Le crime de l'Opéra 2. Fortuné du Boisgobey

Le crime de l'Opéra 2 - Fortuné du Boisgobey


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sur les faits et gestes de la marquise pendant la nuit du bal de l’Opéra, ou se borner à leur interdire de remettre les pieds chez elle. Le sage capitaine pensa qu’avant de se décider il fallait leur prouver qu’ils étaient à sa merci. Avec Saint-Galmier, la chose était déjà à peu près faite. Il s’agissait maintenant d’attaquer vigoureusement Simancas qui paraissait assez déconcerté. Le drôle ne s’attendait guère à rencontrer chez son complice l’homme dont il cherchait depuis deux jours à se défaire d’une façon radicale.

      – Bonjour, général, lui dit Nointel sans lui tendre la main, je suis fort aise de vous voir. Vous avez eu l’obligeance de m’écrire pour m’éviter une course inutile. Je tiens à vous remercier de cette délicate attention.

      – Je n’ai fait que m’acquitter d’un devoir, répondit Simancas avec un embarras visible. C’est la marquise de Barancos qui m’a prié expressément de vous prévenir qu’elle ne recevait pas.

      – Et vous vous êtes empressé de lui obéir. Rien de plus naturel. Alors, elle est très souffrante, cette chère marquise?

      – Oui, très souffrante. Je viens chercher de sa part Saint-Galmier, qui n’a pas son pareil pour traiter…

      – Les névroses, c’est connu. Quand j’en aurai une, je m’adresserai à lui. Vous croyez peut-être que vous m’avez surpris au moment où je lui demandais une consultation. Non, nous causions tout bonnement d’une visite qu’il a faite la semaine dernière à cette pauvre Julia. Et vous arrivez à propos, car vous y êtes allé aussi, chez Julia; vous y êtes allé le même jour que le docteur.

      – Moi? je vous jure que…

      – Ne jurez pas. J’ai vu la femme de chambre qui vous a introduits tous les deux, l’un après l’autre. Il paraît que ce cher Saint-Galmier venait offrir ses services à madame d’Orcival, et que vous veniez, vous, lui demander certains renseignements sur votre ami Golymine.

      – Mais, capitaine, je proteste, je…

      – Encore! C’est tout à fait inutile. Je suis parfaitement informé, et nous reviendrons tout à l’heure sur ce sujet, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit en ce moment.

      – De quoi s’agit-il donc? dit Simancas en tâchant de prendre un air digne. On croirait que vous vous préparez à me faire subir un interrogatoire.

      – On ne se tromperait pas.

      – Monsieur! permettez-moi de vous dire que le ton que vous prenez avec moi est inexplicable.

      – Je vais vous l’expliquer. Connaissez-vous un homme qui commande un navire baleinier du Havre… un homme qui s’appelle Jacques Crozon?

      Simancas recula comme s’il eût été frappé d’un coup de poing dans la poitrine, et n’eut pas la force d’articuler une dénégation.

      – Jacques Crozon est marié, reprit Nointel; il vient de rentrer à Paris après une campagne de deux ans, et pendant qu’il était en mer, sa femme est devenue la maîtresse de ce Golymine. Il paraît même qu’elle a eu un enfant de lui.

      – Je ne sais pas pourquoi vous me racontez cette histoire.

      – Vraiment? Vous m’étonnez. Eh bien, apprenez qu’il s’est trouvé un misérable pour dénoncer à Jacques Crozon la conduite de sa femme, et que ce misérable était intimement lié avec Golymine. C’est ignoble, n’est-ce pas, général?

      Le Péruvien ne répondit que par un grognement étouffé, et Nointel continua tranquillement:

      – Pourquoi ce coquin trahissait-il ainsi son ami? Je l’ignore, et cela m’importe fort peu. Mais ce qui me touche davantage, c’est que Golymine étant mort, l’auteur des lettres anonymes a imaginé d’écrire au mari que j’avais été aussi l’amant de la femme, que j’avais succédé au Polonais. Bien entendu, c’était un mensonge infâme, et le résultat de ce mensonge devait être un duel à mort entre Jacques Crozon et votre serviteur. Une manière comme une autre de se débarrasser de moi, Crozon passant pour être un tireur de première force.

      – Que pensez-vous, général, de cette combinaison?

      – Je pense, grommela Simancas, je pense qu’elle n’a jamais existé que dans votre imagination.

      – Vous vous trompez. J’ai des preuves. Le dénonciateur ne se doutait pas que je connaissais Crozon depuis douze ans… Qu’avez-vous donc, général? Cela vous surprend. Vous ne supposiez pas qu’un ex-officier de hussards eût jamais rencontré un capitaine de la marine marchande. Rien n’est plus vrai pourtant, et mon vieil ami Crozon est venu me montrer la lettre qu’il a reçue. Nous nous sommes expliqués, et je n’ai eu aucune peine à lui démontrer qu’on m’avait odieusement calomnié. Il m’a chargé de découvrir le calomniateur, et il se propose de le tuer dès que je l’aurai découvert. Il ne plaisante pas, ce brave baleinier, et il a la main dure. Il ne s’est jamais battu sans tuer son homme. Et si, par hasard, il manquait cet indigne adversaire, je suis là pour le reprendre, et je vous réponds qu’il n’en reviendra pas.

      – Ce sera bien fait, dit le général en cherchant à prendre un air indifférent.

      – C’est votre avis? Alors, vous ne m’en voudrez pas si je procure à mon ami Crozon la satisfaction de vous envoyer dans l’autre monde.

      – Comment! que signifie…

      – Cela signifie que le dénonciateur, c’est vous, dit Nointel en regardant Simancas entre les deux yeux.

      – Capitaine! cette plaisanterie…

      – Voulez-vous que je vous montre votre dernière lettre? Je l’ai dans une de mes poches, et dans l’autre il y a un revolver chargé. Je ne vous conseille pas d’essayer à vous deux de me la reprendre de force. Et je vous engage aussi à ne plus nier, car j’ai la preuve que cette lettre est de votre écriture, puisque vous avez commis la sottise de m’envoyer une pièce de comparaison.

      – Fort bien, monsieur. Je suis à vos ordres, dit le Péruvien qui sentait la nécessité de payer d’audace.

      – Bon! vous avouez alors?

      – Je n’avoue rien, mais…

      – Ne jouons pas sur les mots, je vous prie. Vous consentez à nous rendre raison, parce que vous ne pouvez pas faire autrement. Mais je suppose que, s’il nous plaisait de ne pas user de notre droit, vous ne réclameriez pas contre notre décision.

      – Il est certain qu’il me serait pénible de me battre contre un homme que j’estime.

      – Et qui ne vous estime pas. Eh bien, il dépend de vous d’éviter cette dure nécessité, et d’éviter en même temps des mésaventures d’un autre genre, des mésaventures que votre ami Saint-Galmier redoute énormément.

      Les deux associés échangèrent un regard rapide, et Simancas lut dans les yeux du docteur qu’il fallait saisir avec empressement l’occasion qui s’offrait de capituler.

      – Vous avez un arrangement à me proposer? demanda le général.

      – Une trêve. Veuillez m’écouter. Je suis certain que vous avez eu tous les deux avec Golymine des complicités dont je ne tiens pas essentiellement à connaître l’objet. Vous saviez qu’il était l’amant de madame Crozon, et vous vouliez le faire tuer par le mari, parce que vous craigniez qu’il ne vous trahît.

      – Et quand cela serait? s’écria imprudemment Simancas. Nous avions conspiré ensemble au Pérou, et Golymine aurait vendu nos secrets à nos ennemis politiques.

      – Je crois que la politique n’a rien à faire ici, mais peu m’importe, et, quoi qu’il en soit, ce n’était pas pour la même raison que vous vouliez vous débarrasser de moi. La raison, la voici. Vous venez de vous introduire chez madame de Barancos. Par quel moyen? Je ne m’en inquiète pas, mais je vois très bien que vous vous proposez d’exploiter la marquise. Elle est fort riche, sa maison est bonne, et vous tenez à y régner sans partage. Or, vous


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