L'argent des autres: Les hommes de paille. Emile Gaboriau

L'argent des autres: Les hommes de paille - Emile Gaboriau


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articles mode et toilette, et c'est avec une volubilité étourdissante qu'elle demandait à Mme Favoral le nom de sa couturière et de sa modiste, et à quel joaillier elle donnait ses diamants à remonter.

      Cela ressemblait si bien à une plaisanterie, que la pauvre ménagère de la rue Saint-Gilles ne pouvait s'empêcher de sourire, tout en répondant qu'elle n'avait pas de couturière et que n'ayant pas de diamants, un joaillier lui était complétement inutile.

      L'autre déclarait n'en pouvoir revenir. Pas de diamants! c'est un malheur qui dépasse tout! Et vite, elle en prenait texte, charitablement, pour énumérer les parures de son écrin, les dentelles de ses tiroirs et les robes de ses armoires. D'abord, il lui eût été impossible, elle le jurait, de vivre avec un mari avare ou pauvre. Le sien venait de lui faire présent d'un coupé capitonné de satin jaune qui était un bijou. Et certes, elle l'employait, adorant le mouvement. Elle passait ses journées à courir les magasins et à se promener au bois. Tous les soirs elle avait, à son choix, le spectacle et le bal, l'un et l'autre souvent. Les théâtres de genre étaient ceux qu'elle préférait. Assurément l'Opéra et les Italiens sont bien plus distingués, mais elle ne pouvait se tenir d'y bâiller...

      Puis, elle voulait embrasser les enfants, et il fallait aller lui chercher Maxence et Gilberte. Elle adorait les enfants, protestait-elle, c'était son faible, sa passion. Elle avait, elle-même, une petite-fille de dix-huit mois, nommé Césarine, dont elle raffolait; et que certainement elle eût amenée, et elle n'eût pas craint de gêner...

      Tout ce verbiage bruissait comme un murmure confus aux oreilles de Mme Favoral. «Oui, non,» répondait-elle, sans trop savoir à quoi elle répondait.

      Le coeur serré d'une appréhension vague, elle n'avait pas trop de toute son attention pour observer son mari et ses hôtes.

      Debout près de la cheminée, le cigare aux dents, ils causaient avec une certaine animation, mais à voix trop basse pour qu'elle pût bien saisir. C'est seulement lorsque M. Saint-Pavin prenait la parole, qu'elle entendait qu'il s'agissait toujours de l'affaire, car il ne parlait que d'articles à publier, d'actions à lancer, de dividendes à distribuer et de bénéfices certains à recueillir.

      Tous d'ailleurs paraissaient admirablement d'accord, et à un moment elle vit son mari et M. de Thaller se frapper dans la main, comme on fait quand on échange une parole.

      Onze heures sonnèrent.

      M. Favoral prétendait obliger ses hôtes à accepter encore une tasse de thé ou un verre de punch, mais M. de Thaller déclara qu'il avait à travailler, et que sa voiture étant arrivée, il allait partir.

      Et il partit, en effet, emmenant la baronne, suivi de M. de Saint-Pavin et de M. Jottras.

      Et quand M. Favoral, les portes fermées, se retrouva avec sa femme:

      —Eh bien! s'écria-t-il tout vibrant de vanité satisfaite, que dis-tu de nos amis?

      Certes, l'opinion de la pauvre femme était faite. Elle n'osa pas la formuler.

      —Ils m'ont surpris, répondit-elle.

      Il bondit sur ce mot.

      —Je voudrais bien savoir pourquoi?

      Alors, timidement et avec des précautions infinies, elle se mit à expliquer que la physionomie de M. de Thaller ne lui inspirait aucune confiance, que M. Jottras lui avait semblé un personnage très-impudent, que M. Saint-Pavin lui paraissait fort mal et que la jeune baronne, enfin, lui avait donné d'elle la plus singulière idée...

      M. Favoral n'en voulut pas écouter davantage.

      —C'est que tu n'as jamais vu des gens de la haute société, s'écria-t-il.

      —Pardon, autrefois, du vivant de ma mère...

      —Eh! il ne venait que des marchands chez ta mère...

      La pauvre femme baissait la tête:

      —Je t'en supplie, Vincent, insista-t-elle, avant de rien faire avec ces nouveaux amis, réfléchis, consulte...

      Il finit par éclater de rire.

      —N'as-tu pas peur qu'ils ne me volent! dit-il. Des gens riches dix fois comme moi!... Tiens, ne parlons plus de cela, et allons nous coucher... Tu verras ce que nous rapportera cette soirée, et si j'ai lieu de regretter mon argent!...

       Table des matières

      Quand, au lendemain de ce dîner, qui devait faire époque dans sa vie, Mme Favoral se réveilla, son mari était déjà debout et, un crayon à la main, il alignait des additions.

      L'enchantement s'était dissipé comme les fumées du vin de Champagne, et les nuages des mauvais jours s'amassaient sur son front.

      S'apercevant que sa femme l'observait:

      —Cela coûte gras, dit-il d'un ton rogue, de mettre une affaire en train, et il ne faudrait pas recommencer tous les soirs.

      A l'entendre, on eût cru, positivement, que Mme Favoral seule, à force d'obsessions, l'avait décidé à cette dépense qu'il paraissait regretter si fort. Elle le lui fit remarquer doucement, lui rappelant que, bien loin de le pousser, elle avait essayé de le retenir, lui répétant qu'elle augurait mal de cette affaire dont il s'enthousiasmait, et que s'il voulait la croire, il ne s'aventurerait pas...

      —Sais-tu ce dont il s'agit? interrompit-il brusquement.

      —Tu ne me l'as pas dit...

      —Eh bien! alors, laisse-moi en repos, avec tes pressentiments. Mes amis te déplaisent et j'ai bien vu quelle mine tu faisais à la baronne de Thaller. Mais je suis le maître, et ce que j'ai résolu sera. J'ai signé, d'ailleurs. Une fois pour toutes, je te défends de revenir sur ce sujet.

      Sur quoi, s'étant habillé avec beaucoup de soin, il décampa en disant qu'il était attendu pour déjeuner, par Saint-Pavin, le publiciste financier, et par M. Jottras, de la maison Jottras et frère.

      Une femme adroite ne se fût pas tenue pour battue et eût eu facilement raison de ce despote dont l'intelligence n'était pas le fort. Mais Mme Favoral était trop fière pour être adroite, et d'ailleurs, les ressorts de sa volonté avaient été brisés par l'oppression successive d'une marâtre odieuse et d'un maître brutal. Son renoncement à tout était complet. Blessée, elle gardait le secret de la blessure, baissait la tête et se taisait.

      Elle ne hasarda donc pas une allusion, et il s'écoula près d'une semaine sans qu'elle entendit prononcer le nom de ses hôtes.

      C'est par un journal qu'avait oublié au salon M. Favoral, qu'elle apprit que M. le baron de Thaller venait de fonder une société par actions, le Comptoir de crédit mutuel, au capital de plusieurs millions.

      Au-dessous de l'annonce imprimée en énormes caractères, venait un long article, où il était démontré que la société nouvelle était en même temps une oeuvre patriotique, et une institution de crédit de premier ordre, qu'elle répondait à des besoins urgents, qu'elle était appelée à rendre à l'industrie des services inappréciables, que ses bénéfices étaient assurés et que souscrire des actions, c'était simplement tirer sur la fortune à courte échéance.

      Un peu rassurée déjà par la lecture de cet article, Mme Favoral le fut tout à fait lorsqu'elle lut la liste des membres du conseil de surveillance. Presque tous étaient titrés et décorés de quantité d'ordres, et les autres, les simples roturiers, étaient tous des banquiers, des dignitaires ou même d'anciens ministres.

      —Je me trompais, pensa-t-elle, subissant l'ascendant de la chose imprimée.

      Et nulle objection ne lui vint, quand à peu de jours de là, son mari lui dit:

      —J'ai


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