Le crime de l'Opéra 2. Fortuné du Boisgobey

Le crime de l'Opéra 2 - Fortuné du Boisgobey


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je suis sûr de ce que je dis, et voici les conditions auxquelles je consens à ne vous dénoncer ni à Crozon, ni… à d’autres. Si vous les acceptez, je tairai tout ce que je sais, et, en apparence, je vivrai avec vous sur le même pied que par le passé. Je veux d’abord avoir mes entrées chez la marquise. Le congé que j’ai reçu aujourd’hui de sa part venait de vous, j’en suis certain, et je le tiens pour non avenu. Je prétends même être invité par elle, et cela d’ici à deux jours, être invité à un dîner, à un bal, à une chasse, en un mot, prendre pied dans son intimité. Rassurez-vous. Ce n’est pas son argent que je vise, et je ne chercherai pas à vous faire chasser de son hôtel.

      – Madame de Barancos ne demande pas mieux que de vous voir souvent, monsieur, et je n’aurai pas besoin d’user de l’influence que vous m’attribuez pour…

      – Premier point, reprit le capitaine, sans daigner répondre à cette protestation. Second point: j’entends qu’à dater de ce jour vous cessiez de dénoncer la femme de Jacques Crozon. À la première lettre anonyme que son mari recevrait, j’en finirais avec vous, et vous savez que j’ai plusieurs manières d’en finir. Ainsi, pas une ligne, pas un mot, pas une démarche. Je veux que mon ami Crozon croie qu’il a été victime d’une odieuse mystification.

      – Ç’en était une sans doute, murmura timidement Simancas.

      – Non, ce n’en était pas une, vous le savez fort bien, et j’arrive à ma dernière condition. Il y a un enfant. Où est-il?

      – Sur mon honneur, je n’en sais rien.

      – Laissez votre honneur en repos, et répondez-moi catégoriquement. Où madame Crozon est-elle accouchée?

      – Chez une sage-femme qui demeure tout en haut de la butte Montmartre, rue des Rosiers, je crois.

      – À qui l’enfant a-t-il été remis?

      – À une nourrice qu’on a cherchée longtemps et dont on a perdu la trace au moment où on allait la découvrir.

      – Samedi dernier, n’est-ce pas?

      – Non, dimanche… on avait appris enfin qu’elle habitait rue de Maubeuge, tout en haut de la rue… au numéro 219… on s’y est présenté… elle avait déménagé la veille avec son nourrisson… elle était en garni… elle n’a pas dit où elle allait… et on ne l’a pas retrouvée.

      – Son nom?

      – La femme Monnier… un faux nom, très probablement.

      – Cela me suffit, dit Nointel, qui voyait bien à la netteté des réponses de Simancas que le coquin n’en savait pas plus long et qu’il ne mentait pas. Maintenant, le marché est conclu, je suppose. Comme arrhes, j’attends une lettre d’invitation de madame de Barancos. Quand elle me recevra, je ne lui parlerai pas de celle qu’il vous a plus de m’écrire pour me fermer sa porte, et je ne m’occuperai pas plus de vous que si vous n’existiez pas… à moins que vous ne violiez nos conventions, auquel cas je serais sans pitié. La marquise me plaît infiniment, mais elle ne me tournera pas la tête au point de me faire perdre la mémoire. J’ai tout dit. Par où sort-on d’ici, docteur?

      Saint-Galmier s’empressa d’ouvrir la porte du salon, et le capitaine s’en alla en lui jetant cet adieu:

      – À propos, je vous recommande de soigner votre alcoolisé. C’est un brutal et un bavard qui pourrait bien vous jouer un mauvais tour.

      Le docteur ne souffla mot. Il reconduisit Nointel jusqu’à l’antichambre où le nègre en livrée attendait les clients, et il revint en toute hâte trouver Simancas pour conférer sur les événements.

      Nointel ne se sentait pas de joie, et quand il se retrouva dans la rue, il prit un plaisir extrême à allumer un cigare, un plaisir que connaissent seuls les travailleurs qui entendent sonner l’heure du repos après une journée laborieuse. Il s’achemina vers la rue d’Anjou d’un pas allègre, le cœur léger et l’esprit dispos, ravi du début de sa campagne et tout prêt à poursuivre ses premiers succès.

      – Voilà de bonne besogne, se disait-il, et si Darcy n’est pas content, c’est qu’il sera trop difficile. Je tiens la clef de la position, puisque je tiens les deux gredins qui tiennent la marquise. Et je ne leur ai pas livré mon secret, je ne leur ai pas dit un mot du crime de l’Opéra. Ils croient que je suis amoureux de la Barancos, peut-être que je veux l’épouser, et que j’ai profité de ce que j’avais barre sur eux, pour me faire ouvrir à deux battants les portes de son hôtel. Ils me feront une guerre sourde, je le sais, mais ils n’oseront pas m’attaquer en face. Si j’avais cassé les vitres, si je les avais forcés à dénoncer la marquise, ou si j’avais forcé la marquise à les chasser, j’aurais gâté les affaires de Berthe. C’eût été frapper le grand coup trop tôt. Je n’ai pas encore assez de preuves. J’en aurai dans huit jours ou dans un mois, mais j’en aurai, et, en attendant, j’ai assuré la tranquillité du ménage Crozon, je sais ce que l’innocente Lestérel a fait de sa nuit de bal, je suis sur la trace de la nourrice, et un de ces jours, je pourrai apprendre à la mère que l’enfant se porte bien. Ma parole d’honneur, on donne le prix Monthyon à des gens qui le méritent moins que moi.

      Oui, mais il faut cultiver notre jardin, disait Candide, et notre jardin, c’est la marquise.

      II. Huit jours se sont passés, un siècle pour ceux qui espèrent et pour ceux qui souffrent

      Huit jours se sont passés, un siècle pour ceux qui espèrent et pour ceux qui souffrent.

      Gaston Darcy espère; Berthe Lestérel souffre.

      Berthe est toujours au secret, dans sa prison. Elle prie, elle pleure, elle regarde le lambeau de ciel qu’elle peut à peine apercevoir à travers les grilles de sa fenêtre, et elle songe à sa douce vie d’autrefois, sa vie de jeune fille, violemment bouleversée. Elle pense à sa sœur qui mourra de douleur, si son mari ne la tue pas; elle pense à madame Cambry, à sa protectrice, qu’elle aimait tant et qui maintenant la renie peut-être parce qu’elle la croit coupable; elle pense à Gaston qui lui a juré un amour éternel et sans doute l’a déjà oubliée. Les heures s’écoulent, lentes, monotones, sans apporter à la pauvre recluse un souvenir amical, un souhait bienveillant, rien, pas même une nouvelle de ce monde où elle ne rentrera plus. Cette cellule aux murs blanchis, c’est la tombe. Pas un bruit du dehors n’y pénètre, pas un rayon de soleil. Quand la porte s’ouvre, Berthe ne voit apparaître au fond du corridor sombre que les sœurs de Marie-Joseph, en long vêtements de laine, voilées de noir et de bleu, marchant du pas silencieux des fantômes. Trois fois on est venu l’appeler pour la conduire au Palais de justice, et l’horrible voyage en voiture cellulaire ne lui a pas été épargné; trois fois elle s’est assise dans le cabinet du juge, toujours grave, toujours impassible. Elle a été interrogée poliment, froidement, et elle n’a répondu que par des larmes. Trois fois elle est revenue désespérée. Elle se sent perdue, et elle n’attend plus rien de la justice des hommes. Elle n’a plus foi qu’en Dieu qui lit dans les cœurs.

      Gaston Darcy endure un autre supplice, le supplice de l’attente, les angoisses de l’incertitude. Il a rompu avec son existence habituelle, il a pris le monde en horreur, il fuit les distractions, il se complait dans les joies amères de l’isolement. Il ne voit que son oncle, madame Cambry et Nointel.

      Son oncle l’accueille, le plaint, et reste impénétrable.

      Madame Cambry prend part à ses peines, elle se désole avec lui, elle jure que Berthe n’est pas coupable et qu’elle ne se lassera jamais de la défendre; elle a été jusqu’à proclamer qu’elle ne se marierait pas tant que sa jeune amie serait sous le coup de cette affreuse accusation. Cependant, son mariage avec M.  Roger Darcy est décidé, et M.  Roger Darcy la presse de conclure, car le sévère magistrat a fini par s’éprendre très vivement de la charmante veuve, et il n’en est plus à souhaiter que son neveu se charge seul de perpétuer le nom de la famille. Mais madame Cambry ne peut rien contre les convictions du juge, madame Cambry n’obtiendra pas de son futur mari qu’il décide contre sa conscience


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