Un Cadet de Famille, v. 3/3. Trelawny Edward John
nos blessés avait succombé à cette énervante fatigue; il était tombé mort ou mourant. Je n'eus point la possibilité de lui porter secours. Le bruit sinistre d'un sauvage et joyeux hurlement me fit tourner la tête, et mon regard indigné rencontra le prince, dont le cheval furieux piétinait le corps du pauvre marin. À un ordre de leur chef, les cavaliers accoururent, s'approchèrent de notre lieu de refuge et nous lancèrent des pierres. Nous répondîmes à cette nouvelle attaque par des coups de mousquet. Un de nos hommes tira sur le prince; la balle l'atteignit sans doute, car son cheval s'éloigna d'un pas chancelant, et les plumes qui ornaient le turban du prince voltigèrent dans l'air.
– La mort de mon pauvre ami est vengée, pensai-je en moi-même.
Mais cet espoir ne fut pas de longue durée; car, après avoir arrêté son cheval, le prince mit pied à terre, examina l'animal, secoua la tête, et, en se remettant en selle, il reprit la direction de sa petite troupe avec autant d'empressement, mais avec moins d'ardeur et de fermeté.
Notre position devenait extrêmement périlleuse; nous n'avions plus que trois ou quatre cartouches chacun, et l'ennemi nous entourait de toute part.
Désespérés et presque morts de fatigue, nous nous préparâmes à vendre chèrement notre vie. Je songeai plus à la mort qu'à ma défense; l'image de de Ruyter traversa mon esprit; mais ce bon et triste souvenir fut bientôt chassé par celui de ma pauvre Zéla. Qu'allait-elle devenir? supporterait-elle son isolement cruel? Ces tristes pensées relevèrent mon courage; j'invoquai comme une égide protectrice le nom de ma bien-aimée, et je dis à mes hommes:
– Courage, mes garçons, nous ne sommes pas encore vaincus.
La muraille du fond de la hutte était très-élevée; nous la trouâmes avec nos baïonnettes, et de là nous vîmes que les natifs se préparaient à incendier la hutte. Nous réussîmes cependant à les chasser, mais non à éteindre le feu de bois mort et de roseaux secs qu'ils avaient déjà allumé. Devant la hutte se trouvaient des palmiers entourés par une haie de vacoua, et cet arbuste formait une haie piquante et tout à fait impénétrable. Plusieurs fois, durant la première escarmouche, je m'étais repenti d'avoir préféré la hutte à cette place, que l'entourage rendait inaccessible aux chevaux. Nous aurions eu et plus d'espace et plus de moyens d'attaque.
Le prince javanais ordonnait aux sauvages de nous empêcher de quitter la hutte. Cet ordre, dont l'exécution était notre mort, fit murmurer mes hommes, et leur mauvaise humeur retomba sur moi, car ils écoutaient faiblement mes pressantes prières; enfin, ils furent forcés de suivre mon exemple et de quitter la hutte pour se ranger en bataille dans la cour, derrière les vacouas.
CII
Au moment de commencer notre attaque, le son bas et sourd d'un canon retentit dans l'air et salua nos oreilles; c'était le schooner. L'effet produit par cette voix d'airain fut magique; mes hommes, tristes, désespérés, reprirent courage et jetèrent leurs casquettes en l'air en hurlant comme des bêtes fauves. Le canon nous annonçait du secours, et cette promesse nous rendit toutes nos forces. Un second coup traversa l'air, bondit vers le jungle et l'écho des collines en recueillit le son; ce bruit inattendu causa une terreur si grande dans la petite troupe des cavaliers qu'ils se dispersèrent. Je profitai de l'effroi des natifs pour nous jeter sous l'abri des palmiers; car, là, nous n'avions plus à craindre les atteintes du feu.
Malgré le mauvais succès de leur attaque, les natifs revinrent sur nous, guidés par le prince, dont le courage n'était point affaibli. Nous n'avions plus que cinq ou six cartouches, et tout notre espoir reposait sur nos baïonnettes. Ne voyant point arriver de secours, les sauvages nous jugèrent vaincus, car ils s'approchèrent tout à fait de la haie de vacoua, et à l'aide de leurs lances ils blessèrent plusieurs de mes hommes. Notre situation était en réalité plus désespérée que jamais, quoique la plupart des cavaliers fussent partis vers la mer; mais le prince ne nous quittait pas. Je commençai à croire que mes hommes avaient raison en disant que ce chef javanais était invulnérable: nos coups effleuraient son corps sans le blesser, sans lui faire perdre un seul instant sa sauvage vélocité. Tout à coup, les natifs se tournèrent vers la mer en jetant des cris d'épouvante; ces cris furent suivis d'une décharge de mousquets, et le doute inquiétant qui remplissait mon esprit fut dissipé: mon équipage venait à notre secours.
Notre première idée fut de courir à la rencontre de nos sauveurs, mais je ne voulus pas abandonner nos blessés. Bientôt le bonnet rouge des Arabes étincela sous les rayons du soleil; je déchargeai ma carabine, et j'entendis distinctement le cri de guerre de mes braves amis. Le prince se jeta au-devant de la troupe suivi de ses cavaliers; mais cette manœuvre ne m'inquiéta pas, je savais qu'un feu bien nourri pouvait facilement repousser les efforts du prince. Aussi, après une lutte acharnée des deux parts, mes gens avancèrent vers notre poste; dans mon impatience, je franchis l'enclos et j'encourageai d'une voix éclatante mon brave équipage. J'allais courir jusqu'à lui, quand je vis paraître une forme légère, bondissante; le vent faisait flotter les cheveux de cette délicieuse vision, qui, rapide comme une hirondelle, s'élança jusqu'à moi. Cette vision, cet oiseau printanier, c'était mon bonheur, ma joie, mon espérance, mon unique pensée, ma Zéla chérie; la chère adorée tomba sur mon cœur et je la pressai tendrement dans mes bras épuisés de fatigue, mais que son contact rendait fermes et vigoureux. Les hardis matelots oublièrent leur danger pour nous regarder d'un œil ému.
– Quelles nouvelles, capitaine? demandait l'un.
– Où sont nos camarades? demandait l'autre.
Et ces questions étaient suivies de menaces de mort, de cris de vengeance contre les Javanais.
En aidant nos blessés à marcher, nous regagnâmes le bord de la rivière, et, toujours en bon ordre, ma petite troupe se dirigea vers le rivage. Des bandes de natifs rôdaient autour de nous, mais elles étaient impuissantes à nous barrer le chemin. Le prince avait pris les devants dans l'intention évidente d'attaquer nos bateaux avant notre arrivée ou de s'opposer à notre embarquement. Cette double crainte nous fit hâter le pas, car je savais que le schooner était trop éloigné pour qu'il lui fût possible de protéger les bateaux.
– N'ayez aucune crainte, capitaine, me dit mon second contre-maître, j'ai ordonné aux bateaux de s'éloigner du rivage et de laisser tomber leurs grappins; de plus, la chaloupe qui nous attend a une caronade.
Nous étions épuisés de fatigue, affamés, mourants de soif; Zéla seule, en véritable enfant du désert, avait songé à apporter de l'eau, et cette eau fut un grand soulagement pour les blessés. Il était évident que les natifs ne voulaient pas permettre aux bateaux d'approcher du rivage; le schooner était visible et il levait l'ancre afin de se rapprocher de nous. En arrivant sur le bord de la mer, je réunis mes hommes, et après avoir dispersé avec une volée de mousquets la foule qui était devant nous, je réussis à faire embarquer les blessés; mais, au moment où mes hommes allaient les suivre, les Javanais renouvelèrent l'attaque: la confusion fut si grande qu'il me devint impossible de diriger sûrement nos coups de mousquet. Avec l'aide de quatre hommes sûrs, je plaçai Zéla dans la chaloupe, et quand les natifs s'y précipitèrent pour saisir le plat-bord, nous déchargeâmes la caronade, qui était bourrée de balles de plomb.
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