Le crime de l'Opéra 2. Fortuné du Boisgobey

Le crime de l'Opéra 2 - Fortuné du Boisgobey


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quand on le colle dehors. Moi, je veux mes huit mois… à cent cinquante balles par semaine… et ça n’est pas trop.

      – Vous êtes fou.

      – Non, et la preuve, c’est que si vous ne casquez pas, j’irai conter ma petite affaire au commissaire du quartier. Ça m’est égal d’aller où vous savez, si nous sommes trois pour faire le voyage ensemble. Vous êtes rigolo, le général du Pérou aussi. Je ne m’embêterai pas pendant la traversée.

      – Voulez-vous vous taire, malheureux! on peut vous entendre.

      – Je m’en bats l’œil. Aboulez, ou je crie plus fort.

      – Êtes-vous sûr que nous ne sommes pas seuls ici? reprit le docteur en s’avançant jusqu’au milieu du salon.

      – Bonjour, mon cher, dit Nointel qui surgit tout à coup.

      Saint-Galmier faillit tomber à la renverse, mais il eut encore la présence d’esprit de revenir à l’homme, de lui glisser quelques louis dans la main et de le pousser vers la porte de l’antichambre en lui disant:

      – Revenez demain, mon ami, demain matin… je vous donnerai une ordonnance… ce soir, je suis pressé, et il faut que je reçoive monsieur.

      Le réclamant, aussi surpris que lui, ne tenait pas sans doute à continuer devant un témoin cette conversation édifiante. Il se laissa mettre dehors, et le capitaine resta seul avec le docteur.

      – Je vous dérange peut-être, dit Nointel. Figurez-vous que je suis là depuis une demi-heure, et que je m’étais endormi au coin de votre cheminée. Au milieu d’une demi-douzaine de jolies femmes, c’est impardonnable, mais il fait si chaud dans ce salon! La voix de votre client m’a réveillé en sursaut.

      – Quoi! vraiment, vous dormiez? balbutia Saint-Galmier en cherchant à reprendre son aplomb.

      – Mon Dieu! oui. Je n’ai jamais de ma vie pu faire antichambre sans me laisser gagner par le sommeil: deux fois dans ma vie j’ai eu une audience du ministre de la guerre; deux fois je me suis mis à ronfler dans le salon d’attente de Son Excellence, et j’ai laissé passer mon tour. Cette infirmité-là m’a fait manquer ma carrière. Mais qu’est-ce qu’il avait donc votre client? Il ne paraissait pas content.

      – C’est un pauvre diable que je soigne pour rien et qui se fâche parce que je lui prescris un régime qu’il ne veut pas suivre. Je lui prêche la sobriété, et il n’entend pas de cette oreille-là. Tous ces alcoolisés sont les mêmes.

      – Alcoolisés! comme on invente des jolis mots maintenant! Au 8e hussards nous aurions dit: tous ces ivrognes. Alors, votre malade a un faible pour les liqueurs fortes? Il m’a semblé, en effet, qu’il parlait de boire.

      – Ah! vous avez entendu ce qu’il disait?

      – Quelques mots seulement… qui m’ont paru très incohérents… plus le sou… boire… traîner la nuit dans les rues… Je n’y ai rien compris, et je n’ai pas cherché à comprendre.

      – Ce malheureux est à moitié fou. Il a de plus une névrose de l’estomac, et je désespère de le guérir. Mais vous, mon cher capitaine, est-ce que vous auriez besoin de mes soins?

      – Moi, docteur? Non, Dieu merci! J’ai le cerveau en bon état, et quant à l’estomac… vous m’avez vu fonctionner dimanche à la Maison-d’Or. Ce pâté de rouges-gorges était mémorable. Vous devriez bien me donner la recette.

      – Serait-ce pour me la demander que vous m’avez fait l’honneur de venir chez moi?

      – Pas précisément. Je viens pour avoir avec vous une petite explication.

      – Tout ce que vous voudrez. Prenez donc la peine d’entrer dans mon cabinet, l’heure de ma consultation n’est pas encore tout à fait écoulée, et si nous restions ici, nous courrions le risque d’être dérangés.

      – Par l’alcoolisé?

      – Non; par une cliente attardée. Vous n’imaginez pas à quel point les femmes sont inexactes.

      Le cabinet était vaste et moins éclairé encore que le salon. D’épaisses tentures de drap vert y amortissaient le son de la voix. Il eût été difficile de rêver un endroit plus propice aux confidences. Un médecin est un confesseur, et Saint-Galmier, qui pratiquait religieusement cette règle professionnelle, ferma la porte au verrou après avoir introduit Nointel. Il le fit asseoir ensuite tout près de lui, et il lui dit de son air le plus gracieux:

      – Me voici tout prêt à vous fournir le renseignement dont vous avez besoin. Excusez-moi de ne pas vous offrir un cigare. Vous comprenez… je ne reçois guère ici que des femmes nerveuses… extranerveuses même… l’odeur du tabac les ferait tomber en syncope. C’est bien d’un renseignement qu’il s’agit?

      – J’avais dit: une explication, mais je ne tiens pas à mon mot. Je tiens seulement à savoir pourquoi vous êtes allé, mardi dernier, il y a juste huit jours, faire une visite à Julia d’Orcival, en son hôtel du boulevard Malesherbes.

      Le docteur eut un léger tressaillement qui n’échappa point à l’œil attentif du capitaine.

      – Je suis indiscret, n’est-ce pas? reprit Nointel.

      – Nullement, nullement, répondit Saint-Galmier, avec une parfaite courtoisie. Permettez-moi de rassembler mes souvenirs. C’était, dites-vous, mardi dernier?

      – Oui, le lendemain de la mort du comte Golymine.

      – En effet, je me souviens maintenant. Eh bien, mais c’est très simple. Je suis allé chez cette pauvre femme parce qu’elle m’avait fait appeler pour me consulter.

      – Elle était donc malade?

      – Oh! rien de grave. Une légère névrose de… oui, de la face. Ce suicide avait produit sur elle une impression très vive: la secousse avait déterminé des accidents nerveux…

      – Et comme elle savait que vous êtes le premier médecin du monde pour soigner les nerfs surexcités, elle s’est adressée à vous. Rien de plus naturel. Vous ne la connaissiez pas avant cette visite?

      – Pas autrement que de vue.

      – Et depuis, vous n’êtes pas retourné chez elle?

      – Mon Dieu, non. C’eût été tout à fait inutile. Le traitement que j’avais prescrit a guéri la malade en vingt-quatre heures. Et je regrette amèrement d’avoir réussi trop vite à la débarrasser d’une incommodité qui, si elle se fût prolongée, l’eût empêchée sans aucun doute d’aller à ce bal de l’Opéra, où la mort l’attendait.

      – Que voulez-vous, docteur! C’était écrit là-haut sur le grand rouleau. Quand la fatalité s’en mêle, il n’y a rien à faire. La destinée de Julia était de finir au bal masqué. La vôtre est peut-être de m’aider à découvrir la scélérate personne qui l’a tuée.

      – Moi! mais je n’en sais pas plus que vous sur ce triste sujet, dit Saint-Galmier avec une vivacité qui fit sourire le capitaine. J’étais à l’Opéra avec Simancas, dans une loge contiguë à celle de madame d’Orcival, mais nous n’avons absolument rien vu. Le juge d’instruction a cru devoir nous faire appeler hier: nous lui avons déclaré qu’à notre grand regret, nous n’étions pas en mesure de le renseigner.

      – Je conçois cela; mais peut-être pourrez-vous me dire, à moi qui ne suis pas juge d’instruction, pour quel motif, lorsque vous êtes allé mardi dernier chez Julia, vous vous êtes présenté de la part de mon ami Gaston Darcy.

      La botte était droite autant qu’imprévue, et le docteur fut pris hors de garde. Il rougit jusqu’aux oreilles, et répondit d’une voix étranglée:

      – C’est une erreur… vous êtes mal informé, capitaine.

      – Parfaitement informé, au contraire. Vous avez dit à Julia, qui ne vous avait pas fait appeler, par l’excellente


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