Robert Burns. Angellier Auguste

Robert Burns - Angellier Auguste


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vivre, il a ramassé tout le reste. Il a fait un tas avec des débris, des lambeaux de chansons, des refrains isolés, des strophes dépareillées, des titres sans chansons, des airs sans paroles, des mélodies souillées de vers ineptes ou indécents. Il a pris là-dedans son bien où il le trouvait. Avec ces fragments, il a fait une œuvre, mi-partie de restauration, mi-partie de création. Conservant tout ce qui valait quelque chose, recueillant la plus mince parcelle d'or, il tirait du moindre indice une inspiration qui s'appuyait sur lui, le développait, le complétait, et l'encadrait, avec une adresse singulière. D'autres fois, c'était une chanson tout entière qu'il modifiait. Elle était trop grossière ou trop banale; il l'épurait, gardait quelques vers, ici une strophe, là un refrain, la relevait de touches brillantes, l'animait d'un accent sincère, la rendait transformée et embellie. Il ressemblait à un grand peintre, par les mains de qui passerait une suite de vieux tableaux à moitié effacés et frustes. Tantôt il ne garderait que le sujet pour refaire la toile tout entière; tantôt il dessinerait de nouvelles têtes; tantôt il animerait les yeux et les lèvres de celles qui existent; tantôt il retoucherait l'ensemble, faisant revivre toutes ces œuvres d'une vie nouvelle et plus splendide que celle qu'elles avaient connue. Il rendrait ainsi une galerie neuve, marquée partout des traces brillantes de son pinceau aux endroits qui font vivre. C'est ainsi qu'a fait Burns. Ce qu'il a conservé de vieux fragments poétiques est devenu sien. Il a, de cette façon, composé ou refait un nombre considérable de chansons, dans tous les genres, rêveuses, joyeuses, attristées, légères, comiques, passionnées. Elles vont de l'ode guerrière ou sociale au refrain grivois, et d'une poésie élevée à l'observation réaliste. Quelques-uns de ses critiques ont estimé que ce sont elles qui le feront le plus sûrement immortel. Carlyle a dit: «De beaucoup, les pièces les plus achevées, les plus complètes et les plus réellement inspirées de Burns se trouvent sans discussion parmi ses chansons. C'est ici, bien que ce soit par une petite ouverture, que sa lumière brille avec le moins d'obstacles, dans sa plus haute beauté et sa pure clarté soleilleuse150».

      On peut mesurer maintenant combien les ballades et les chansons ont agi sur Burns de façon opposée. Les premières ne lui ont inspiré que de l'indifférence; il en a mal parlé, et il n'en a laissé que quelques imitations inférieures. Les secondes ont excité en lui un enthousiasme dont on retrouve l'expression à toutes les périodes de sa vie; il les a étudiées, commentées, imitées et surpassées. Il a écrit plus de trois cents chansons, et cinq ou six ballades. Tandis qu'on pourrait établir l'actif de son génie sans parler de ses ballades, et faire l'histoire de la ballade en Écosse sans même citer son nom, on ne saurait omettre ses chansons sans passer sous silence la moitié de son œuvre, ni faire l'histoire de la chanson sans le placer au premier rang.

      III.

      LES PETITS POÈMES POPULAIRES.

      LE ROI JACQUES I, LES SEMPLE DE BELTREE, HAMILTON DE GILBERTFIELD, ALLAN RAMSAY, ROBERT FERGUSSON

      Outre des ballades et des chansons, il y a une autre classe de poésies, toutes différentes, et cependant bien indigènes et propres à l'Écosse. Ce sont de courts poèmes comiques, qui se plaisent aux mœurs populaires, et représentent généralement des scènes rustiques, des fêtes de village, les mœurs et les plaisirs des paysans. Ces petits tableaux sont traités avec un sentiment de réalisme très net et très exact, pleins d'humour, de mouvement et de gaîté narquoise151. Leur forme est particulière. Ils sont écrits en une sorte de stance lyrique152, terminée par un refrain qui est le même à travers tout le morceau. L'effort du poète consiste précisément à ramener ce refrain à la fin de chaque strophe, par un tour à la fois ingénieux et naturel. Quand la pièce compte une trentaine de strophes, comme cela est fréquent, on comprend qu'il y ait quelque difficulté et quelque mérite à les boucler toutes de la même boucle, en conservant l'aisance et la marche du récit. C'est un exercice auquel Burns a excellé dès le début, et ses premiers poèmes contiennent des modèles de ce tour de force. Dans cette classe, on peut comprendre des épîtres familières, conçues dans le même esprit, écrites dans une forme analogue, et nourries de la même observation moyenne, nette et railleuse.

      Tandis que la poésie orale est, en grande partie, anonyme, ces poèmes portent presque tous le nom de leurs auteurs. Ils sont peu nombreux, et disparaissent, si on n'y regarde pas avec soin, sous la masse des ballades et des chansons. Il importe cependant de les en dégager et de les étudier, car ils contiennent une portion de l'esprit écossais, et ils expliquent la forme d'une partie considérable des œuvres de Burns.

      Chose singulière, les deux premiers de ces poèmes populaires sont attribués à Jacques I, le roi poète, peut-être le monarque le plus remarquable qu'ait eu l'Écosse. Sa vie fut romanesque, glorieuse et infortunée. Son père Robert III, pour le soustraire aux attentats du duc d'Albany que cet enfant séparait seul du trône, l'avait envoyé en France, à l'âge de quatorze ans. La nef qui l'emportait avait été interceptée par les Anglais, au mépris d'une trêve qui existait entre les deux nations. Pendant dix-neuf ans le jeune prince fut retenu prisonnier153. Il fut élevé à la cour d'Angleterre, où il apprit à admirer Gower, et Chaucer, son maître en poésie noble et amoureuse. Le donjon de Windsor a conservé son souvenir. C'est là qu'un matin de mai, quand l'herbe était verte, que les haies d'aubépine étaient blanches et toutes sonores d'oiseaux, il aperçut Lady Jane de Beaufort, fille du comte de Somerset et princesse du sang royal d'Angleterre154. Il a raconté en termes brillants et tendres comment, quand il était à songer à son triste sort, il vit passer, dans la fleur de l'année, parmi les fleurs, cette fleur des femmes.

      Et alors j'abaissai de nouveau mon regard,

      Et je vis se promener au pied de la tour,

      Toute solitaire, nouvellement arrivée pour se distraire,

      La plus belle ou la plus fraîche jeune fleur

      Que j'eusse jamais vue, me sembla-t-il, avant cette heure.

      De cette surprise soudaine, tout d'un coup reflua

      Le sang de tout mon corps vers mon cœur.

      Je décrirai la forme de ses vêtements,

      Jusqu'à sa chevelure d'or et sa riche parure;

      Ils étaient semés de dessins de perles blanches

      Et de topazes brillant comme le feu,

      Avec mainte émeraude et maint beau saphir.

      Sur sa tête elle portait une coiffure de couleurs fraîches,

      De plumes en partie rouges, et blanches et bleues…

      Autour de son col blanc comme un émail,

      Elle avait une belle chaîne de fine orfévrerie,

      À laquelle pendait un rubis sans tache,

      Dont la forme était celle d'un cœur,

      Qui comme une étincelle de flamme follement

      Semblait vouloir brûler sur sa gorge blanche.

      Si on pouvait trouver le pareil, Dieu le sait.

      Et pour marcher dans ce frais matin de mai,

      Elle avait sur sa robe blanche une agrafe

      Dont on n'avait jamais vu la plus belle,

      Je le suppose; et sa robe pressait lâchement son corps,

      Et la marche l'avait entr'ouverte; c'était un tel délice

      De voir cette jeunesse dans sa beauté

      Que j'ai peur d'en parler trop lourdement155.

      Il écrivit, en l'honneur de sa dame, Le Carnet du Roi, un joli poème amoureux, où il raconte comment naquit sa passion, et qui, pour le luxe des descriptions, la révérence envers la femme, un sentiment de fraîcheur printanière, et je ne sais quelle jeunesse et clarté des mots,


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<p>150</p>

Carlyle. Essay on Burns.

<p>151</p>

Veitch. History and Poetry of the Scottish Borders, p. 312.

<p>152</p>

Irving. History of Scotish Poetry, p. 145.

<p>153</p>

Hill Burton. History of Scotland, tom. II, p. 384.

<p>154</p>

Voir à ce sujet le joli essai, dans le Sketch Book, de Washington Irving, intitulé a Royal Poet.

<p>155</p>

The King's Quair. Canto II.