Robert Burns. Angellier Auguste
les grands bois. Quel tableau en quelques strophes que celui-ci, d'une forêt tout animée par les bonds des fauves, et sonore de la détente des arcs.
La forêt d'Ettrick est une belle forêt,
Il y pousse maint arbre de haute taille;
Il y a cerf et biche et daine et chevreuil,
Et de toutes bêtes sauvages grande plenté.
James Boyd prit congé du noble roi,
Vers la belle forêt d'Ettrick il arriva;
Quand il descendit la pente de Birkendale,
Il vit la belle forêt de ses yeux.
Il vit chevreuil et daine et cerf et biche,
Et de toutes bêtes sauvages grande plenté;
Il entendit les arcs qui hardiment résonnaient
Et les flèches qui bruissaient auprès de lui77.
Toute cette littérature de ballades est donc, pour le fonds et la forme, en dehors et au-dessus des conditions ordinaires de la vie. On y trouve plutôt la légende et le rêve que l'observation et la réalité. Non-seulement elle parle d'aventures et d'usages que nous ne connaissons plus, mais il est peu probable qu'elle ait été elle-même exactement contemporaine des faits qu'elle célèbre. Elles ont été composées sur des événements qui semblaient extraordinaires, même en ces temps violents, et alors vraisemblablement qu'ils avaient déjà quelque chose de légendaire et de lointain. C'est une littérature héroïque et fabuleuse, qui sort des proportions communes. Elle a été créée, pendant des siècles grossiers où le livre n'existait pas, pour satisfaire le besoin de romanesque qui vit dans les cœurs humains les plus frustes.
C'est là un point important et qu'il était utile de bien dégager, car on ne comprendrait pas autrement pourquoi Burns a si peu goûté cette partie importante de la littérature de sa patrie. Il avait l'âme passionnée, et non romanesque. Il fallait, en tout ce qu'il faisait, qu'il se sentît, entre les mains, de la réalité, quelque chose de présent et d'immédiat. Son éducation littéraire s'était formée à regarder la vie et les gens qui l'entouraient. Son génie était fait d'observation, bien plus que d'imagination. Il avait l'esprit net et pratique, il ne l'avait jamais exercé à se transporter dans d'autres temps. Il ne savait pas vivre parmi d'autres hommes que des hommes réels et vivants.
Aussi son admiration pour les ballades ne tient-elle pas beaucoup de place. Il dit bien: «Il y a une noble sublimité, une tendresse qui fond le cœur, dans quelques-unes de nos anciennes ballades, qui dénotent qu'elles sont l'œuvre d'une maîtresse main78». Mais c'est à peu près la seule marque d'enthousiasme que les ballades aient obtenue de lui, et elle date de sa jeunesse. Tandis qu'il savait presque toutes les chansons écossaises, et qu'il était infatigable à recueillir les chansons nouvelles qu'il rencontrait, il semble ne faire aucun cas des ballades et les laisse échapper. Il écrivait à William Tytler de Woodhouselee, grand amateur de vieilles poésies, en lui en envoyant quelques-unes, une lettre qui est très significative à cet égard:
«Je vous envoie ci-inclus un échantillon des vieux morceaux qu'on peut encore trouver parmi nos paysans de l'Ouest. Je possédais jadis bon nombre de fragments pareils, et quelques-uns plus complets, mais, comme je n'avais pas la moindre idée que quelqu'un pût se soucier d'eux, je les ai oubliés. Je considère fermement comme un sacrilège de rien ajouter qui soit de moi pour rétablir les épaves disloquées de ces vénérables vieilles compositions; mais elles ont maintes versions différentes. Si vous n'avez pas déjà vu celles-ci, je sais qu'elles flatteront vos sentiments calédoniens qui sont dans le bon vieux style79.»
Il y a, dans ces derniers mots, l'indulgence qu'on a pour une manie inoffensive. Plus tard, dans sa correspondance avec Thomson, il le dissuade d'admettre dans son recueil une des plus célèbres ballades, celle même qui avait fourni le sujet de la tragédie de Douglas:
«Je suis inflexiblement pour exclure Gil Morice en entier. Il est d'une maudite longueur qui fera faire une grande dépense d'impression; l'air lui-même ne se chante jamais; une ou deux bonnes vieilles chansons en tiendront bien la place80.»
Pour faire contraste, il n'y a qu'à rapprocher la façon dont Gray parlait de cette même ballade, et comparer son enthousiasme à la froideur de Burns. «Je me suis procuré la vieille ballade écossaise sur laquelle Douglas est fondé; elle est divine et aussi longue que d'ici (Cambridge) à Aston, ne l'avez-vous jamais vue? Les meilleures règles d'Aristote y sont observées, d'une manière qui prouve que l'auteur n'avait jamais lu Aristote. Vous pouvez en lire les deux tiers sans deviner de quoi il s'agit, et cependant, quand vous arrivez à la fin, il est impossible de ne pas comprendre l'histoire tout entière.81»On sent toute la différence.
Dans ces dispositions, il n'est pas étonnant que Burns ait peu imité les ballades et que leur influence soit très faiblement marquée dans son œuvre. À peine çà et là une imitation, comme Lady Mary Ann ou Lord Gregory. On n'en compterait pas plus d'une demi-douzaine, pas même autant peut-être. La façon dont elles sont faites est encore plus instructive que leur rareté. Toute la partie narrative, toute la partie pittoresque ou merveilleuse, en un mot, tout ce qui est d'un autre temps, est supprimé. Il n'y a de conservé que la partie de sentiment, laquelle est de toutes les époques. Lord Gregory est emprunté à une très dramatique et très belle ballade intitulée: La jolie fille de Lochryan. Il suffit de comparer les deux morceaux pour voir ce que Burns a conservé du modèle.
La ballade, telle qu'on la trouve dans le recueil de Herd, publié en 1769, et par conséquent bien connu de Burns, s'ouvre par les plaintes d'une jeune fille abandonnée par Lord Gregory. Elle veut aller à sa recherche, et elle se fait construire un navire, dont la peinture a la somptuosité de couleur habituelle.
Alors, elle a fait construire un beau navire.
Il est tout couvert de perle,
Et à chaque amure
Pendait une sonnette d'argent.
La pauvre abandonnée part sur la mer pour chercher Lord Gregory, en quelque lieu qu'il se trouve. Quelque chose de l'inattendu des anciennes navigations apparaît. Elle rencontre un rude rôdeur de mers qui lui demande:
«Ô, es-tu la Reine elle-même,
Ou une de ses trois Maries,
Ou bien es-tu la fille de Lochryan,
Cherchant son cher Gregory»?
«Ô, je ne suis pas la Reine elle-même,
Ou une de ses trois Maries,
Mais je suis la fille de Lochryan,
Cherchant son cher Gregory».
Et le rude rôdeur, touché sans doute, lui montre une tour recouverte d'étain où se tient Lord Gregory. Elle y aborde, et agite l'anneau sur la barre de fer tordu qui tenait lieu autrefois de marteau aux portes. Elle le supplie ainsi:
«Ô, ouvre, ouvre, aimé Gregory,
Ouvre et laisse-moi entrer.
Car je suis la fille de Lochryan,
Bannie de tous les siens».
Mais la méchante mère de Lord Gregory lui répond de l'intérieur, en imitant la voix de son fils, et lui demande, pour lui prouver qu'elle est bien la fille de Lochryan, de lui dire ce qui s'est passé entre eux deux. La pauvre fille répond d'une façon touchante, en des strophes où le souvenir des jours passés se mêle à l'angoisse présente.
«Ne te souviens-tu pas, aimé Gregory,
Comme nous étions assis, au moment du vin,
Que nous échangeâmes nos anneaux de nos mains,
Et
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