron


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soit nécessaire d’y joindre la preuve, il en est d’autres où la proposition n’a de force qu’autant qu’elle est soutenue par la preuve. La proposition et la preuve sont dune deux choses différentes ; car un accessoire qu’on peut ajouter ou retrancher ne saurait être la même chose que l’objet auquel on l’ajoute ou dont on le retranche. Or, dans le raisonnement, tantôt la proposition n’a pas besoin de preuve ; tantôt, comme nous le montrerons, elle ne saurait s’en passer ; donc la preuve n’est pas la même chose que la proposition. Voici comme nous prouvons ce que nous avons avancé.

      Une proposition évidente et dont tout le monde ne peut s’empêcher de convenir, n’a pas besoin de preuve. Par exemple : « Si j’étais à Athènes le jour que ce meurtre a été commis à Rome. je n’ai pu y prendre part. » Voilà qui est évident, qui n’a pas besoin de preuve. Aussi peut-on ajouter tout de suite l’assomption : « Or, j’étais à Athènes ce jour-là. » Si ce fait n’est pas constant, il faut le prouver, et ensuite vient la conclusion : « Donc je n’ai pu prendre part à ce meurtre. » Ainsi, il est des propositions qui n’ont pas besoin de preuve. Montrer que d’autres en ont besoin, serait inutile ; c’est un fait trop évident. Ou peut alors en conclure, comme de l’exemple cité, que la proposition et la preuve sont réellement deux choses différentes. Or, s’il en est ainsi, il est faux que cet argument n’ait que trois parties.

      Nous verrons de même qu’il faut distinguer l’assomption de la preuve ; car, s’il suffit quelquefois, dans un raisonnement, de poser l’assomption sans y joindre la preuve, si d’autres fois elle n’a de poids qu’autant que la preuve y est jointe, la preuve et l’assomption sont des choses différentes : or, il est des arguments où l’assomption n’a pas besoin de preuve ; d’autres, au contraire, comme nous le montrerons, où elle ne peut s’en passer ; donc il faut distinguer l’assomption de la preuve. Voici comme nous prouvons ce que nous venons de dire.

      Une assomption, qui renferme une vérité évidente pour tous les esprits, n’a pas besoin de preuve. Par exemple : Si la sagesse est nécessaire, il faut se livrer à l’étude de la philosophie. Cette proposition a besoin d’être prouvée ; car elle n’est pas évidente, puisque bien des gens regardent la philosophie comme inutile, quelques-uns même, comme nuisible. Mais l’assomption est évidente : Or la sagesse est nécessaire. Une vérité si évidente n’a pas besoin de preuve ; elle se sent et se voit d’elle-même ; ainsi l’on peut ajouter tout de suite la conclusion : Donc il faut se livrer à l’étude de la philosophie. Il est donc des assomptions qui n’ont pas besoin de preuve ; mais il est clair pour tout le monde qu’il y en a qui ne peuvent s’en passer. L’assomption et la preuve ne sont donc pas une seule et même chose. Il est donc faux que cet argument n’ait que trois parties.

      XXXVII. D’après ces principes, il est constant qu’il y a certains arguments dont ni la proposition ni l’assomption n’ont besoin de preuve. En voici un exemple aussi court qu’évident : « S’il faut rechercher avant tout la sagesse, il faut avant tout éviter l’imprudence. Or, il faut rechercher avant tout la sagesse ; donc il faut éviter avant tout l’imprudence. » Ici la proposition et l’assomption sont incontestables : aussi n’ont-elles pas besoin de preuve. Tous ces exemples nous montrent clairement que la preuve peut tantôt s’ajouter, tantôt se retrancher. Elle n’est donc renfermée ni dans la proposition, ni dans l’assomption ; mais chacune de ces parties a une place et un caractère propre et particulier. Ainsi ceux qui divisent l’épichérème en cinq parties, ont suivi la division la plus exacte.

      L’argument appelé épichérème, ou raisonnement, a donc cinq parties : la proposition ou la majeure, qui expose en peu de mots la pensée sur laquelle est fondé tout l’argument ; la preuve de la proposition, qui appuie la pensée énoncée en peu de mots, et lui donne plus de probabilité et d’évidence ; l’assomption ou la mineure, qui tire de la proposition ce qu’on doit démontrer ; la preuve de l’assomption qui la soutient et l’appuie de raisons ; enfin la conclusion, qui exprime d’une manière précise et rapide la conséquence que l’on tire de tout l’argument. L’argument le plus compliqué se compose de ces cinq parties. Il en est aussi de quatre, de trois et de deux, quoiqu’on n’adopte pas généralement cette dernière division. Quelques-uns même prétendent qu’un argument peut n’avoir qu’une seule partie.

      XXXVIII. Nous donnerons donc quelques exemples des divisions reçues, et nous alléguerons plusieurs raisons en faveur des autres.

      Voici un exemple d’un raisonnement à cinq parties : « Toutes les lois, juges, doivent se rapporter à l’intérêt de la patrie ; c’est dans le sens du bien général qu’il faut les interpréter plutôt que dans le sens littéral ; car vous connaissez assez la sagesse et la vertu de nos ancêtres pour croire qu’en établissant des lois, ils n’avaient d’autre but que le salut et l’intérêt de la patrie. Leur intention n’était pas d’y rien insérer de nuisible ; et ils étaient convaincus que, s’ils l’eussent fait, la découverte de leur erreur devait abroger la loi. Ce n’est pas, en effet, pour la loi elle-même qu’on veut que la loi soit inviolable, mais pour la république, dont la sûreté repose sur les lois. C’est d’après ce principe, qui rend les lois inviolables, qu’on doit en interpréter le texte. Oui, si nous n’avons d’autre but que l’intérêt de la patrie, si nous sommes en quelque sorte les esclaves de son bonheur et de sa gloire, ce même intérêt que nous portons à la patrie doit nous guider dans l’interprétation des lois. Si l’on doit croire que la médecine n’a d’autre but que de rendre la santé, puisque tel est le motif qui l’a fait inventer, les lois, on doit le croire aussi, n’ont d’autre but que l’intérêt de la patrie, puisque tel est le motif qui les a fait établir. Cessez donc, juges, cessez, dans cette cause, de vous attacher au sens littéral de la loi, et que l’intérêt de la patrie soit, comme il est juste, le seul point de vue sous lequel vous l’envisagiez. Eh ! que pouvait-il y avoir jamais de plus utile pour Thèbes que l’abaissement de Sparte ? Épaminondas, général des Thébains, ne devait-il pas, avant toute autre considération, songer à rendre les Thébains victorieux ? Que devait-il préférer à une gloire si brillante pour les Thébains ? à qui devait-il sacrifier un triomphe si beau, si éclatant, un si noble trophée ? Ne devait-il pas suivre l’intention du législateur, plutôt que le texte de la loi ? Nous avons suffisamment établi qu’aucune loi n’avait d’autre but que l’intérêt de la patrie. Épaminondas regardait donc comme le comble de la démence de ne pas prendre le salut de son pays pour règle dans l’interprétation d’une loi établie pour le salut de son pays. Que s’il faut rapporter toutes les lois à l’intérêt de la république, et si Épaminondas a été utile à la république, certes il n’a pu en même temps être utile à la fortune publique et désobéir aux lois. »

      XXXIX. Le raisonnement n’a que quatre parties quand on retranche la preuve, soit de la proposition, soit de l’assomption ; et c’est ce qu’il faut faire quand la proposition est évidente, ou l’assomption assez claire pour n’avoir pas besoin d’être prouvée. Voici un exemple d’un raisonnement à quatre parties, où la proposition n’a pas de preuve : « Juges, qui devez à la loi ce pouvoir judiciaire, sanctionné par votre serment, votre premier devoir est d’obéir à la loi. Or vous ne pouvez lui obéir, si vous vous écartez du sens littéral de la loi. Eh ! quel témoignage plus authentique le législateur a-t-il pu nous laisser de sa volonté, que ce qu’il a écrit avec soin, avec l’attention la plus scrupuleuse ? Si ce texte ne « subsistait pas, nous ferions tous nos efforts pour le trouver, afin de connaître la volonté du législateur ; quand nous avons le texte de la loi sous les yeux, bien loin de permettre qu’Épaminondas, accusé, interprète la volonté du législateur dans le sens de sa cause, plutôt que dans le sens littéral, nous ne le souffririons pas, même quand il serait hors de l’atteinte de la loi. Que si votre devoir, juges, est d’obéir à la loi, et si vous ne le pouvez qu’en suivant religieusement le sens littéral de la loi, qui peut vous empêcher encore de prononcer que l’accusé a enfreint la loi ? »

      Voici un exemple d’un raisonnement à quatre parties, où la preuve de l’assomption est supprimée : « Nous ne pouvons avoir confiance aux discours de ceux qui nous ont souvent trompés. En effet, si leur perfidie


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