Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Vol. 6. Aubenas Joseph-Adolphe

Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Vol. 6 - Aubenas Joseph-Adolphe


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lui: Sa Majesté l'embrassa tout transporté de joie, et lui donna une abbaye de douze mille livres de rente, vingt mille livres de pension à son frère, et le gouvernement d'Aire, avec mille et mille louanges qui valent mieux que tout le reste. C'est ainsi que le grand siége de Maestricht est fini, et que Pasquin n'est qu'un sot… On loue, à bride abattue, M. de Schomberg: on lui fait crédit d'une victoire, en cas qu'il eût combattu, et cela produit tout le même effet. La bonne opinion qu'on a de ce général est fondée sur tant de bonnes batailles gagnées, qu'on peut fort bien croire qu'il auroit encore gagné celle-ci; M. le Prince ne met personne dans son estime à côté de lui116.» Par les transports de Louis XIV, on peut juger de la sincérité de cette philosophie, de cette résignation, si vivement relevée par le gouverneur de son fils.

      A quinze jours de là, son patriotisme fut mis à une rude épreuve par la prise de Philisbourg, qui se rendit au jeune duc de Lorraine, après soixante-dix jours de tranchée ouverte. «Philisbourg est enfin pris (écrit madame de Sévigné, un peu décontenancée et faisant à son tour acte de flatterie et de prudence épistolaire); j'en suis étonnée; je ne croyois pas que nos ennemis sussent prendre une ville; j'ai d'abord demandé qui avoit pris celle-ci, et si ce n'étoit pas nous; mais non, c'est eux117.» La Fare, après avoir accordé à du Fay cette louange, «qu'il défendit la place autant qu'elle pouvoit se défendre,» ajoute «qu'il ne se rendit, à la fin, que par un ordre du roi118.» Dans les lettres qui suivent, madame de Sévigné prend à tâche de ne plus parler de cette perte. Bussy, en homme du métier, estime la défense du gouverneur de Philisbourg à l'égal d'une victoire: «Enfin, mande-t-il au président Brulart à Dijon, voilà Philisbourg rendu; ce n'est pas la faute de du Fay. La plus grande part du monde, qui ne juge des choses que par les événements, estimera bien plus les gouverneurs de Grave et de Maëstricht que celui de Philisbourg; mais ceux qui entrent dans le détail des affaires, et qui ne s'amusent pas aux apparences, loueront autant le dernier, et le croiront aussi digne de récompense que les autres.» Mais ce déterminé courtisan, qui ne sait que flatter ou mordre à outrance, se garde bien de s'arrêter en si beau chemin: «Pour ce qui regarde le roi, je trouve qu'en perdant Philisbourg, il ne perd pas tant que les ennemis, car toutes les forces de l'Allemagne se sont presque ruinées en prenant cette place, et au moins y ont-elles employé toute une campagne119

      L'orage de l'opinion éclata sur le maréchal de Luxembourg, qui n'avait pas su ou n'avait pas pu empêcher cet échec. «On dit (répète malicieusement madame de Sévigné) que M. de Luxembourg a mieux fait l'oraison funèbre de M. de Turenne que M. de Tulle, et que le cardinal de Bouillon lui fera donner une abbaye: tout cela sans préjudice des chansons120.» Luxembourg sut bien, dans la suite, réparer cette fatalité ou cette faute, et ses victoires lui obtinrent la faveur publique, qui lui avait manqué à ses débuts.

      Le reste de la campagne se passa en opérations purement stratégiques: il n'y eut plus ni siége ni combat, et enfin les armées reprirent leurs cantonnements.

      CHAPITRE III

      1676

      Madame de Sévigné se rend aux eaux de Vichy. – Elle passe par Moulins, et va faire une station au couvent de la Visitation, dans la chambre où sa grand'mère est morte. – Retour sur sainte Chantal; sa biographie fait partie de ces mémoires. – Son intime liaison avec saint François de Sales. – Le frère de l'évêque de Genève épouse l'une de ses filles, et il se trouve ainsi l'oncle de madame de Sévigné. – Soins donnés par madame de Chantal à la jeune Marie de Rabutin. – Mort de la sainte dans les bras de la duchesse de Montmorency.

      Après un mois de séjour à Paris, madame de Sévigné se disposa à se rendre aux Eaux de Vichy, à qui elle allait demander son entière guérison. Son médecin le plus volontiers consulté, le vieux de Lorme, avait voulu l'envoyer à l'établissement rival de Bourbon, que, depuis quelques années, il cherchait à mettre en crédit, par un sentiment, dit-on, fort peu désintéressé, car on l'accusait de recevoir un présent pour chaque malade qu'il y attirait121. «Le vieux de Lorme, dit-elle à sa fille, veut Bourbon, mais c'est par cabale… L'expérience de mille gens, et le bon air, et point tant de monde, tout cela m'envoie à Vichy122

      Madame de Sévigné quitta Paris le lundi 11 mai. Elle emmenait l'une de ses meilleures amies, «la bonne d'Escars,» très-agréablement et fort à l'aise, «dans son grand carrosse,» avec cette indulgente compagne, toujours soigneuse de lui donner la réplique pour parler sans réserve de madame de Grignan. Dans les moments de répit, elles admirent «les belles vues dont elles sont surprises à tout moment.» Sa rivière de Loire, qu'elle a maintes fois suivie en allant en Bretagne et qu'elle retrouve à Nevers, paraît à madame de Sévigné quasi aussi belle qu'à Orléans. «C'est un plaisir, ajoute-t-elle avec ce style qui anime tout, de trouver en chemin d'anciennes amies123

      Madame de Montespan, qui suivait la même route pour se rendre à Bourbon, voyageait bien d'une autre sorte. Son train de reine indiquait avec ostentation qu'elle avait entièrement repris sa place. «Nous suivons les pas de madame de Montespan (écrit, le 15 mai, de Nevers, madame de Sévigné); nous nous faisons conter partout ce qu'elle dit, ce qu'elle fait, ce qu'elle mange, ce qu'elle dort. Elle est dans une calèche à six chevaux, avec la petite de Thianges (sa nièce); elle a un carrosse derrière, attelé de même, avec six femmes; elle a deux fourgons, six mulets et dix ou douze hommes à cheval, sans ses officiers; son train est de quarante-cinq personnes. Elle trouve sa chambre et son lit tout prêts; elle se couche en arrivant, et mange très-bien. Elle fut ici au château, où M. de Nevers étoit venu donner ses ordres, et ne demeura point pour la recevoir. On vient lui demander des charités pour les églises et pour les pauvres; elle donne partout beaucoup d'argent et de fort bonne grâce. Elle a tous les jours du monde un courrier de l'armée; elle est présentement à Bourbon. La princesse de Tarente, qui doit y être dans deux jours, me mandera le reste, et je vous l'écrirai124.» Pour la femme d'un gouverneur de province, une beauté de Paris transplantée à l'autre bout de la France, tous ces détails de la favorite, ce bulletin des amours royales, étaient un chapitre important que madame de Grignan recommandait fort à sa mère: dans sa cour d'Aix, ou dans son château de Grignan, il fallait qu'elle fût à même de dire ou de taire ce qui devait être dit ou gardé pour soi.

      Deux jours après, madame de Sévigné arriva à Moulins, où elle se proposait de prendre quelque repos. Il ne paraît pas qu'elle fût déjà venue dans cette ville. Moulins avait cependant un titre tout particulier à ses yeux. C'était là, dans le couvent de la Visitation fondé par ses soins que la bienheureuse de Chantal, sa grand'mère, avait terminé sa sainte vie. Les divers monastères des Filles de Sainte-Marie de la Visitation étaient les stations favorites de madame de Sévigné dans le cours de ses voyages. Elle ne pouvait donc oublier la maison consacrée, trente-cinq ans auparavant, par la mort de son aïeule. Elle y fut reçue comme elle l'était toujours par des religieuses qui, en souvenir de la sainteté de leur fondatrice, se plaisaient à l'appeler une relique vivante125. Elle voulut aller se renfermer dans la cellule où la sainte avait rendu le dernier soupir, et sa lettre à sa fille est ainsi datée: De la Visitation, dans la chambre où ma grand'mère est morte; dimanche, après vêpres, 17 mai 1676126. Là, recueillie dans sa foi de chrétienne et son culte de famille, elle put faire un retour sur ce passé récent encore, qu'elle avait connu; elle dut évoquer ce prodige de charité, d'abnégation et d'humilité, qu'il lui avait été donné à elle-même d'admirer, car elle était déjà dans sa seizième année, lorsque sainte Chantal, à son dernier voyage, qui précéda sa mort seulement de quelques mois, vint revoir à Paris ce qui restait de sa famille.

      L'œuvre de M. le baron Walckenaer ne contient pas, sur la baronne de Chantal, un chapitre


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<p>116</p>

SÉVIGNÉ, lettre du 2 septembre 1676, t. IV, p. 448-453.

<p>117</p>

SÉVIGNÉ, lettre du 21 septembre 1676, t. IV, p. 478.

<p>118</p>

Mémoires du marquis de La Fare, coll. Michaud, t. XXXII, p. 284.

<p>119</p>

Correspondance du comte de Bussy (lettre du 19 septembre 1676), t. III, p. 185.

<p>120</p>

SÉVIGNÉ, lettre du 23 octobre 1676, t. V, p. 46.

<p>121</p>

Historiettes de Tallemant des Réaux; éd. in-12, t. V, p. 232.

<p>122</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (24 avril et 6 mai 1676), t. IV, p. 269 et 287.

<p>123</p>

SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p 295.

<p>124</p>

SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 296.

<p>125</p>

SÉVIGNÉ (lettre du 24 juin 1676), t. IV, p. 319.

<p>126</p>

SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p 298.