Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Vol. 6. Aubenas Joseph-Adolphe

Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Vol. 6 - Aubenas Joseph-Adolphe


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fait tirer le canon de la ville, dont un coup a tué un garde de MONSIEUR à côté de son maître90.» On peut penser que dans cette reconnaissance, que devait rendre inquiétante le souvenir de Turenne, MONSIEUR, par convenance et par dévouement, ne se tenait pas très-loin de son frère, et que ses propres gardes n'étaient pas loin de lui.

      Le roi parti, la campagne, si douce jusque-là91 se compliqua bientôt. Les deux armées ne cherchèrent plus à se joindre; chacun s'attacha à une entreprise particulière: l'armée française vint mettre le siége devant Aire, pendant que les coalisés, par une manœuvre hardie, allaient assiéger Maëstricht, pris par Louis XIV lui-même en 1674, et où commandait l'énergique marquis de Calvo92. En même temps l'armée impériale, en Allemagne, investissait Philisbourg, malgré les efforts du maréchal de Luxembourg, chargé de protéger cette tête de pont que la France s'était donnée sur les terres de l'Empire.

      Les inquiétudes de madame de Sévigné s'accrurent avec les complications que cette double situation ne tarda pas à amener. Elle avait beaucoup de parents et d'amis à cette guerre, et la vie se passait à appréhender de sinistres nouvelles, et à se réjouir chaque jour d'en avoir été pour ses appréhensions. Une mort cependant vint l'attrister, non l'affliger, car elle ne connaissait nullement le marquis de Coligny, gendre de Bussy, qui, à peine âgé de trente ans, mourut de maladie à Condé, le 6 du mois de juillet. Le marquis de Bussy, qui se trouvait avec lui, annonce cette perte à son père par cette courte et sèche lettre: «On ne vous a pas mandé, Monsieur, la maladie de M. de Coligny, de peur d'alarmer ma sœur, et l'on ne croyoit pas qu'elle fût dangereuse. Cependant il vient de mourir par la gangrène, qui lui avoit paru au pied, et qui a couru par tout le corps: cela marque une étrange corruption de sang. Nous l'allons faire enterrer dans le chœur de la grande église, avec une tombe sur laquelle son nom sera inscrit93.» Le général de ce malheureux époux, qui mourait ainsi dès la première année de son mariage, laissant une femme enceinte de quelques mois, et qu'il aimait plus à coup sûr qu'il n'en était aimé, en écrit à Bussy avec plus de détails, de convenance et de sensibilité94. Les regrets du beau-père furent médiocres, et la veuve ne fut pas plus difficile à consoler. Décidément, ce n'est pas par le cœur que brille cette branche de la famille des Rabutin.

      La nouvelle du siége de Maëstricht et la vigueur avec laquelle cette place était poussée, produisirent à Paris une émotion qui «faisoit dire aux bourgeois qu'on alloit y envoyer M. le Prince95.» Il fut aussi question, un instant, du retour du roi à l'armée. Toutefois on se contenta d'activer le siége d'Aire, afin d'opérer une diversion, et d'y attirer une partie de l'armée ennemie. On veut prendre cette ville, dit madame de Sévigné, afin de jouer aux échecs, dans le cas où Maëstricht succomberait: «ce sera pièce pour pièce96.» Et elle ajoute avec une pointe de philosophie railleuse qu'elle retrouve dans son cœur de mère: «Il y avoit un fou, le temps passé, qui disoit, dans un cas pareil: changez vos villes de gré à gré, vous épargnerez vos hommes. Il y avoit bien de la sagesse à ce discours97.» On espérait néanmoins, sauver Maëstricht; mais on s'attendait à perdre Philisbourg. «Pour l'Allemagne, continue madame de Sévigné, M. de Luxembourg n'aura guère d'autre chose à faire qu'à être spectateur avec trente mille hommes de la prise de Philisbourg98. «Cependant madame de Sévigné n'est point de ces gens qui se soumettent d'avance à cet échec qui menace nos armes: «Je suis persuadée, dit-elle à quinze jours de là, que M. de Luxembourg battra les ennemis et qu'ils ne prendront point Philisbourg99.» A la fin de juillet, elle adresse à sa fille, en quelques lignes, ce bulletin d'une situation qui tarde à se dénouer et cause aux mères, aux femmes et aux sœurs de fréquentes alternatives de crainte et d'espérance: «Celles qui ont intérêt à tout ce qui se passe en Flandre et en Allemagne sont un peu troublées. On attend tous les jours que M. de Luxembourg batte les ennemis, et vous savez ce qui arrive quelquefois. On a fait une sortie de Maëstricht, où les ennemis ont eu plus de quatre cents hommes de tués. Le siége d'Aire va son train; on a envoyé le duc de Villeroi et beaucoup de cavalerie dans l'armée du maréchal d'Humières (chargé du siége). Je crois que mon fils en est… C'est M. de Louvois qui a fait avancer, de son autorité, l'armée de M. de Schomberg fort près d'Aire, et a mandé à Sa Majesté qu'il croyoit que le retardement d'un courrier auroit pu nuire aux affaires. Méditez sur ce texte100.» C'était là, en effet, un acte nouveau et hardi et qui indiquait bien tout ce que Louvois pouvait oser, tout ce que son maître voulait lui permettre.

      Le succès toutefois pouvait seul justifier cette conduite. Le 31 juillet, la ville ouvrit ses portes, et madame de Sévigné rend, en ces termes, compte à sa fille de cet heureux résultat auquel avait contribué pour sa part de froide bravoure le guidon ennuyé, mais, à ses heures, intrépide, des gendarmes-Dauphin: «Cependant Aire est pris. Mon fils me mande mille biens du comte de Vaux101, qui s'est trouvé le premier partout; mais il dénigre fort les assiégés, qui ont laissé prendre, en une nuit, le chemin couvert, la contrescarpe, passer le fossé plein d'eau, et prendre les dehors du plus bel ouvrage à corne qu'on puisse voir, et qui enfin se sont rendus le dernier jour du mois, sans que personne ait combattu. Ils ont été tellement épouvantés de notre canon, que les nerfs du dos qui servent à se tourner, et ceux qui font remuer les jambes pour s'enfuir, n'ont pu être arrêtés par la volonté d'acquérir de la gloire; et voilà ce qui fait que nous prenons des villes. C'est M. de Louvois qui en a tout l'honneur; il a un plein pouvoir, et fait avancer et reculer les armées, comme il le trouve à propos. Pendant que tout cela se passoit, il y avoit une illumination à Versailles, qui annonçoit la victoire; ce fut samedi, quoiqu'on eût dit le contraire. On peut faire les fêtes et les opéras; sûrement le bonheur du roi, joint à la capacité de ceux qui ont l'honneur de le servir, remplira toujours ce qu'ils auront promis. J'ai l'esprit fort en liberté présentement du côté de la guerre102

      Les appréhensions de madame de Sévigné, au sujet de son fils, avaient été bien justifiées par la conduite de celui-ci, plus soigneux toutefois, on vient de le voir, de faire valoir auprès de sa mère les actions de ses camarades que ses propres faits, que celle-ci dût apprendre par d'autres voies. Désolé de languir dans les grades subalternes, le baron de Sévigné, qui s'était déjà distingué à Senef, avait voulu, en recherchant quelque action d'éclat, forcer la faveur du roi et du ministre, qui semblait obstinément le fuir. «Le baron se porte très-bien, écrit sa mère le 6 août; le chevalier de Nogent, qui est venu apporter la nouvelle de la prise d'Aire, dit qu'il a été partout, et qu'il étoit toujours à la tranchée, partout où il faisoit chaud, et où, du moins, il devoit faire de belles illuminations, si nos ennemis avoient du sang aux ongles; il l'a nommé au roi comme un de ceux qui font paroître beaucoup de bonne volonté103.» Le 7, elle dit encore: «Le chevalier de Nogent a nommé le baron au roi, au nombre de trois ou quatre qui ont fait au delà de leur devoir, et en a parlé encore à mille gens104.» Enfin, le 19, elle ajoute: «Le chevalier (de Grignan) me mande que le baron a fait le fou à Aire; il s'est établi dans la tranchée et sur la contrescarpe, comme s'il eût été chez lui. Il s'étoit mis dans la tête d'avoir le régiment de Rambures (gens de pied), qui fut donné, à l'instant, au marquis de Feuquières, et dans cette pensée, il répétoit comme il faut faire dans l'infanterie105.» Vain espoir! Sévigné en fut encore pour sa bonne volonté, à laquelle le maréchal de Schomberg, qui le traitait en ami, se plut à rendre justice, et, pas plus que le chevalier de Grignan qui, au reste, dans cette campagne, eut peu d'occasions de se produire, il n'obtint un avancement impatiemment attendu et, il faut le dire, pleinement mérité. Louvois ne les aimait ni l'un ni


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<p>90</p>

Correspondance de Bussy, t. III, p. 149. (Lettre du 23 avril 1676.)

<p>91</p>

SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 351.

<p>92</p>

Conférez WALCKENAER, t. IV, p. 286.

<p>93</p>

Correspondance de Bussy-Rabutin, t. III, p. 165.

<p>94</p>

Lettre du maréchal de Schomberg au comte de BUSSY-RABUTIN dans la Correspondance de celui-ci, t. III, p. 166.

<p>95</p>

SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 377.

<p>96</p>

SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 367 et 385.

<p>97</p>

SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 367.

<p>98</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (6 juillet 1676), t. IV, p. 366.

<p>99</p>

SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 389.

<p>100</p>

SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 403.

<p>101</p>

Fils aîné du surintendant Fouquet.

<p>102</p>

SÉVIGNÉ, lettre du 5 août 1676, t. IV, p. 409.

<p>103</p>

SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 414.

<p>104</p>

SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 415.

<p>105</p>

SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 427.