Robert Burns. Angellier Auguste
bois, cette nuit,
Un loup m'a attaqué, Ô;
Oh! devais-je tuer le loup, Margerie?
Ou devait-il m'attaquer, Ô?»
«Ô Willie, ô Willie, je crains
Que tu ne m'aies engendré peine et chagrin;
L'acte que tu as commis cette nuit
Sera connu demain matin».49
Presque toutes ces aventures se terminent tragiquement, il y a toujours du sang dans les dernières strophes de ces ballades. Ce sont des chants dont la muse est la mort. Quand on lit ces recueils, on ne rencontre que des cadavres. Au-dessus de toute cette poésie plane la joie lugubre des deux corbeaux de la terrible ballade.
Il y avait deux corbeaux perchés sur un arbre,
Gros et noirs, aussi noirs qu'il est possible;
Et l'un commence à dire à l'autre:
«Où irons-nous dîner aujourd'hui?
Dînerons-nous près de la vaste mer salée?
Dînerons-nous sous l'arbre au feuillage vert»?
«Viens, je te montrerai un spectacle très doux,
Une glen solitaire et un chevalier fraîchement tué;
Son sang est encore tiède sur l'herbe,
Son épée à demi tirée, ses flèches dans le carquois,
Et personne ne sait qu'il est étendu là,
Sinon son faucon, son chien et sa maîtresse.
«Nous nous poserons sur sa clavicule,
Nous arracherons ses jolis yeux bleus,
Nous ferons une tresse de ses cheveux dorés,
Pour garnir notre nid quand il se dénudera,
Et le duvet d'or sur son jeune menton,
Nous en envelopperons nos petits.
Oh! froid et nu sera son lit,
Quand les orages d'hiver chanteront dans les arbres;
À sa tête le gazon, à ses pieds une pierre;
Il dormira, il n'entendra plus les plaintes de la jeune fille;
Par dessus ses os blanchis, les oiseaux voleront,
Les daims sauvages bondiront, les renards glapiront.50
Les imaginations romanesques, les rêveries poétiques, les superstitions païennes ou chrétiennes du moyen-âge, se mélangent à ces événements, et en accroissent encore l'étrangeté. Les jeunes filles montent au sommet de leur tour quand arrive le chevalier qu'elles aiment51. Des amants se réfugient dans les profondeurs vertes des forêts, et y mènent une vie qui fait penser aux exilés de Comme il vous plaira52. D'autres fois des outlaws ravissent des jeunes filles, et les entraînent dans leurs retraites53. Des oiseaux se chargent des messages entre les amants54. Lorsqu'un crime est commis, il est miraculeusement révélé. Une maîtresse assassine son amant et jette son corps dans la Clyde. Mais un papegai perché sur un arbre a tout vu.
Ainsi parla le papegai,
En voltigeant au-dessus de sa tête:
«Dame, garde bien ta robe verte,
Garde-la bien de ce sang si rouge».
«Oh, je garderai ma robe verte,
Je la garderai de ce sang si rouge,
Mieux que tu ne peux garder ta langue
Qui bavarde dans ta tête.
Mais descends, ô bel oiseau,
Ne voltige plus d'arbre en arbre,
Je te donnerai une cage d'or,
Et de pain blanc te nourrirai».
«Gardez votre cage d'or, dame,
Et je garderai mon arbre;
Car, comme vous avez fait à lord William,
Ainsi me feriez-vous.»55
Et plus tard il dénonce la coupable. Une sœur, jalouse de sa jeune sœur, la noie. Un joueur de harpe fait, avec la clavicule de la morte, une harpe qu'il tend de trois boucles de sa chevelure dorée; la harpe joue seule et prononce le nom de la méchante sœur56. Pendant une veillée mortuaire, une lykewake, auprès du corps d'une jeune fille assassinée, le corps parle pour nommer l'assassin.
Avec les portes entr'ouvertes, et des chandelles allumées,
Et des torches qui brûlaient clair,
Le corps fut étendu; jusqu'au calme minuit,
Ils veillèrent, mais rien n'entendirent.
Vers le milieu de la nuit,
Les coqs commencèrent à chanter;
Et à l'heure sombre de la nuit,
Le corps commença à bouger.
«Oh, qui t'a fait mal, sœur,
Et a osé ce péché odieux?
Qui a été assez hardi et n'a pas crain
De te jeter dans la cascade?»
«Le jeune Benjie a été le premier homme
À qui j'aie donné mon cœur;
Il était si hardi et hautain de cœur;
Il m'a jeté dans la cascade».57
La fille du ministre de Newarke accouche en secret et tue ses deux enfants. En rentrant elle rencontre deux enfants qui jouent à la balle; elle leur parle. Ils lui reprochent qu'elles les a tués, et lui disent qu'elle ira en enfer58. Les fantômes de ceux qui ont été tués reparaissent59. Parfois ce sont de véritables contes de fées. Ce sont des batailles de chevaliers contre des géants ou des monstres60. Ce sont des anneaux enchantés. L'amante donne à l'amant, ou l'amant à l'amante, une bague dont les diamants se terniront, si celui ou celle qui l'a donnée est infidèle ou meurt; et un jour la bague s'éteint61. Ce sont des jeunes filles enfermées par un sortilège sous la forme d'une bête hideuse, et qui ne seront délivrées que si un chevalier consent à les embrasser62. La reine des Fées s'éprend de Thomas le Rimeur, et le garde pendant sept ans, dans des vergers merveilleux; il se réveille un jour au pied de l'arbre où il s'était endormi63. Un chevalier ressuscite son amie en lui mettant sur les yeux deux gouttes du sang de St Paul64.
Que ce soit à cause de l'héroïsme, de la superstition ou de la cruauté, lorsqu'on lit un recueil de ces ballades, on est violemment transporté dans une autre vie, qui sans doute a existé, mais qui certainement n'existe plus depuis longtemps. On sent qu'on est dans une vie violente, romanesque, périlleuse, surpassant la nôtre en forfaits et en exploits, mais, à coup sûr, une vie qu'aucun homme moderne n'a vécue, ni vu vivre. On est dans l'histoire ou dans le roman, et, que ce soit l'un ou l'autre, hors de la réalité.
Ces récits, dont la trame est faite d'aventures extraordinaires, sont encore rendus plus archaïques par les broderies
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