Manuel de la procédure d'asile et de renvoi. Constantin Hruschka

Manuel de la procédure d'asile et de renvoi - Constantin Hruschka


Скачать книгу
de la possibilité de se voir accorder une protection. L’intérêt juridique défendu est de haute importance et [119]l’appréciation de l’autorité soulève des questions de droit complexes.52 Ainsi, à titre d’exemple, le caractère suffisamment fondé ou non d’une demande de réexamen ne peut être soumis à la seule appréciation de l’autorité administrative, au risque de contrevenir aux droits fondamentaux des personnes concernées (voir chap. XIII, pt 7.2).53

      La proportionnalité d’une décision de renvoi sans examen préalable des motifs d’asile ou des obstacles à l’exécution du renvoi doit à notre sens également être soumise au contrôle juridictionnel d’une autorité de recours lorsqu’elle fait suite à une violation du devoir de collaborer. Déterminant quant aux droits et aux obligations dont peuvent se prévaloir les requérants, le classement constitue à notre sens une décision au sens de l’art. 5 PA et devrait à ce titre pouvoir être contesté directement auprès de l’instance de recours. Le SEM ne partage toutefois pas cet avis.54 Dans l’attente d’une clarification du TAF sur la nature juridique de la décision de classement, la possibilité de demander une décision en constatation au SEM conformément à l’art. 25 PA subsiste et permet d’assurer l’exercice du droit au recours.55

      Examen des obstacles à l’exécution du renvoi – Le renvoi ne peut être exécuté sans qu’il ne soit procédé à un examen préalable des obstacles qui s’y opposeraient (art. 83 et 84 LEtr). Dans le cadre de procédures de droit des étrangers, il revient actuellement aux cantons d’examiner en dernier lieu l’existence d’obstacles à l’exécution du renvoi selon la LEtr. Cette solution semble toutefois insatisfaisante au vue de la grande variabilité des pratiques cantonales et du manque d’expertise des autorités de police quant à la situation qui prévaut dans les pays d’origine.56 La possibilité laissée aux cantons de proposer l’admission provisoire au SEM (art. 83 [120]al. 6 LEtr) ne remplit pas les exigences légales nécessaires à garantir le respect du principe de non-refoulement.

      Garanties procédurales – Le requérant d’asile doit être entendu sur les motifs qui s’opposeraient au classement préalablement à la décision du SEM de classer le dossier (droit d’être entendu au sens de l’art. 29 Cst.). La décision de classement doit ensuite être communiquée par écrit afin que le requérant puisse s’y opposer utilement.57 A noter également les problèmes de systématique de la loi apparus lors de l’introduction hâtive des dispositions58 qui prévoient de manière contradictoire le classement de la demande en cas de violation non qualifiée du devoir de collaborer et l’absence d’audition sur les motifs d’asile lorsque la violation est qualifiée de grave.59

      Réouverture ou nouvelle demande – La réouverture de la procédure, voire le dépôt d’une nouvelle demande d’asile, doit être possible dès qu’apparaissent des indices de mise en danger qui – en application d’un degré de preuve moindre – ne sont pas manifestement infondés. L’art. 8 al. 3bis LAsi réserve précisément l’application de la Convention de Genève comme palliatif au délai de carence de trois ans prévu avant le dépôt d’une nouvelle demande d’asile. La réouverture d’une procédure ne devrait toutefois pas être limitée au champ d’application de la Convention de Genève, mais s’étendre à toute personne pouvant faire valoir un besoin de protection au sens de l’asile ou de l’admission provisoire. L’art. 35a LAsi prévoit expressément la réouverture de la procédure lorsque la Suisse est compétente pour l’examen d’une demande d’asile en application du Règlement Dublin III. La réintroduction de cette disposition (sous une forme modifiée) répond aux exigences de l’art. 18 par. 2 RD III qui impose en effet que l’examen d’une demande d’asile soit mené jusqu’à son terme par l’Etat membre compétent.60 Or le classement contrevient à l’obligation d’examiner une demande de protection pour laquelle la Suisse [121]est désignée compétente, que le cas ait fait l’objet d’une procédure Dublin formelle ou non.61

      Sur le plan formel, la réouverture de la procédure doit faire l’objet d’une décision incidente (art. 29b OA 1). Une audition sur les motifs d’asile a lieu s’il n’y en a pas eu précédemment ou si le requérant invoque des faits qui se sont produits après le classement. Il n’y a en revanche pas de nouvelle audition lorsque, dans le cadre de l’exercice de son droit d’être entendu, le requérant fait valoir des motifs d’asile sur lesquels il a déjà été auditionné. Au moment de la réouverture, l’autorité procède alors à l’examen de l’ensemble des points énumérés dans ce chapitre, sans que le classement n’ait d’influence sur le déroulement de la procédure.

      2 Manuel Asile et retour du SEM, Article B1, Les conditions de recevabilité, ch. 2.1.1.

      5 La loi fédérale du 14 décembre 2012 (entrée en vigueur le 1er février 2014) a considérablement simplifié les motifs de non-entrée en matière (abrogation des art. 32 à 35 aLAsi). Un examen matériel des motifs d’asile est généralement nécessaire avant tout renvoi vers l’Etat d’origine.

      6 Contrairement aux exigences du droit des réfugiés, le SEM commence par se prononcer sur la vraisemblance des déclarations du requérant, généralement avant de déterminer si la personne est un réfugié au sens de l’art. 3 LAsi (voir chap. XII, pt 5).

      7 Art. 59 LAsi : « Quiconque a obtenu l’asile en Suisse ou y a été admis provisoirement au titre de réfugié est considéré, à l’égard de toutes les autorités fédérales et cantonales, comme un réfugié au sens de la présente loi et de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ».

      8 « Il ressort de la systématique du Règlement Dublin II que la non-entrée en matière sur la demande d’asile et le renvoi (ou transfert) forment une seule et même décision indissociable. Il n’y a pas de place pour un véritable examen séparé des conditions empêchant l’exécution du transfert, une fois qu’il a été décidé que la clause de souveraineté de l’art. 3 par. 2 du Règlement Dublin II ne s’appliquait pas », ATAF 2010/45, consid. 10.2.

      9 L’exécution du renvoi reste techniquement possible même si elle est limitée à un retour sur une base volontaire. Les cas d’impossibilité sont très rares en pratique. Voir chap. X, pt 4.

      10 A la différence des statistiques présentées par le SEM, l’OSAR (tout comme le HCR) estime que le taux d’octroi de l’asile doit être calculé par rapport au total des demandes traitées sur le fond, à l’exclusion des cas de non-entrée en matière. « Vivre ensemble » propose chaque mois une compilation statistique corrigée des données du SEM, disponible sous : www.asile.ch/vivre-ensemble/documentation/statistiques/ (consulté le 31 juillet 2015).

      11 SEM, Commentaire sur la statistique en matière d’asile 2014, p. 9, disponible sous : Скачать книгу