Robert Burns. Angellier Auguste

Robert Burns - Angellier Auguste


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se récitait à lui-même à Dumfries sont de lady Grizzel Baillie, sans parler des chansons de Miss Jenny Graham, de Miss Christian Edwards, de miss Cockburn, de miss Ann Home, de miss Cranstoun, de lady Nairn, et de bien d'autres. Il faut observer, pour comprendre la portée de ce fait, qu'aucune de ces femmes n'est une femme littéraire, comme Mrs Felicia Hemans, Lætitia Landon, ou Elizabeth Barrett Browning. Elles ont écrit des chansons par hasard, comme cela arrivait à des ouvriers et à des paysans, parce que tout le monde en écrivait; et quelques-unes se sont trouvées être immortelles.

      Si nous voulons avoir une preuve particulière de ce fait, jetons un coup d'œil sur la vie de Burns. N'y trouvons-nous pas, dans toutes les classes et à toutes les époques, une succession de faiseurs de chansons? À Mauchline, ce ne sont de toutes parts que d'humbles poètes: c'est David Sillar, le maître d'école d'Irvine; William Simpson, un autre maître d'école à Ochiltree; c'est le brave Lapraik, le fermier dont on chantait les chansons aux veillées d'hiver100. N'est-ce pas parce qu'il avait entendu de lui une jolie chanson d'affection conjugale, que Burns, sans le connaître, lui a écrit sa première épître? Et les strophes où il lui raconte à quelle occasion il a entendu parler de lui, n'en disent-elles pas beaucoup sur les habitudes des paysans écossais, ne confirment-elles pas pleinement le passage du principal Shairp?101

      Le Mardi-Gras nous tînmes une veillée,

      Pour bavarder et tricoter des bas;

      Il y eut grand rire et grand jeu,

      Vous n'en doutez pas;

      À la fin, on se mit de tout cœur

      À chanter des chansons.

      On en chanta une, parmi le reste,

      Qui me plut par dessus les autres;

      Elle était adressée par un bon mari

      À une chère femme;

      Elle remuait les cordes du cœur dans la poitrine,

      Et les faisait vivre102.

      J'ai à peine jamais entendu si bien décrit

      Ce que les cœurs généreux, virils, éprouvent;

      Je pensai: «Ceci serait-il de Steel,

      Ou l'œuvre de Beatie?»

      Ils me dirent que c'était d'un vieux brave homme

      D'auprès de Muirkirk.

      Cela me fit grand plaisir de l'apprendre,

      Je m'informai de lui,

      Et tous ceux qui le connaissaient déclarèrent

      Qu'il avait un génie,

      Que personne ne le surpassait, que peu l'approchaient,

      Tant il était beau.

      À Édimbourg, les auteurs de chansons ne se comptent plus dans le monde littéraire. Les gens les plus grands en composent, le Dr Blacklock, le Dr Beattie, Blair. Plus bas, c'est James Tytler, John Marsterston; Creech, le libraire, le sec petit Creech lui-même s'en mêle. Dans les voyages de Burns, nous le voyons aller rendre hommage au Rév. John Skinner, une des gloires de la chanson écossaise, le célèbre auteur de Tullochgorum, les délices de Burns103. Le duc de Gordon en écrit aussi104. À Dumfries, c'est un gentilhomme campagnard, comme John Riddell, un acteur ambulant, comme Turnbull105. Les femmes sont plus surprenantes encore. Dans la haute société d'Édimbourg, nous trouvons Mrs Cockburn, l'auteur des Fleurs de la Forêt, que Burns a fait insérer par Thomson dans son recueil: Les «Fleurs de la Forêt sont un charmant poème, et devraient être, doivent être mises sur les notes; mais, bien que hors des règles, les trois stances commencent: J'ai vu le sourire de la Fortune trompeuse sont dignes d'une place, ne fût-ce que pour immortaliser leur auteur, une vieille dame de ma connaissance, en ce moment vivant à Édimbourg»106. Près d'elle, Miss Cranstoun qui allait devenir la seconde femme de Dugald Stewart. Dans la bourgeoisie moyenne, nous trouvons Clarinda; dans la province, des dames comme Maria Riddell. Une fille de ferme envoie des vers à Burns107. Ce n'est pas tout. Il y a, dans les anthologies écossaises, une douce et charmante chanson qui commence ainsi:

      Venant par les collines de Kyle,

      Parmi la jolie bruyère fleurie,

      Là, j'ai rencontré une jolie fillette

      Qui gardait ses brebis rassemblées108.

      Burns se charge de nous apprendre qui en était l'auteur. «Cette chanson est la composition d'une Jane Glover, une fille qui n'était pas seulement une prostituée, mais aussi une voleuse, et qui, à l'un ou l'autre de ces deux titres, a visité la plupart des maisons de correction de l'ouest. J'ai recueilli cette chanson de ses propres lèvres, tandis qu'elle traversait le pays, en compagnie d'un malandrin, faiseur de tours»109. Et tous ces personnages ne sont que ceux qui traversent la correspondance incomplète d'un homme qui a peu vécu!

      Dans cette atmosphère saturée de chansons, serait-il possible que Burns ait grandi, vécu, sans en profiter? Serait-il possible que, comme pour les ballades, il les ait entendues sans les goûter, qu'il les ait connues sans les imiter, qu'il n'ait pas trouvé à cueillir une feuille verte sur cette branche touffue de la littérature populaire?

      On pourrait à l'avance affirmer que sa position à l'égard des chansons a dû être toute différente. Ce ne sont plus ici des aventures rétrospectives et exceptionnelles. Les chansons, étant l'explosion du sentiment, lequel est sans cesse le même, sont toujours des contemporaines, les chansons populaires surtout, qui généralement expriment un sentiment simple. Sauf l'orthographe, une chanson d'amour du XVIe siècle peut servir à un amoureux d'aujourd'hui. Avec sa vigueur de pensée qui faisait toujours porter sa poésie sur la substance des choses, Wordsworth a bien marqué cette différence entre les deux modes de poésie populaire. Lorsqu'il aperçut dans un champ la fille solitaire des Highlands qui, tout en coupant et en liant le grain, chantait pour elle-même un chant mélancolique, si bien que la mélodie emplissait le val profond, il marqua nettement le caractère des ballades et des chansons.

      Personne ne me dira-t-elle ce qu'elle chante?

      Peut-être ces vers plaintifs s'épanchent-ils

      Pour d'anciens malheurs éloignés,

      Et des batailles du temps jadis;

      Ou bien est-ce un chant plus humble,

      Matière familière d'aujourd'hui —

      Un chagrin, un deuil, une peine naturels,

      Qui ont existé, et peuvent exister encore.110

      Avec les chansons, Burns était sur son terrain. Elles lui parlaient de choses qu'il avait ressenties ou qu'il avait vues circuler autour de lui. Il devait trouver en elles quelque chose de la vie actuelle, réelle, présente, telle qu'il l'aimait, la voyait et la rendait. Il devait les aimer, par suite des mêmes tendances d'esprit qui le rendaient indifférent aux ballades.

      Mais ce ne sont là que des hypothèses. Les faits valent mieux. Les voici. Les chansons populaires ont été pour Burns une passion de toute la vie. Enfant, il les avait entendu chanter par sa mère, il en avait été bercé. Son premier amour fut en partie inspiré par elles, car il aima la première fillette qu'il ait aimée, la petite moissonneuse, parce qu'elle chantait doucement. Sa première composition poétique fut une chanson qu'il composa sur un reel favori de cette fillette111. Plus tard, ce fut avec un recueil de chansons qu'il commença à former


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<p>100</p>

Voir, sur ces personnages, The Contemporaries of Burns and the most Recent Poets of Ayrshire, with selections from their writings, edited by James Paterson.

<p>101</p>

Epistle to Lapraik.

<p>102</p>

Cette chanson se trouve dans le volume The Contemporaries of Burns. Elle se trouve, un peu corrigée, probablement par Burns, dans le Scots Musical Museum de Johnson. Elle est aussi dans le recueil plus accessible de Whitelaw.

<p>103</p>

Voir, sur cette rencontre, The Life and Times of the Rev John Skinner, by the Rev William Walker, chap. VIII.

<p>104</p>

To James Hay, Nov 6th 1787.

<p>105</p>

To G. Thomson, 29th oct. 1793 et The Contemporaries of Burns, p. 92.

<p>106</p>

To G. Thomson, July 1793.

<p>107</p>

Voir sa biographie et ses vers, dans The Contemporaries of Burns, p. 78-92, et la lettre de Burns to Mrs Dunlop, Sept. 6th 1789.

<p>108</p>

Cette chanson se trouve dans The Contemporaries of Burns, dans le Museum de Johnson, et dans le recueil de Whitelaw.

<p>109</p>

Notes in an interleaved copy of Johnson's Scots Musical Museum.

<p>110</p>

The Solitary Reaper.

<p>111</p>

Autobiographical Letter to D r Moore.