Un Cadet de Famille, v. 3/3. Trelawny Edward John

Un Cadet de Famille, v. 3/3 - Trelawny Edward John


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aussi bien que la mer, la terre appartient aux hommes.

      Ce raisonnement était l'invariable réponse que j'obtenais de mes hommes lorsque je les sermonnais sur la brutalité avec laquelle ils assaillaient, volaient et massacraient les natifs.

      L'impossibilité dans laquelle j'étais de me faire tout à fait obéir amenait de si grandes querelles, que je me vis contraint de récompenser les plus cruellement battus, sans pouvoir punir les tourmenteurs.

      Un jour cependant il me fut rapporté que dans une nouvelle bataille le tort était du côté des villageois; je ne pus connaître toute la vérité, mais je craignis une revanche sanglante; pour l'éviter, je pris sur un bateau quelques objets de valeur pour le chef et je me dirigeai vers le village. Mon cadeau fut assez mal accueilli; cependant, après une heure d'explications, je réussis à pallier les torts de mes hommes, et nous nous quittâmes amis. Je tenais beaucoup à cette réconciliation, car l'inimitié des natifs eût pu me causer de grandes pertes de temps, d'hommes et de provisions.

      Quand mes préparatifs de départ furent achevés, le chef javanais vint à bord du schooner, et m'invita à l'accompagner dans une partie de l'île où se trouvait une grande quantité de daims et de sangliers. J'avais déjà manifesté le désir de faire une partie de chasse, mais le chef en avait toujours différé la réalisation en disant qu'il était bon d'attendre les jours pluvieux, parce que la pluie chasse les animaux de la montagne vers la plaine. Comme un violent orage venait d'inonder la terre, l'invitation du chef me parut le résultat d'une promesse faite. Je lui donnai donc avec le plus grand plaisir l'heure de notre départ pour cette vaillante promenade. D'un air affectueux et sincère, le chef me supplia de ne pas faire naître parmi son peuple des craintes jalouses en emmenant avec moi une grande quantité d'hommes armés.

      Je m'engageai à suivre ses conseils sur ce point, et nous nous séparâmes en nous donnant rendez-vous pour le lendemain.

      XCIX

      J'étais réellement sans crainte, et aucune méfiance ne pénétra mon esprit. Néanmoins je pris les précautions les plus minutieuses pour assurer le salut de mes hommes et le mien.

      Je débarquai le lendemain, accompagné de quatorze marins, tous fidèles, braves, courageux et bien armés. En outre, j'ordonnai aux bateaux qui nous avaient conduits de s'éloigner du rivage, de jeter le grappin, et d'avoir la prudence de ne point adresser la parole aux natifs.

      Le chef m'attendait accompagné seulement de cinq hommes, armés de poignards et de lances de sanglier.

      Nous pénétrâmes dans l'intérieur du pays en suivant les sinuosités de la petite rivière, que la pluie d'orage avait rendue jaunâtre et boueuse. Nous fûmes obligés plusieurs fois de traverser la rivière à gué, et, avant d'effectuer ce passage, je dis à mes hommes de mettre dans leurs casquettes les balles et la poudre, et de ne point mouiller leurs armes. L'expérience m'avait rendu vigilant et soupçonneux, si bien que je remarquai plusieurs choses qu'une personne moins attentionnée eût laissées passer inaperçues. Le chef javanais causait souvent avec ses hommes, souvent encore il voulait nous faire traverser la rivière dans des endroits où elle était boueuse et remplie de trous profonds. Tout à coup, et sans m'expliquer les causes de ce changement, il se mit à l'arrière de la troupe et voulut diriger notre marche d'un côté opposé à celui que nous devions suivre. Cette conduite éveilla mes soupçons, et sans rien dire je me mis à surveiller tous les mouvements du chef. Afin de laisser croire au Javanais que j'avais en lui la plus entière confiance, je le suivis sans observation. Mais j'avais le soin de noter dans ma mémoire les localités que nous traversions, ainsi que les gués de la rivière. Le danger dans lequel j'avais placé Zéla en l'emmenant avec moi à la chasse aux tigres m'avait donné une cruelle leçon de prudence, et l'idée de la savoir seule, quoique en sûreté sur le schooner, me rendait sage, sensé, et surtout fort méfiant. Grâce aux importunités de ma chère petite fée, j'avais pris avec nous Adoa la Malaise. Cette enfant était vive, adroite et rusée comme un lutin. On pouvait avoir en son instinct sauvage la plus entière confiance. Adoa ne pensait, n'aimait personne au monde que sa chère Zéla; pour Zéla elle eût donné sa vie. La seule chose qui l'attachât à moi était l'amour que me portait ma femme. Adoa avait à peu près le même âge que sa maîtresse; mais il n'y avait pas dans le monde deux êtres moins ressemblants: la fille malaise était rabougrie dans sa croissance, large et osseuse; son front bas était à moitié caché par des cheveux noirs, rudes et qui tombaient en mèches roides sur sa figure plate et d'une couleur bistrée. Les petits yeux bruns d'Adoa semblaient, par la distance qui les séparait, être tout à fait indépendants l'un de l'autre et pouvaient regarder à la fois à bâbord et à tribord, au nord et au sud. Ces yeux vifs, brillants, avaient la vigilance de ceux d'un serpent; mais la ressemblance avec ce hideux reptile s'arrêtait là, car la pauvre petite Adoa était la plus fidèle, la plus aimante et la plus dévouée des servantes. J'aimais tant cette sauvage créature que je lui avais donné la place haute et importante de tchibookgée, et elle était sans rivale dans l'art de faire un chilau, un hookah, ou pour préparer un callian, toutes choses qui sont difficiles à bien faire.

      Nous continuâmes notre route le long de la rivière, et, après être arrivés sur une hauteur escarpée et pleine de rochers, notre chef me proposa de nous arrêter dans quelques huttes situées sur la hauteur, pour nous y reposer un instant et nous rafraîchir avec du café et des mangoustans. «Pendant la durée de cette petite halte, ajouta le chef, deux de mes gens iront à la découverte du gibier.» Cette proposition, qui semblait amoindrir les forces protectrices du chef, dissipa entièrement mes craintes. On nous apporta du lait, des fruits et du café. Comme j'étais un grand épicurien, je dis à Adoa de surveiller la préparation de la tasse qui m'était destinée, et la jeune fille s'empressa de se rendre à mon désir.

      Nous nous étions assis dans une des huttes vides, afin d'être protégés par la toiture de cannes entrelacées contre les rayons du soleil, et pendant que, le cœur rempli du souvenir de Zéla, je fumais mon callian, mes hommes mangeaient et buvaient. Le chef s'était assis près de moi sur une natte, et la sortie de la hutte était bloquée par les trois Javanais. Je m'étais couché sur la terre, et ma tête reposait contre un des bancs de bambou que soutenait la hutte; ma main droite allait porter à mes lèvres la tasse de café posée devant moi, lorsque je fus averti par un léger mouvement de tourner la tête à gauche, vers le fond de la hutte.

      – Ne bougez pas, chut, chut!

      Ces quelques paroles, prononcées avec un accent de terreur indicible, me firent prudemment jeter un demi-regard vers l'endroit d'où la voix était sortie, et, à travers le paillasson qui formait le mur de la hutte, je distinguai le regard perçant d'Adoa.

      Je m'inclinai doucement vers la jeune fille, et sa voix haletante murmura à mon oreille:

      – Ne buvez pas le café!.. sortez de la hutte… défiez-vous… mauvaises gens!..

      Plusieurs de mes hommes s'étaient plaints du mal de cœur aussitôt après avoir absorbé le café, et je compris le vif empressement qu'avait apporté le chef en me faisant passer la tasse qui m'était destinée. Heureusement que la préparation de ma pipe, ayant occupé mon attention, m'avait fait oublier le café. Au premier mouvement que je fis pour sortir de la hutte, le chef échangea d'une manière expressive un regard avec ses hommes, et tous les yeux se fixèrent sur moi. Je n'avais ni le temps ni la possibilité de former un plan de conduite et de consulter mes gens. Je compris vite que le chef attendait du renfort pour nous attaquer; je sortis donc lestement mon pistolet, et je franchis la porte de la hutte. Le chef, armé de son poignard, voulut s'emparer de moi, mais il n'en eut ni l'adresse ni la force, car je lui brûlai la figure en déchargeant mon arme à bout portant, et mon coup de feu fut suivi du cri de guerre arabe: «Mes garçons, nous sommes trahis! suivez-moi!»

      Mes mouvements avaient été si rapides, si imprévus, que, frappés d'une terreur panique, les Javanais se précipitèrent dans les jungles.

      – Ne les poursuivez pas, dis-je à mes hommes, regardez plutôt si vos armes sont en bon état, et arrangez vos baïonnettes.

      J'appris par Adoa qu'un poison ou un narcotique avait été mis dans le café, et que le chef attendait pour nous massacrer l'arrivée


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