L'argent des autres: Les hommes de paille. Emile Gaboriau

L'argent des autres: Les hommes de paille - Emile Gaboriau


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écoliers modernes sont précoces, ils savent le fort et le faible de la vie, et quand ils abordent le baccalauréat, ils sont bien désenchantés déjà, ayant usé leurs illusions derrière leur pupitre, pendant les longues études du soir.

      Et il serait difficile qu'il en fût autrement. Au fond des lycées, fatalement se retrouve l'écho des préoccupations et le reflet des moeurs du moment. Il n'y a ni murailles ni surveillants qui tiennent. En même temps que la boue de la ville, dont leurs souliers sont maculés, les élèves rapportent, les soirs de sortie, leur provision d'observations et de faits.

      Qu'ont-ils vu, pendant la journée, dans leur famille ou chez leur correspondant?

      Des convoitises ardentes, d'insatiables appétits de luxe, de bien-être, de jouissances, de plaisirs, le dédain des labeurs patients, le mépris des convictions austères, d'âpres besoins d'argent, la volonté de parvenir à tout prix et la résolution de violenter la fortune à la première bonne occasion.

      Assurément on a dissimulé devant eux, mais ils ont l'entendement subtil.

      Leur père leur a bien dit, d'un ton grave, qu'il n'est rien de respectable en ce monde que le travail et la probité, mais ils ont surpris ce même père saluant à peine un pauvre diable d'honnête homme, et s'inclinant jusqu'à terre devant quelque gredin flétri par trois jugements, mais riche de six millions.

      Conclusion?... Oh! ils s'entendent à conclure, car il n'est tels que les jeunes gens pour être logiques et déduire d'un fait ses dernières conséquences.

      Ils savent, pour la plupart, qu'il leur faudra faire quelque chose, mais quoi? Et c'est alors que, pendant les récréations, leur imagination s'exerce à chercher cette fameuse profession, jusqu'ici introuvable, qui donne la fortune sans travail et la liberté en même temps qu'une situation brillante.

      C'est eux qu'il faut entendre éplucher et discuter toutes les carrières qui s'ouvrent aux jeunes ambitions. Et que de rires, si quelque naïf s'avise de citer un de ces emplois modestes où l'on gagne au début cent cinquante francs! c'est à peine ce que dépense tel externe, rien que pour ses cigares et ses voitures quand il est en retard.

      Maxence n'était ni meilleur ni pire que les autres. De même que les autres, il s'ingénia à découvrir le métier idéal qui enrichit son homme en l'amusant.

      Sous prétexte qu'il dessinait joliment, il parla de se faire peintre, calculant avec aplomb ce que rapporte la peinture et comptant d'après un journal ce que gagnent Corot ou Gérôme, Ziem, Daubigny et quelques autres, qui recueillent enfin le prix d'incessants efforts et d'écrasants labeurs.

      Mais en fait de tableaux, M. Vincent Favoral n'appréciait que les vignettes bleues de la banque de France.

      —Je ne veux pas d'artiste dans ma famille! déclara-t-il, d'un ton qui n'admettait pas de réplique.

      Maxence eût été volontiers ingénieur, car l'ingénieur est à la mode. Mais les examens de l'École polytechnique sont roides. Ou officier de cavalerie. Mais les deux années de Saint-Cyr manquent de gaieté. Ou chef de bureau comme M. Desormeaux, mais il faut commencer par être surnuméraire.

      Après avoir longtemps hésité entre le droit et la médecine, il finit par reconnaître qu'il voulait être avocat, influencé surtout par les joyeuses légendes du quartier latin.

      Ce n'était pas précisément le rêve de M. Vincent Favoral.

      —Cela va coûter encore de l'argent, gronda-t-il.

      Or, il s'était bercé de cette fausse espérance que son fils, au sortir du lycée, entrerait immédiatement dans une maison de commerce où il gagnerait de quoi se suffire.

      Battu en brèche par sa femme, cependant, et sollicité par ses amis, il céda.

      —Soit, dit-il à Maxence, tu feras ton droit. Seulement, comme il ne peut me convenir que tu gaspilles tes journées à flâner dans les estaminets de la rive gauche, tu travailleras en même temps chez un avoué. Dès samedi prochain, je m'entendrai avec mon ami Chapelain.

      Ce stage chez un avoué, Maxence ne l'avait pas prévu, et il faillit reculer devant cette perspective d'une discipline qu'il prévoyait devoir être aussi exigeante que celle du collège.

      Pourtant, ne découvrant rien de mieux, il persista. Et la rentrée venue, il prit sa première inscription et fut installé à un pupitre chez Me Chapelain, dont l'étude était alors rue Saint-Antoine.

      La première année, tout alla passablement.

      La somme de liberté qui lui était laissée lui suffisait. Son père ne lui accordait pas un centime pour ses menus plaisirs, mais l'avoué, en sa qualité de vieil ami de sa famille, faisait pour lui ce qu'il n'avait jamais fait pour un clerc amateur, et lui allouait vingt francs par mois. Mme Favoral ajoutant quelques pièces de cent sous à ces vingt francs, Maxence se déclarait satisfait.

      Malheureusement, nul moins que lui, avec son imagination vive et son tempérament fougueux, n'était fait pour cette existence paisible, pour cette besogne toujours la même, que ne passionnaient ni les difficultés à vaincre, ni les rivalités d'amour-propre, ni les satisfactions du résultat obtenu.

      Bientôt il se lassa.

      Il avait retrouvé à l'École de Droit d'anciens camarades de l'institution Massin, dont les parents habitaient la province, et qui, par conséquent, vivaient libres au quartier latin, moins assidus aux cours qu'à la brasserie de la Source ou à la Closerie des Lilas.

      Il envia leur vie joyeuse, leur liberté sans contrôle, leurs plaisirs faciles, leur chambre meublée, et jusqu'à la gargote où ils prenaient à crédit tout ce qu'on voulait bien leur donner, réservant l'argent de leur pension pour la distraction qu'il faut payer comptant.

      Mais Mme Favoral n'était-elle pas là?...

      Elle avait tant travaillé, la pauvre femme, surtout depuis que Mlle Gilberte était presque une jeune fille, elle avait tant économisé, tant grappillé, que sa réserve, malgré le nombre des emprunts, s'élevait à une somme assez forte.

      Quand Maxence voulait deux ou trois louis, il n'avait qu'un mot à dire. Il les voulut souvent.

      Aussi devint-il d'une jolie force au billard. Il eut sa pipe culottée au râtelier d'une brasserie, il prit l'absinthe avant de dîner et s'exerça le soir à effacer des bocks. L'audace lui venant, il dansa à Bullier, il connut les cabinets particuliers de Foyot et enfin eut une maîtresse.

      Si bien qu'une après-midi, que M. Favoral avait été appelé par une affaire de l'autre côté de l'eau, il se trouva nez à nez avec son fils, lequel s'avançait, le cigare à la bouche, ayant au bras une demoiselle supérieurement peinte et harnachée d'une toilette à faire cabrer les chevaux de fiacre.

      C'est dans un état d'indicible fureur qu'il regagna la rue Saint-Gilles.

      —Une femme! s'écriait-il d'un accent de pudeur révoltée. Une drôlesse! lui! mon fils!...

      Et lorsque ce fils reparut au logis, l'oreille fort basse, son premier mouvement fut de recourir à la correction d'autrefois.

      Mais Maxence venait d'avoir dix-neuf ans.

      A la vue de la canne levée sur lui, il devint plus blanc que sa chemise, et l'arrachant des mains de son père, il la brisa sur son genou, en jeta violemment les morceaux à terre et s'élança dehors.

      —Il ne remettra plus les pieds ici! s'écriait le caissier du Comptoir de crédit mutuel, jeté hors de lui par un acte de résistance qui lui semblait inouï. Je le chasse. Qu'on fasse un paquet de son linge et de ses habits et qu'on le porte au premier hôtel venu. Je ne veux plus le voir!...

      Longtemps Mme Favoral et Mlle Gilberte se traînèrent à ses pieds, avant d'obtenir qu'il revînt sur sa détermination.

      —Il nous déshonorera tous! répétait-il, ne comprenant pas que c'était lui qui avait, en quelque sorte, poussé


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