Robert Burns. Angellier Auguste

Robert Burns - Angellier Auguste


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de caractères réels et allégoriques11, et reste dans les intentions générales de ces œuvres. Les petites pièces lyriques amoureuses d'Alexander Scott, (vers 1562); le poème d'Alexander Montgomery (1535? -1605?), la Cerise et la Prunelle, qui «commence comme une allégorie d'amour et se termine en honnête morale12», sont dans le ton de leur époque. Les sonnets du comte d'Ancram, ceux du comte de Stirling, sont dans le goût des sonnets de Surrey et Sidney. Tous deux vécurent d'ailleurs à la cour de Londres, avec Jacques I et Charles I. Drummond de Hawthornden (1585-1649), l'ami de Ben Jonson, à qui celui-ci alla rendre visite, à pied, de Londres à Édimbourg13, est un poète d'éducation classique et d'inspiration cosmopolite, comme beaucoup des hommes de la Renaissance. Au XVIIIe siècle, le mélange des deux poésies est encore plus parfait. Des poèmes comme les Saisons, de Thomson, la Tombe, de Blair, le Ménestrel, de Beattie, sont purement anglais. La poésie anglaise a provigné dans un autre sol, et produit des rejetons qui, avec un léger goût de terroir, tiennent à elle. Ce n'est pas dans cette partie de la poésie écossaise qu'il faut chercher les influences qui ont agi sur Burns. Il ne connaissait guère les plus anciens de ces poètes, et ceux, plus récents, qu'il a admirés, comme Thomson, n'ont pas laissé de traces sensibles dans ses œuvres.

      Mais au-dessous de cette poésie de lettrés, il existait une poésie populaire, très abondante, très drue, très savoureuse, très originale. Elle était sortie du sol; elle traitait des sujets indigènes dans le langage indigène, c'est-à-dire dans la variété dialectique anglaise «qui régnait autrefois de l'embouchure de l'Humber jusque dans le Nord, et que parlaient également les indigènes du Yorkshire et de l'Aberdeenshire.14» C'est le dialecte qui se parle dans les Basses-Terres d'Écosse. Cette forme septentrionale de l'anglais avait été la langue littéraire de l'Écosse jusqu'à l'époque de Jacques I d'Angleterre. «L'anglais pur était devenu alors le moyen d'expression des littérateurs écossais, quand ils n'employaient pas le latin, et le vieux dialecte du Nord, modifié par le temps et les circonstances, était resté en usage dans la masse du peuple, et était même employé par les classes cultivées jusqu'au commencement de ce siècle. C'est ce dialecte qui a été au cœur de l'Écosse. Les ballades, les chansons et d'autres œuvres populaires ont été écrites en lui, et ainsi s'éleva une littérature populaire écossaise, tout à fait distincte de la littérature anglaise, et jusqu'à un certain point inintelligible aux personnes qui parlent l'anglais pur.15» En dehors du mouvement continuel qui avait rapproché les hautes productions littéraires écossaises des modèles anglais, et avait entraîné la langue écossaise dans le progrès et, pour ainsi parler, le dépouillement de l'anglais, ce vieux langage, fidèle au sol, était resté ce qu'il était. «En réalité l'écossais est, pour la grande partie, du vieil anglais. – Le temps a remplacé l'anglo-teutonique par l'anglais moderne, mais a épargné le scoto-teutonique, qui est encore une langue vivante.16» Mais son domaine et ses fonctions étaient diminués, et il était réduit à n'être plus que «ce dialecte de la conversation et de productions distinctement nationales.17» La littérature populaire qu'il servait à exprimer était encore bien vivante au XVIIIe siècle, car elle avait encore ce grand signe de vitalité d'être en partie orale, de parler vraiment au peuple. Il était naturel que Burns, avec son éducation et ses circonstances de production, lui prît ses modèles et ses formes de poésie. C'est en effet ce qui arriva, et c'est de ce côté qu'il faut chercher ses origines littéraires. Pour comprendre d'où il est sorti et quels matériaux il avait sous la main, c'est cette poésie populaire qu'il faut connaître. Nous l'exposerons avec quelque détail, parce que c'est un coin d'histoire littéraire peu connu, et qu'on y rencontre d'ailleurs de jolies choses et intéressantes. Elle se composait de trois éléments principaux:

      Les anciennes ballades;

      Les chansons;

      Une suite de petits poèmes populaires comiques, tout à fait particuliers à l'Écosse.

      En les examinant successivement, nous verrons dans quelles proportions Burns a puisé à chacune de ces trois sources. Ce qu'il a négligé de prendre nous renseignera peut-être autant, sur les préférences de son esprit, que ce qu'il a emprunté.

      I.

      LES VIEILLES BALLADES18

      Les ballades sont de courts récits rhythmés, généralement divisés en strophes, et relatant un fait historique, fabuleux ou romanesque, qui, par l'héroïsme ou les malheurs des personnages, l'étrangeté ou le dramatique des circonstances, et souvent par un mélange de surnaturel, sort des conditions ordinaires de la vie. Leur trait caractéristique est d'être surtout un récit, de présenter le sujet qu'elles traitent sous forme de narration. Ce sont des complaintes romanesques et héroïques19.

      Dans un pays si longtemps agité par la guerre étrangère et déchiré par les guerres civiles, où les rivalités des clans et les pillages réciproques couvraient la campagne de combats et ensanglantaient les moindres ruisseaux, il n'est pas étonnant que ces complaintes aient surgi de toutes parts. Les Borders surtout, avec leurs luttes incessantes, leur état de guerre continuelle, leurs surprises, leurs razzias, en ont fourni le plus grand nombre. Mais d'autres grands faits historiques s'y retrouvent conservés. Les invasions des Norvégiens20, la résistance des outlaws réfugiés dans les bois21, les luttes entre les gens des Basses-Terres et les Highlanders22, les croisades23, les luttes de l'indépendance contre les Anglais24, les aventures de Marie Stuart25, ont laissé des échos lointains, et donné naissance à un certain nombre de ballades.

      Quand on ouvre un recueil de ces récits, on entre dans un monde de violence et de force, où la vie humaine est soumise à une perpétuelle hécatombe. Presque tous sont dramatiques; un grand nombre tragiques; quelques-uns atroces. Les sujets favoris sont des combats, des enlèvements, des vengeances, des apparitions de spectres, des crimes commis, découverts, et châtiés par de terribles représailles. Ce sont des batailles sur la frontière entre Écossais et Anglais, plutôt entre troupes de grands chefs locaux qu'entre armées royales, avec des défis à la façon des héros homériques, des mêlées furieuses et acharnées, où les flèches volent et s'enfoncent dans les poitrines jusqu'aux plumes, où les lances éclatent, où les blessés, les jambes coupées, combattent sur leurs genoux26. Ce sont des excursions de freebooters, qui vont piller en Angleterre, enlever des troupeaux27.

      Ils volèrent la vache noire et blanche et le bœuf rouge28.

      Ce sont des exécutions de ces bandits, pendus soit par les Anglais, soit même par le roi d'Écosse, et à qui la sympathie du peuple ne manque pas29. Ce sont des feuds, des haines entre clans, pareilles aux vendettas des familles corses30. Ce sont de hardis coups de main, exécutés en ferrant les chevaux à l'envers, pour aller délivrer des camarades dans les forteresses de Berwick ou de Carlisle31: on arrive la nuit, on escalade la muraille, on tue le gardien, on enlève le prisonnier chargé de ses fers, on pique des deux; les cloches sonnent, c'est l'alarme; on est poursuivi; on arrive à une rivière grossie; on la traverse, et, quand on est sur l'autre bord, on invite les Anglais à en faire autant.

      Traverse, traverse, lieutenant Gordon,

      Traverse, viens boire


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<p>11</p>

Id. p. 372.

<p>12</p>

The Book of Scottish Poems, by J. J. Ross, p. 324.

<p>13</p>

Voir, sur ce curieux voyage de Ben Jonson, le chapitre VI, dans le très intéressant livre de David Masson: Drummond of Hawthornden.

<p>14</p>

Edinburgh Review, No 324, October 1883. The Scottish Language.– Voir aussi A dissertation on the origin of the Scottish Language, en tête de l'Etymological Dictionary of the Scottish Language de Jamieson – et les Editorial Remarks on the Scottish Language par Hately Waddell, dans son édition de Burns.

<p>15</p>

Edinburgh Review, No 324. The Scottish Language.

<p>16</p>

Charles Mackay. Poetry and Humour of the Scottish Language, p. 1.

<p>17</p>

Edinburgh Review, No 324. The Scottish Language.

<p>18</p>

Veitch a retracé le mouvement qui a retiré de l'oubli l'ancienne littérature populaire: «James Watson, dans sa Collection of Scots Poems Ancient and Modern, publiée en trois parties, de 1706 à 1711, avait attiré l'attention sur quelques-unes de ces chansons et de ces ballades qui flottaient au hasard. L'Evergreen et le Tea Table Miscellany d'Allan Ramsay, publiés tous deux en 1724, attirèrent encore l'intérêt vers cette portion de la littérature. Elle fut ensuite cultivée avec zèle par d'autres collectionneurs. Les Reliques de Percy, qui portaient sur les deux cotés des Borders, ouvrirent, en 1765, le plus vaste champ qui eût encore été défriché dans la littérature des Ballades. Percy fut suivi par David Herd, avec ses Ancient and Modern Scottish Songs, en 1769. Puis vinrent Evans avec ses Old Ballads, 1777; Pinkerton avec ses Scottish Tragic Ballads, 1781, et ses Select Scottish Ballads, 1783. Ritson commença à publier des recueils de chansons en 1783, et continua jusqu'à 1795. James Johnson, dans The Scots' Musical Museum, 1787, contribua beaucoup à cette œuvre; Burns lui fournissant des chansons nouvelles. J. – G. Dalzell, en 1801, donna ses Scottish Poems of the Sixteenth Century. Walter Scott, en 1802, donna les deux premiers volumes de la Minstrelsy of the Scottish Border; le troisième volume parut en 1803. Ceci est un ouvrage qui ne le cède en importance et en influence immédiate qu'à celui de Percy lui-même. En 1806, Robert Jamieson donna ses Popular Ballads and Songs, et mit en lumière le fort élément scandinave qui se trouve dans notre littérature des Ballades. Depuis nous trouvons sur la liste des collectionneurs et des éditeurs, Finlay, David Laing, C. – K. Shairpe, Maidment, Utterson, Buchan, Allan Cunningham, Kinloch, Motherwell, R. Chambers, Peter Cunningham, Aytoun, Chappel, Child, etc. (History and Poetry of the Scottish Border, chap. XIII). – On trouvera, à la page XXVIII de l'Introduction du recueil The Ballad Minstrelsy of Scotland, en note, une liste très complète des publications de Ballades. Elle ne comprend pas moins de cinquante et quelques noms, et forme plus de cent volumes.

Dans ces recueils de littérature populaire, les chansons et les ballades proprement dites sont le plus souvent mélangées. Il nous a été impossible, avec nos seules ressources, de nous procurer l'ensemble de ces collections, qui forme une bibliothèque entière. Nous regrettons particulièrement de n'avoir pu nous procurer le magistral ouvrage du Professeur Child, publié à Philadelphie. Nous avons eu entre les mains les recueils d'Allan Ramsay, celui de Percy, ceux de Herd et de Ritson; les recueils de Chambers, Popular Rhymes of Scotland, Scottish songs prior to Burns; celui de Buchan. Nous avons lu et relu la Minstrelsy de Walter Scott, avec son introduction et ses notes. Nous avons trouvé l'ensemble des ballades, dans deux collections qui ont profité du travail des premiers éditeurs: The Book of Scottish Ballads d'Alexander Whitelaw; et surtout The Ballad Minstrelsy of Scotland, éditée par Maurice Ogle, Glasgow. Les notes de ce dernier ouvrage sont excellentes, elles indiquent très soigneusement le recueil ou les recueils primitifs auxquels chaque ballade est empruntée.

<p>19</p>

Voir Shairp. Aspects of Poetry, p. 202. – Veitch. History and Poetry of the Scottish Border, p. 331-32. – J. Clark Murray. The Ballads and Songs of Scotland, p. xv. – Voir aussi la définition de Ritson, dans son Historical Essay on National song, citée dans l'Introduction de la Ballad Minstrelsy of Scotland, publiée par Maurice Ogle.

<p>20</p>

Hardyknute.

<p>21</p>

Young Hastings; Hynde Etin; Tamlane; Kospatrick; Song of the outlaw Murray; Johnnie of Breadislee.

<p>22</p>

The Battle of Harlaw.

<p>23</p>

Lord Beichan and Susie Pye; Young Bekie; Child Ether; John Thomson and the Turk.

<p>24</p>

Auld Maitland; Sir William Wallace; Gude Wallace; The Battle of Roslin.

<p>25</p>

Glenlogie; The Queen's Mary.

<p>26</p>

Voir la version écossaise de The Battle of Otterbourne. La ballade de Chevy Chase, bien qu'anglaise, reproduit énergiquement une de ces rencontres, et avec impartialité.

<p>27</p>

Les ballades sur ce sujet favori sont très nombreuses. Voir parmi les plus caractéristiques the Lochmaben Harper, et surtout celle de Jamie Telfer of the Fair Dodhead, qui contient tous les renseignements sur la façon dont les choses se passaient.

<p>28</p>

The Lads of Wamphray.

<p>29</p>

Johnnie Armstrang; Hobbie Noble; Hughie the Græme; Gilderoy.

<p>30</p>

Lord Maxwell's Good night.

<p>31</p>

Jock o' the Side; Archie of Ca'field; Kinmont Willie.