Le crime de l'Opéra 2. Fortuné du Boisgobey

Le crime de l'Opéra 2 - Fortuné du Boisgobey


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sa femme de chambre.

      – Sa femme de chambre, répéta machinalement le docteur qui commençait à perdre la tête.

      – Oui, une certaine Mariette, une fille très intelligente ma foi! Elle est venue chez Gaston Darcy, hier matin… vous entendez que je précise… je me trouvais là, et elle a dit devant moi tout ce que je viens de vous redire. Vous me ferez, je suppose, l’honneur de me croire.

      – Je vous crois, mon cher capitaine, mais… cette femme a pu inventer…

      – Elle n’a aucun intérêt à mentir. Du reste, si vous contestiez ses affirmations, il y a un moyen bien simple de vider le débat, c’est de vous mettre en présence. Je vais aller la chercher, vous vous expliquerez, et…

      – C’est inutile… ses propos ne valent pas la peine que je les réfute… et j’espère que vous voudrez bien vous en rapporter à moi.

      – Je vois que vous ne comprenez pas la situation, dit froidement Nointel. S’il ne s’agissait que de savoir qui de vous ou de cette soubrette a altéré la vérité, je ne me serais pas dérangé. Vos affaires ne sont pas les miennes, et il m’importe fort peu que vous vous soyez introduit chez la d’Orcival sous un prétexte ou sous un autre. Mais mon ami Darcy n’est pas dans le même cas que moi. Il trouve mauvais que vous vous soyez servi de son nom sans son autorisation; il est blessé de l’usage que vous en avez fait, et vous devinez sans doute que c’est lui qui m’envoie.

      Ce dernier coup désarçonna tout à fait Saint-Galmier. L’infortuné praticien n’était pas belliqueux, et la perspective d’un duel l’effrayait considérablement. À tout prix, il voulait éviter la bataille, et il cherchait un moyen de satisfaire Darcy sans exposer sa peau.

      – Donc, reprit le capitaine, je vous prie de me désigner, séance tenante, un de vos amis, afin que nous puissions arrêter ensemble les conditions de la rencontre. Darcy désire que tout soit terminé d’ici à vingt-quatre heures. S’il vous plaisait de choisir le général Simancas, je m’entendrais facilement avec lui, et nous irions très vite.

      Pendant que Nointel parlait ainsi, le docteur avait déjà trouvé un biais pour se tirer du mauvais pas où il s’était mis.

      – Jamais, s’écria-t-il, jamais je ne me battrai avec M.  Darcy qui m’inspire la plus vive sympathie. J’aime mieux convenir que j’ai eu tort d’user de son nom.

      – Pardon! cela ne suffit pas. Il faudrait encore m’apprendre pourquoi vous en avez usé, ou plutôt abusé.

      – Vous l’exigez? Eh bien, quoi qu’il en coûte à mon amour-propre médical de vous faire cet aveu, sachez que je désirais depuis longtemps compter madame d’Orcival au nombre de mes clientes; elle avait de très belles relations, et elle pouvait m’être fort utile pour me lancer dans un monde où les névroses sont très fréquentes. Malheureusement, je ne la connaissais pas et je n’osais pas demander à M.  Darcy de me présenter. Quand j’ai appris qu’elle venait de rompre avec lui, j’ai eu la fâcheuse idée d’essayer d’une supercherie qui me semblait innocente. J’ai été doublement puni de mon imprudence, car je n’ai pas obtenu mes entrées chez la dame, et j’ai offensé un homme que je tiens en grande estime. Veuillez lui dire que je suis désolé de ce qui s’est passé, et que je le prie d’accepter mes excuses.

      – C’est quelque chose, mais ce n’est pas assez. Darcy vous demandera des excuses écrites.

      – Je les écrirai sous votre dictée, si vous jugez que ce soit nécessaire pour effacer toute trace de mésintelligence entre votre ami et moi.

      En ce moment, le docteur imitait les marins qui jettent une partie de la cargaison à l’eau pour alléger le navire battu par la tempête, et le sacrifice de son honneur ne lui coûtait guère, pour éviter de dire la vérité sur le motif de sa visite à Julia. Il aurait accepté bien d’autres humiliations, plutôt que de livrer le secret de ses anciennes relations avec Golymine. Mais il se trompait en croyant qu’il en serait quitte à si bon marché.

      Nointel pensait:

      – La platitude de ce drôle passe tout ce que j’imaginais, et je ne tirerai rien de lui par les moyens détournés. Il ment avec un aplomb superlatif et une désinvolture étonnante. Pour l’abattre, pour le mettre sous mes pieds, il faut que je frappe plus fort.

      – C’est dit, n’est-ce pas, capitaine? reprit Saint-Galmier; je ferai amende honorable, sous telle forme qu’il vous plaira, et vous vous chargerez de me remettre dans les bonnes grâces de M.  Darcy.

      – Non pas, répliqua Nointel. Darcy se contentera de la lettre que vous allez lui écrire, Darcy ne vous forcera point à vous battre, – ce serait trop difficile, – il gardera même le silence sur cette affaire, qui, si elle venait à s’ébruiter, nuirait beaucoup à votre clientèle… et à votre considération, mais ne vous flattez pas qu’il l’oubliera. Entre nous, docteur, je crois qu’il ne vous saluera plus.

      – Quoi! il attacherait tant d’importance à une légèreté de ma part! Je ne me consolerai jamais d’avoir perdu, par ma faute, des relations dont je m’honorais. J’espère que, du moins, vous, cher monsieur, vous ne me tiendrez pas rigueur.

      Le capitaine, au lieu de répondre, se leva et se mit à se promener dans le cabinet, en sifflant l’air de la Casquette. Saint-Galmier, surpris et inquiet, se leva aussi et essaya d’une diversion.

      – Vous regardez cette Madeleine au désert, dit-il en montrant une grande toile qui faisait vis-à-vis au buste d’Hippocrate, père de la médecine. C’est une belle œuvre, quoiqu’elle ne soit pas signée. On l’attribue au Carrache. Une de mes clientes m’en fit cadeau l’année dernière.

      – Pour vous remercier de l’avoir guérie d’une névrose. Ah! c’est une agréable profession que la vôtre, et je conçois que vous teniez à l’exercer. Mais, dites-moi, est-ce que Simancas les soigne aussi, les névroses?

      – Simancas! comment?… je ne comprends pas.

      – Je vous demande cela parce que votre alcoolisé de tout à l’heure avait l’air de le connaître.

      – Vous plaisantez, capitaine.

      – Pas du tout. Ce client récalcitrant parlait d’un Péruvien. Or, il n’y a pas beaucoup de Péruviens à Paris. Je me rappelle même très bien ce qu’il disait en maugréant contre vous et contre ce Péruvien qui ne peut être que votre ami Simancas. Il disait: On me renvoie, on me casse aux gages, mais ça ne se passera pas comme ça. J’irai trouver le commissaire, et je lui raconterai tout.

      – Il est impossible que vous ayez entendu cela… et d’ailleurs ce sont des paroles qui n’ont pas de sens…

      – Mais si, mais si. L’aimable ivrogne a tenu encore d’autres discours. Il a ajouté qu’on l’enverrait sans doute au-delà des mers, mais qu’il n’irait pas tout seul. Il prétend que vous serez trois à faire la traversée.

      – Vous savez bien que cet homme est fou, s’écria Saint-Galmier qui verdissait à vue d’œil.

      – S’il l’est, je vous conseille de le faire enfermer le plus tôt possible, dit tranquillement Nointel. Si vous laissez ce gaillard-là en liberté…

      »Tiens! on frappe. Est-ce que ce serait lui qui revient par les petites entrées?

      Le docteur tressaillit, et courut à la porte intérieure, probablement dans l’intention de la fermer au verrou.

      On venait d’y frapper trois coups espacés d’une certaine façon.

      Il arriva trop tard. La porte s’ouvrit et le général Simancas entra d’un pas discret dans le cabinet de son ami.

      Saint-Galmier aurait donné toute sa clientèle pour sortir de la pénible situation où il se trouvait, et en toute autre circonstance, l’arrivée d’un auxiliaire lui eût été fort agréable, mais précisément Simancas venait d’être mis en cause par Nointel, et sa présence ne pouvait que compliquer les choses. Aussi le malheureux


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