Un Cadet de Famille, v. 3/3. Trelawny Edward John

Un Cadet de Famille, v. 3/3 - Trelawny Edward John


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reprîmes d'un pas rapide, pour regagner nos bateaux, le chemin que nous avions parcouru, espérant arriver en peu de temps assez près du schooner pour l'avertir par un signal du malheur qui nous menaçait, car naturellement nous pensions que les natifs s'étaient échelonnés sur la route pour nous attaquer. Nous fîmes les trois quarts du chemin sans être arrêtés, sinon sans être vus; car de temps en temps la tête d'un sauvage apparaissait derrière un arbre ou dans le creux d'un rocher, et ces visions rapides étaient suivies d'un farouche hurlement. Cet éloignement rendait nos ennemis peu dangereux, et Adoa, qui courait près de moi, guettait sans relâche les mouvements des natifs pour m'avertir de leurs faits et gestes. À chaque pas que nous faisions en avant se révélaient les terribles difficultés que nous avions à vaincre. Outre le réel danger du chemin, il y avait celui d'une attaque impossible à soutenir sans désavantage. Nous arrivâmes enfin à un angle de la rivière, et nous fûmes obligés de la traverser. Grâce au stimulant de la peur, le poison ne produisit sur mes hommes qu'une fébrile agitation; il faut ajouter encore que, par elle-même, la drogue était sans doute peu dangereuse. Toujours est-il que personne ne s'en plaignit en fuyant l'attaque des Javanais.

      Je conduisis mes hommes à travers la rivière en sondant le chemin à l'aide de ma lance. L'eau était peu profonde; mais le fond de la rivière était si sale, si glissant et si boueux, que nous avions la plus grande peine à nous soutenir.

      – Malek, ils viennent, me dit Adoa.

      Je mis ma carabine sur mon épaule, et je criai aux hommes qui se trouvaient en arrière de hâter le pas.

      Les natifs sortirent tumultueusement de leur embuscade, déchargèrent leurs mousquets et coururent sur les bords de la rivière. Dans toutes les guerres sauvages, le premier cri et la première décharge sont un excitant et un moyen d'inspirer la terreur. Les sauvages ressemblent aux chiens glapissants qui chassent celui qui se sauve, mais qui fuient devant le fort. En conséquence, si la première attaque des sauvages est reçue avec une courageuse fermeté, ils sont surpris, intimidés, et quelquefois vaincus. Voyant que nous étions fermes, et qu'à notre tour nous nous disposions à faire feu, les Javanais s'arrêtèrent sur les bords de la rivière. Je fis décharger nos mousquets sur eux, et j'eus le plaisir de les voir courir épouvantés dans la direction des jungles. Cette fuite nous donna le temps de traverser sans perte d'hommes le gué de la rivière.

      Les natifs revinrent sur leurs pas et nous suivirent en proférant des menaces de mort et d'horribles malédictions; de minute en minute, le nombre de nos ennemis s'augmentait, et au moment où nous atteignîmes la partie la moins fourrée du jungle, Adoa me dit:

      – Malek, je vois des cavaliers qui viennent au-devant de nous.

      L'odeur de la mer parvint jusqu'à nous, et cette odeur âcre me donna une sensation plus délicieuse que celle apportée journellement par les parfums du tabac ou le fumet d'un verre de vin de Tokay.

      – Courage, mes garçons, criai-je à mes hommes, courage! La mer est en avant.

      Mes hommes coururent vers le banc de sable du haut duquel je les appelais avec plus d'empressement et d'allégresse qu'ils n'en témoignaient en montant sur les agrès pour voir la terre après un long et ennuyeux voyage. Quand nous vîmes les joyeuses girouettes aux queues d'aronde briller sur les mâts de notre schooner, lui-même encore invisible, nous jetâmes de concert un triomphant hourra, croyant un peu trop vite que nos dangers étaient passés.

      Sur la large plaine sablonneuse qui bordait la mer se trouvait une masse noire et confuse. À cette vue, les natifs poussèrent un sauvage cri de joie, et ce cri me donna la preuve que les yeux de faucon d'Adoa n'avaient point commis d'erreur en découvrant une bande de cavaliers.

      Ces cavaliers devinrent bientôt tout à fait visibles.

      Un corps d'hommes du pays, à peu près nus, nous approcha rapidement; ils étaient montés sur de petits chevaux aux allures vives, souples et légères. Le nombre de ces hommes n'était pas grand; mais, unis à ceux qui nous suivaient de près, ils avaient assez de force pour détruire les espérances des plus sages et contraindre les âmes pieuses à songer au ciel.

      Au milieu de la rivière que nous venions de traverser se trouvait un banc de sable; de vieux troncs d'arbres et des canots naufragés étaient fermement plantés dans ce banc. À notre gauche se trouvaient une surface plane, sablonneuse et une lande déserte; à notre droite, trois blocs de rochers informes qui nous cachaient la vue du schooner. Je pris rapidement possession du banc de la rivière, et, les pieds bien affermis sur un terrain solide, nous attendîmes l'attaque. J'avais toujours mes quatorze hommes, et, quoique à la tête d'une bien petite troupe, j'eus l'espérance, grâce à la grande quantité de munitions qui remplissait nos poches, que nous arriverions, sinon à détruire, du moins à mettre en fuite nos sauvages ennemis.

      CI

      Les natifs s'avancèrent vers nous en criant et en hurlant, mais la décharge de leurs mousquets ne nous atteignit pas. Ces cavaliers féroces et sauvages étaient conduits par leur prince, monté sur un petit coursier fougueux, dont la robe était d'un rouge vif; la crinière et la queue de ce cheval voltigeaient dans l'air comme voltigent des banderoles sous les caresses de la brise. Son cavalier était le seul qui portât un turban et qui fût convenablement habillé. L'énergique férocité du regard jeté par le prince sur notre petite troupe me fit souvenir de mon violent ami de Bornéo. Inspiré par le démon qu'il portait sur son dos, le petit cheval était sans cesse en mouvement; il semblait avoir du feu dans les naseaux et des ailes dans les jarrets. Le prince se précipita dans l'eau, déchargea son pistolet sur un de mes hommes, jeta sa lance à la tête d'un autre, s'élança de nouveau sur le rivage, guida ses cavaliers, cria contre ceux qui cherchaient à fuir, se rejeta dans la rivière, et pendant le cours de ses fantastiques évolutions, le petit cheval hennissait, bondissait, galopait; il ne lui manquait que la parole. Caché derrière le tronc d'un arbre, je fis plusieurs fois partir ma carabine en visant le prince; mais une hirondelle dans l'air ou une mouette balancée par une vague n'aurait pas été un but plus difficile à atteindre. La position que nous avions prise était si avantageuse et notre feu était si parfaitement dirigé, que, malgré ses efforts, le prince météore ne pouvait parvenir à nous chasser du banc de sable. Le succès cependant n'était pas certain, car nos munitions étaient fortement diminuées; deux de mes hommes avaient été atteints par les balles meurtrières, et deux autres étaient assez grièvement blessés. En revanche, nous avions fait un grand dégât parmi les natifs, dont la situation fort exposée nous donnait l'avantage de frapper toujours juste. La cavalerie, qui agissait avec la plus grande intrépidité en se précipitant dans la rivière au-dessus et au-dessous de nous, souffrait de notre feu, mais elle souffrait davantage encore de l'inégalité du terrain de la rivière, sur lequel les chevaux trébuchaient à chaque pas. D'ailleurs ils n'avaient point d'armes à feu, et le prince seul se servait de pistolets.

      Nous fûmes bientôt forcés de faire l'impossible pour gagner le rivage, et ce rivage était gardé par une foule de natifs qui hurlaient d'une manière épouvantable. Dans cette situation périlleuse, épuisé et presque mort de fatigue, je fis passer mes hommes un à un sur le banc opposé. Quand les cavaliers, bien diminués par nos coups, s'aperçurent de cette manœuvre, ils se dirigèrent au triple galop vers la mer, dans l'intention d'intercepter notre passage.

      Le premier homme qui débarqua fut tué par la pierre d'une fronde, et notre troupe fut réduite à neuf personnes, et cela en me comptant. Afin d'apaiser la soif ardente qui leur brûlait la gorge, mes hommes avaient bu l'eau saumâtre de la rivière; cette eau leur donnait un mal de cœur si violent, qu'ils chancelaient comme des hommes ivres. Nous nous trouvions à un mille de la mer, et en nous tenant rapprochés les uns des autres, nous réussîmes à traverser le gué. Les natifs épiaient nos mouvements avec tant de persistance, que nous étions obligés de faire halte à chaque instant pour leur donner une volée de mousquets. Enfin, après une demi-heure de marche, nos yeux distinguèrent parfaitement le schooner. Cette vue redoubla notre courage, et nous hâtâmes le pas vers notre cher vaisseau. Tout à coup un nuage de sable obscurcit nos regards, et quand le vent l'eut dispersé, je vis le prince vampire paraître comme un centaure dans le mirage vaporeux produit par le sable blanc. La manœuvre du prince nous enfermait entre deux camps. Je jetai vivement


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