Robert Burns. Angellier Auguste
par vers, notant soigneusement ce qui était vraiment tendre et sublime, de l'affectation et du clinquant»112.
Sa première ambition littéraire fut d'écrire une chanson en l'honneur du pays écossais:
Je formai alors un vœu, je me rappelle son pouvoir,
Un vœu qui, jusqu'à ma dernière heure,
Soulèvera puissamment ma poitrine,
C'est que, pour l'amour de la pauvre vieille Écosse
Je puisse faire un plan ou un livre utile,
Ou tout au moins, chanter une chanson113.
Ses premières amours s'exhalèrent naturellement en chansons; elles furent, pour lui aussi, une façon toute prête de rendre ce qu'il éprouvait. «Il faut que vous sachiez que toutes mes premières chansons d'amour furent l'expression d'une passion ardente»114. Bien qu'il n'ait écrit que relativement peu de chansons pendant la première partie de sa vie, tous les événements importants qui la traversèrent y sont représentés, tant elles étaient chez lui l'expression inévitable des émotions.
Il ne cessa jamais de s'occuper de cette forme de la littérature populaire. Lorsqu'il parcourut l'Écosse, il se fit un devoir d'aller visiter chacun des endroits rendus célèbres par les vieilles poésies. Celles-ci, étant l'œuvre du peuple et par conséquent d'une inspiration très particulière et souvent toute locale, contiennent un grand nombre de noms de localités. Elles répandent sur tout le pays le charme que les passions humaines donnent, aux yeux des hommes, aux pierres oublieuses et à l'insensible nature où elles ont frémi. Dans le recueil de Whitelaw, qui contient douze cents chansons environ, on n'en relève pas moins d'un dixième dont les titres sont des noms d'endroits: Sur les bords sinueux de la Nith, les Bouleaux d'Invermay, le Moor de Culloden, Hélène de Kirkonnel, le Château de Roslin, la Rose d'Annandale, le Buisson au-dessus de Traquair, les Gorges tristes de Yarrow, le Vallon de Glendochart, Là où le Quair coule doucement, sur les Talus sauvages du Calder, etc. Sans compter les chansons où les localités, sans former le titre, sont contenues dans le texte. Toutes les rivières et tous les ruisseaux d'Écosse s'y trouvent, et aussi des montagnes, des collines, des lochs, des gorges. On tirerait de cette anthologie une géographie complète de l'Écosse, tant elle est drument semée d'endroits célèbres. Ce sont eux que Burns alla visiter.
«Je suis un tel enthousiaste des vieilles chansons que, au cours de mes différentes pérégrinations à travers l'Écosse, j'ai fait un pélerinage à chaque endroit particulier où une chanson populaire a pris naissance, Lochaber et les Coteaux de Ballendaen exceptés. En tant qu'il m'a été possible d'identifier la localité, soit d'après le titre de l'air, soit d'après le contenu de la chanson, j'ai été faire mes dévotions au sanctuaire particulier de toutes les muses écossaises115».
Il devait augmenter lui-même la liste de ces pèlerinages. Il est impossible maintenant de passer près des pentes de Ballochmyle, près de l'endroit où l'Afton coule encore doucement, comme s'il se souvenait de la prière du poète, près des bords où l'Ayr baise sa rive de gravier, près des cascades d'Aberfeldy, ou des bois de Craigie-Burn, sans aller, comme lui, rendre hommage à ces sanctuaires de la chanson écossaise. Il connaissait à peu près tout ce qui avait été publié sur ce sujet. «Je vous demande la première ligne des vers, parce que, si ce sont des vers qui ont paru dans n'importe laquelle de nos collections de chansons, je les connais»116. Il n'exagérait rien lorsqu'il disait: «J'ai donné plus d'attention à toute espèce de chansons écossaises que peut-être aucune autre personne vivante ne l'a fait»117.
À cette passion pour les vieilles chansons se mélangeait, comme un des éléments dont elle était formée, un sentiment fort vif de la musique écossaise. Musique difficile à définir, difficile même à goûter au premier abord. Par le nombre des tons, les changements constants de modulation, la quantité et la variété des cadences118, elle produit un effet de singularité, d'irrégularité presque barbare, qui trouble l'oreille, et la laisse en arrière déroutée. Mais, quand on vainc ce premier malaise, le charme apparaît et, avec l'accoutumance, s'accroît. Il y a dans ces mélodies étranges une union de rudesse et d'inexprimable rêverie, quelque chose de farouche et d'impétueux, en même temps que de plaintif et de très caressant. Ces expressions paraissent et disparaissent, par notes soudaines, où la mélodie glisse avec une souplesse infinie, un instant saccadée et rauque, et tout d'un coup s'échappant fluide et limpide. Les airs les plus gais jouent dans une sorte de tristesse, et c'est une remarque très juste de Logan que «ces vieux airs, quelque lents et plaintifs qu'ils soient, peuvent généralement, avec un excellent effet, être convertis en une mesure rapide et dansante, et vice-versa119»; tant le fond de cette musique consiste en une mélancolie ardente. Et toujours ce charme pénétrant s'aiguise à ce qu'elle a d'inquiétant et d'insaisissable. Pour les Écossais, ces mélodies se marient aux aspects des lieux, et portent dans les âmes toute la poésie de la patrie.
Burns avait un sens très profond de ces airs, et on verra qu'il avait saisi ce double caractère de tristesse et de vivacité qui permet l'une ou l'autre expression, par un simple changement de mesure.
«Que nos airs nationaux conservent leurs traits naturels. Ils sont, je le reconnais, souvent sauvages et irréductibles aux règles modernes, mais de cette étrangeté même dépend peut-être une grande partie de leur effet120».
Ailleurs, il en parlait en homme qui en avait été remué jusqu'au frisson.
«Ces vieux airs écossais sont si noblement sentimentaux que, lorsqu'on veut composer sur eux, fredonner l'air mainte et mainte fois est la meilleure façon de saisir l'inspiration et de hausser le poète à ce glorieux enthousiasme qui caractérise si fortement notre vieille poésie écossaise»121.
Bien que, dans la première partie de sa vie littéraire, Burns ait composé peu de chansons, on peut dire qu'il n'avait pas cessé de se préparer à en écrire.
Aussi quand Johnson d'abord, et Thomson un peu plus tard, formèrent chacun le projet de publier un recueil de chansons nationales et lui proposèrent d'y collaborer, accepta-t-il des deux côtés avec ardeur. À propos de l'entreprise du premier, il écrivait: «Il y a un ouvrage qui paraît à Édimbourg et qui réclame votre meilleure assistance. Un graveur de cette ville s'est mis à rassembler et à publier toutes les chansons écossaises qu'on peut trouver avec la musique. J'en perds absolument la tête à ramasser de vieilles strophes et tous les renseignements qui subsistent sur leur origine, leurs auteurs, etc.122». À la proposition du second, il répondait en déclarant qu'il ne le cédait à personne en attachement enthousiaste à la poésie et à la musique de la vieille Calédonie, et en promettant son concours. Mais c'était, on se le rappelle, un concours qu'il voulait gratuit. «Dans l'honnête enthousiasme avec lequel je m'embarque dans votre entreprise, parler d'argent, de gages, de salaire, d'honoraires, serait une véritable prostitution d'âme»123. Il disait fièrement que ses chansons seraient au-dessus ou au-dessous de tout prix. Elles devaient être, en effet, «au-dessus des rubis». À partir de ce moment, il devait consacrer presque entièrement son génie à la chanson.
Burns mit à sa collaboration une condition qui fait honneur à sa clairvoyance littéraire et à son goût. C'est qu'il écrirait en écossais les chansons qu'il fournirait.
«À propos, si vous voulez des vers anglais, c'en est fait en ce qui me concerne. Que ce soit dans la simplicité de la ballade ou le pathétique de la chanson, je ne puis espérer me satisfaire moi-même que si on me permet au moins
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